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Actualités - REPORTAGE

Contrôle des médias, mise à l’écart des opposants, restauration de l’image de la Russie Vladimir Poutine, un président version KGB Émilie SUEUR

« Eltsine a détruit le Parti communiste, mais il a oublié de détruire le KGB. Cela a été son erreur fatale », explique le dissident russe Vladimir Boukovski, dans « Le système Poutine », fascinant documentaire réalisé par Jean-Michel Carré et Jill Emery, et diffusé la semaine dernière sur France 2. Vladimir Poutine, c’est l’ascension vers les plus hautes sphères du pouvoir d’un ancien lieutenant-colonel du KGB. Son parcours, sa stratégie, les méthodes qu’il utilise pour parvenir à ses fins… tout respire le KGB. Des années durant, Vladimir Poutine a su rester dans l’ombre des politiciens montants, suivant par là même une ligne de travail établie par le KGB. Anatoli Sobtchak d’abord, maire de Saint-Pétersbourg, puis Boris Eltsine, en 1997. Un an plus tard, celui qui avait fait acte de candidature au KGB, alors qu’il n’avait que 16 ans, est nommé chef du FSB, nouveau nom de cet organe de renseignements. En 1999, devenu secrétaire du Conseil de sécurité, il rend au président Eltsine un service qui va donner un nouvel élan à sa carrière politique. En 1998, le procureur de la République avait en effet ouvert une enquête sur le financement extravagant des travaux de rénovation du Kremlin. À cette époque, Eltsine a redistribué les postes-clés et grandes entreprises à un groupe d’hommes d’affaires proches de sa famille. La corruption bat son plein. L’enquête du procureur représente une menace directe pour Eltsine et sa famille. Il demande à Poutine de gérer l’affaire. Quelque temps plus tard, les chaînes de télévision nationales diffusent une vidéo montrant le procureur en pleine action avec deux prostituées. Le procureur démissionne. Poutine devient Premier ministre. Le 31 décembre 1999, Boris Eltsine, malade et sous pression, abandonne la présidence. Il confie les rênes de la Russie à son poulain, Vladimir Poutine, qui devient président par intérim. Avec son apparence fade et taciturne, Poutine, peu connu du grand public, est donné perdant pour la présidentielle à venir. C’est sans compter le soutien de certains oligarques, qui mettent leur formidable machine médiatique à son service. Sur leurs écrans de télévision, les Russes découvrent Poutine en judoka ou encore aux commandes d’un avion de chasse. En quelques semaines, il est transformé en bête politique. Le phénomène prend tellement bien qu’en mars 2000, Vladimir Poutine rafle 52,2 % des voix. Le candidat communiste, Guennadi Ziouganov est en deuxième place avec moins de 30 % des suffrages. À peine installé au Kremlin, Poutine s’attaque à ceux-là mêmes qui ont permis son élection : les oligarques. Accusés de détournement d’argent ou de corruption, les uns après les autres sont contraints de s’exiler, quand ils ne finissent pas en prison, comme Mickaïl Khodorkovsky, le patron du grand groupe pétrolier Ioukos, arrêté en octobre 2003, alors qu’il menaçait de s’opposer politiquement à Poutine. Leurs empires médiatiques et pétroliers tombent aux mains d’entreprises étatiques, comme Gazprom. Les oligarques privés sont remplacés par des oligarques étatiques. Si les grands médias tombent rapidement sous le contrôle du pouvoir central, certains journalistes tentent de garder leur indépendance. Vingt-deux le paient de leur vie sous le mandat Poutine. La 22e victime était Anna Politkovskaïa, abattue devant chez elle à Moscou, le 7octobre 2006, jour de l’anniversaire du chef du Kremlin. Anna Politkovskaïa dénonçait notamment les exactions commises par les troupes russes en Tchétchénie. L’affaire n’a toujours pas été élucidée. Parallèlement, Vladimir Poutine renforce le pouvoir central. Après le drame de la prise d’otages de l’école de Beslan, en 2004, il lance notamment une série de réformes, parmi lesquelles la nomination, par ses soins, des gouverneurs des régions de la Fédération russe qui étaient jusque-là élus. En octobre 2006, Marie Mendras, chercheuse au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) et professeur