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Actualités - OPINION

La paix au P-O passe par le Liban

En 1956, paraissait un article dans L’Orient dont l’auteur devait avoir plus tard un destin national, article intitulé : « Ce régime finira dans le sang. » Il ne jouait pas au prophète, il savait que les principes de neutralité du Liban et de la pacification de sa rue n’étaient plus respectés ; le président de l’époque allait à l’encontre de l’histoire et optait pour une politique d’alignement sur une partie des pays arabes et de l’Occident. Nous avons eu 1958 et tout un cortège d’événements relativement sanglants. Mosaïque de plusieurs races, ayant adopté différents monothéismes, chaque clan essaie de se renforcer par l’intermédiaire d’un protecteur et par confondre les intérêts de ce dernier avec les siens ; de là à les représenter ; sinon il verrait son influence décroître, inconsciemment ou sciemment d’accord sur l’essentiel : un Liban indépendant. A-t-il fallu l’intervention d’un étranger, néophyte de nos régions, pour flatter le penchant d’un clan étranger lui aussi et perturber l’équilibre du Moyen-Orient ? M. Kissinger, ne saisissant aucune des nuances proche-orientales, a confié cet Orient à multiples facettes à une personnalité marquante (comme le ferait tout bon Americain ), Hafez el-Assad, pensant avec son aide résoudre le problème d’Israël et la naturalisation des Palestiniens à nos dépens. Laissés à eux-mêmes et encouragés dans ce sens, ces derniers ont pensé faire passer la route de Jérusalem par Jounieh. Je me demande encore si elle passe par Gaza. Si Arafat avait réussi à ce premier stade, la cause palestinienne aurait été définitivement enterrée ; les Palestiniens auraient été naturalisés et auraient trahi leur cause en oubliant l’essentiel. Pendant ce temps, chacun des protagonistes de ce combat régional essayait de se faire passer pour le protecteur de la minorité lésée, de la renforcer et de la gagner à sa cause pour avoir la part la plus grande du gâteau. Le président Assad a essayé de redresser la barre et a dû payer très cher, en tués et blessés, cette politique. Homme de conviction, sincère envers lui-même et ses idées, convaincu du destin d’une Grande Syrie, il n’a été trahi que par les siens qui, à peine entrés au Liban, se sont comportés en colonisateurs ; d’autres encore ont pactisé avec le Palestinien au détriment de l’unité des rangs que souhaitait leur chef. L’armée syrienne a dû plier bagages sous les pressions internationales dont les auteurs ont fini par comprendre qu’on ne peut mettre le Liban, rencontre de trois continents, entre les mains de qui que ce soit sinon des Libanais eux-mêmes ; ceux qui pensaient soulager Israël des Palestiniens ont-ils finalement compris qu’ils faisaient fausse route ? La Syrie a-t-elle compris que le président Nasser, emporté par la vague de l’unité arabe qu’il avait lui-même soulevée, avait vite saisi les limites de cette unité après son entrée au Yémen et en Syrie,et s’en est retiré. Il n’a plus été question alors d’assimiler quelque nation arabe que ce soit. L’unité des rangs s’en est trouvée renforcée et n’a jamais été plus solide. En attendant, et pour mater le Liban, il a fallu diviser ses rangs, supprimer ses cadres pensants ; c’était l’intérêt de tous et celui de la pacification de toute la région aux dépens du petit État que nous formons. Que d’assassinats de politiciens et de journalistes qui croyaient dans ce pays pluraliste ! Je commencerais par les trois leaders palestiniens amis du vrai Liban tués au cours d’un raid de commandos débarqué à Ramlet el-Baïda, et cela pour éliminer les éléments palestiniens modérateurs. Les événements pouvaient commencer. Puis a débuté l’élimination des