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Actualités - OPINION

Impression Rapport au temps

J’ai eu cette chance, survoler le Danemark, de Copenhague vers le Nord, et voir d’en haut, en plein mois de juin, les gigantesques étendues plantées de sapins pour le marché de Noël. J’ignorais, jusqu’à une information diffusée cette semaine, que le sapin danois était en quelque sorte l’élite du sapin. Mes guides, sur ce vol domestique, s’étaient amusés de mon émotion, fiers de montrer à une étrangère l’un des fleurons de la production nationale. J’étais émue en effet, moins d’ailleurs de la beauté de ces forêts apprivoisées que de la simple idée d’un Noël qui se prépare plusieurs mois à l’avance. L’Avent au seuil de l’été. Ces baliveaux que l’on taille, que l’on nourrit des meilleurs engrais, que l’on protège des parasites, dont on contrôle la forme et la couleur, jusqu’à empêcher les oiseaux de s’y poser de crainte qu’ils n’en courbent les branches, saints sylvestres, dieux païens que l’on vénère au sécateur ! Ici la culture est culte. Il y a de la prière dans ces soins maniaques, cette gestuelle précise, cette contemplation jusqu’à l’extase de la perfection de l’arbuste, son envergure décroissante, sa pointe droite, sa robe moirée du bleu au vert. Noël viendra. Son étoile se posera sur ces faîtes apprêtés. Au Danemark, on en a déjà la certitude au mois de juin, et cette confiance me fascine. Avons-nous jamais su de quoi demain serait fait ? De mémoire de quadra, tant que j’ai vécu au Liban, je peux affirmer n’avoir jamais pu me projeter au-delà de l’heure qui suit. En moins de deux générations, la précarité a contaminé nos habitudes. Elle conditionne nos comportements, réduit nos perspectives, étrique nos lendemains, étouffe nos ambitions. Elle nous rend hésitants ou fatalistes, timorés ou suicidaires. Nos désirs buttent contre les « si », nos chemins sont hérissés de « peut-être », nos rêves en restent là. En ce mois de décembre, Noël arrive pourtant. S’il ne tenait qu’à nous, nous l’aurions remis à plus tard. Le temps que le climat politique s’apaise, que l’économie se renfloue, que l’on s’entende sur une nouvelle date, que sais-je. Toutes les échéances cruciales ayant été dépassées sans dommage apparent, un non-temps s’est emparé de l’urgence. Une immobilité accélérée pulvérise les dates. Mais ce 24 décembre n’attendra pas notre bon vouloir. Nous le célébrerons, sapin ou pas, en y mettant la forme. Il faudra que brillent les yeux des enfants et que le vieux message d’amour retrouve un peu de sens. Au moment où s’effondrent un à un nos repères, qu’il nous reste au moins celui-là. Fifi ABOU DIB
J’ai eu cette chance, survoler le Danemark, de Copenhague vers le Nord, et voir d’en haut, en plein mois de juin, les gigantesques étendues plantées de sapins pour le marché de Noël. J’ignorais, jusqu’à une information diffusée cette semaine, que le sapin danois était en quelque sorte l’élite du sapin. Mes guides, sur ce vol domestique, s’étaient amusés de mon...