de politique russe à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, dressait ainsi un bilan négatif du pouvoir politique en Russie : « Il n’y a plus ni Parlement ni Cour constitutionnelle dignes de ce nom, le gouvernement est court-circuité par l’Administration présidentielle, les juges sont soumis au pouvoir politique dès qu’une affaire devient délicate. Cela nous ramène au problème de la violence et de l’impunité […]. Désinstitutionnalisation du régime, opacité des décisions, montée de l’arbitraire et des méthodes expéditives : tout cela traduit une agitation croissante des cercles dirigeants. » Face à cette machine de guerre politique, dont de nombreux observateurs russes et étrangers dénoncent les dérives autoritaires, l’opposition est en déroute, comme en témoignent ses résultats aux législatives. Restaurer la grandeur de la Russie S’il a fait le ménage sur la scène intérieure, l’un des objectifs essentiels de Poutine est également de restaurer la grandeur de la Russie. Un objectif qui passe notamment par la guerre contre les rebelles indépendantistes tchétchènes. Guerre sauvage et particulièrement meurtrière, dont M. Poutine avait donné le ton dès 1999. En septembre de cette année-là, une série d’attentats meurtriers sont perpétrés dans des villes russes. Le pouvoir les attribue rapidement aux Tchétchènes et lance une seconde guerre contre cette province. Un ancien officier du FSB Alexander Litvinenko, ainsi que des experts, assurent néanmoins que ces attentats ont été perpétrés par le FSB. Des agents de ce service de renseignements avaient d’ailleurs été arrêtés dans la ville de Ryazan alors qu’ils plaçaient une bombe avec détonateur dans la cave d’un immeuble. En novembre 2006, Litvinenko, réfugié politique à Londres, mourait après un empoisonnement au polonium 210 dans des conditions des plus mystérieuses. Après cette série d’attentats, Vladimir Poutine, alors vice-président, avait déclaré qu’il irait « buter les terroristes jusque dans les chiottes ». Aujourd’hui, la Tchétchénie est de nouveau sous contrôle total russe, avec à sa tête Ramzan Kadyrov, marionnette barbare dirigée par Moscou et intronisé en avril 2007. L’autre objectif de Poutine est de retrouver un ascendant sur l’Europe de l’Est. Pour ce faire, il utilise l’arme du gaz dont il est le premier producteur et exportateur mondial. La Russie est notamment le premier fournisseur de l’Europe. Avec le contrôle de cette ressource énergétique, Moscou dispose d’un atout de poids dans le jeu régional. Parallèlement, Moscou est engagé dans un bras de fer avec les États-Unis autour du projet de bouclier antimissile américain. Signe de l’assurance retrouvée de la Russie poutinienne, le président n’a pas hésité à affirmer en juin 2007, à la veille du sommet du G8 à Rostock, qu’il pourrait pointer de nouveaux missiles vers l’Europe de l’Est si Washington y déploie son bouclier antimissile. En mars 2004, Vladimir Poutine est réélu avec 71,22 % des suffrages. Aux dernières législatives, son parti a raflé 63,5 % des voix. En 2000, après sa victoire à la présidentielle, il avait déclaré, devant un parterre de dignitaires du FSB : « Nous, FSB, voulions reprendre le pouvoir. Aujourd’hui, je peux vous dire que nous y sommes parvenus. » Malgré ses dérives autoritaires, le monde reçoit le leader russe avec les honneurs. En 2006, le président français Jacques Chirac lui a attribué la Grande Croix de la Légion d’honneur. En juin 2001, George W. Bush avait déclaré à l’issue de sa première rencontre avec Poutine l’avoir regardé dans les yeux et y avoir « perçu son âme ». Mais « mérite-t-il seulement qu’on lui serre la main », s’interroge, dans Le système Poutine, Youri Samodourov, directeur de la vénérable fondation Sakharov. Il a les larmes aux yeux.
« Eltsine a détruit le Parti communiste, mais il a oublié de détruire le KGB. Cela a été son erreur fatale », explique le dissident russe Vladimir Boukovski, dans « Le système Poutine », fascinant documentaire réalisé par Jean-Michel Carré et Jill Emery, et diffusé la semaine dernière sur France 2. Vladimir Poutine, c’est l’ascension vers les plus hautes sphères du pouvoir...