leaders du Liban. Ceux qui ont été assassinés ont un seul dénominateur commun : ils regroupaient des partisans de plusieurs communautés, dont la leur ; ils étaient garants de l’unité. Béchir Gemayel est arrivé au pouvoir avec une étiquette confessionnelle ; à peine élu, il a compris que la paix de la rue ne pouvait se faire qu’avec la participation de toutes les communautés. Il avait signé son arrêt de mort le jour où il a fait appel à Saeb Salam pour rebâtir la paix. Le résultat, nous le connaissons : Béchir a quitté ce monde et Saeb bey le Liban, après cette entrevue. La morale qu’il faut tirer ? Pas de rencontre entre Libanais sans passer par l’une de ces trois capitales : Washington, Damas ou Tel-Aviv, toutes les trois d’accord pour éviter un affrontement direct et approcher la paix au Moyen-Orient aux dépens du Liban. Aujourd’hui, nous assistons à l’entrée de l’Iran et, je l’espère pour bientôt, de la Russie ; plus ils seront nombreux, plus la paix, paradoxalement, sera proche. Il est à rappeler sous l’angle de l’unité des Libanais, les vrais leaders que sont Maarouf Saad, Kamal Joumblatt, le mufti Hassan Khaled, l’imam Moussa Sadr, Rachid Karamé, René Moawad, Sélim Lozi, Riad Taha, Rafic Hariri et tant d’autres dont la liste ne cesse de s’allonger. Il est bon de rappeler aussi que Kamal Joumblatt s’est condamné le jour où il a pris contact directement avec Raymond Eddé, et Rachid Karamé avec Camille Chamoun. Quant à Rafic Hariri , il a voulu minimiser le rôle de Damas avec sa formule : le Liban ne peut être gouverné ni contre Damas ni à partir de Damas. Toutes ces puissances régionales, et par-delà la région leurs protecteurs internationaux, se sont fait la guerre par personne interposée. La guerre des autres, ainsi qualifiée par Ghassan Tuéni. Ils se sont partagés les mêmes barbouzes ; ils n’avaient aucun intérêt à l’entente interlibanaise avant de tenter leur chance et d’attirer le plus grand nombre de Libanais. La guerre froide finie, même les États-Unis n’ont pas réussi jusqu’à maintenant à s’attirer seuls tout le Liban. Tous ces pays, puissances d’un moment de l’histoire, savent-ils que le Liban peut mieux servir leurs intérêts dans toute la région, et même au-delà, en utilisant les clans qui relèvent d’eux comme des ambassadeurs et non comme des combattants ? La paix de l’Irak passerait-elle par Beyrouth ? Pour moi, cela ne fait aucun doute, c’est bien le rôle traditionnel à nous dévolu depuis la fondation de la Ligue arabe et même bien avant. L’entente des clans libanais est un modérateur et un amortisseur qui permet au train de l’histoire d’avancer, sans effusion de sang. En 1916, l’état-major français avait confié au général Mangin, connu pour son esprit offensif, le soin de préparer un assaut en rase campagne pour repousser les troupes allemandes. À l’exposé de son plan, un membre de l’état-major attirait l’attention sur le fait que ce plan causerait beaucoup de morts. La réponse du général a fusé : Quand on veut faire une omelette, il faut casser des œufs. Réponse de Roland Dorgelès, écrivain, mobilisé, sorti invalide de cette guerre : « Mon général, les œufs c’est nous. » Aujourd’hui, les œufs du Moyen-Orient, c’est nous. La « guerre des autres » se fait toujours chez nous. Et pourtant, toutes les cartes sont étalées sur la table, tout un chacun peut les lire (Libanais compris? ) : – Israël veut bien donner une patrie de rechange aux Palestiniens, mais pas au détriment de son territoire. Ils préfèrerait les loger dans la zone baptisée par leur média Fatehland. Pourtant, la volonté d’un Occident déchristianisé de donner une patrie promise depuis la Bible aux fils d’Abraham ne s’est jamais démentie, en oubliant qu’Ismaël, ancêtre des Arabes, est le fils aîné de ce dernier et que les Palestiniens ne demandent pas l’aumône d’une patrie, mais revendiquent un droit sacré. – La Syrie considère le Liban comme sa chasse gardée ; après tout, ses dirigeants ont toujours considéré notre pays comme une mohafazat qui n’est que le résidu du morcellement voulu par la colonisation. Voilà pourquoi les Syriens ont accepté le projet de paix Kissinger en contrepartie d’un Liban dans leur giron. À un moment donné même, ce dernier, ou un de ses acolytes, a suggéré aux maronites en particulier de prendre les navires qui les attendaient au large. Le vide aurait été vite rempli. Erreur, le Libanais n’est pas un migrant comme l’habitant du Far-West. Et ceux qui devaient jouir d’une victoire de leur clan, préférant le statu quo, commencaient à comprendre que le Palestinien nationalisé serait aux commandes du Liban à leurs dépens. – Nous sommes habitués à cohabiter et à bâtir le futur ensemble, contredisant certains qui pensent, de guerre lasse, que deux négations ne font pas une nation. C’est ce qu’ont pensé certains protagonistes, partisans d’une partition et qui, aujourd’hui, lèvent bien haut l’étendard d’un Liban unique. Le Liban peut encore mieux servir même les grandes puissances si elles utilisent les clans qui dépendent d’elles pour les travaux d’approche ou de quelque autre manière. Les Libanais sont las d’être les œufs de l’omelette. Les Americains savent-ils que leur meilleur soldat dans ce Moyen-Orient est l’Université américaine ? Elle dispense leur culture, leurs idées, leur savoir et par la même occasion ses diplomés, qui dispensent ses produits à travers les trois continents dont le Liban est la convergence. Pendant ce temps, ses boys se font massacrer en Irak et ailleurs pour imposer cette même culture par la force. Oui, la paix peut passer par le Liban. Le drame est arrivé au stade où si l’un des protecteurs d’un clan entendait raison et refroidissait son élan ; la situation serait grave. Il faudrait qu’il s’entende avec ses autres protagonistes pour accepter notre Liban. Il ne leur appartient pas ; il est à tous. Pays d’accueil, pays de culture, pays de paix que les grands et moins grands ont changé en pays de ruines, d’assassinats et de tuerie. Mais rassurez-vous, nous vous y avons aidés. Que les vrais politiciens me pardonnent d’avoir jeté une pierre dans un jardin qui n’est pas le mien. Je l’ai fait en hommage à ceux que j’ai connus et appreciés et qui ne sont plus. Je voudrais rapporter à ce sujet la beauté de cette réponse de Saeb bey faite en 1958 à un émissaire de l’opposition chrétienne qui lui demandait d’envoyer des armes dans la montagne pour montrer qu’il y avait une autre opposition que la musulmane : « Ici à Basta, nous sommes tous mobilisés sans effusion de sang entre Libanais parce que l’armée nous sépare des partisans de l’autre clan ; si la montagne est armée, il y aura beaucoup de sang versé et ce sang est celui de mon pays. » Et pour conclure, en espérant cette entente interlibanaise à l’occasion de l’élection présidentielle, où le seul programme qui amènera la paix dans la rue sera celui de la neutralité entre l’Est et l’Ouest tout en préservant l’intérêt de tous, et pour consoler cette pléthore de candidats à ce poste de grande responsabilité – il y aura une grande majorité de déçus –, rappelons que ce poste est sans avenir. Jean HARFOUCHE Architecte
En 1956, paraissait un article dans L’Orient dont l’auteur devait avoir plus tard un destin national, article intitulé : « Ce régime finira dans le sang. » Il ne jouait pas au prophète, il savait que les principes de neutralité du Liban et de la pacification de sa rue n’étaient plus respectés ; le président de l’époque allait à l’encontre de l’histoire et...