RENCONTRE - Nadir Moknèche au Festival du cinéma européen et Biyouna en concert au Music-Hall Double regard et multiples délices

Elle est une star populaire en Algérie. Lui est un jeune réalisateur algérien établi en France. À deux, ils ont déjà signé trois films. Plus qu’une collaboration, il s’agit d’une grande amitié qui lie l’actrice Biyouna à Nadir Moknèche.Venus au Liban pour présenter leur film «Délice Paloma», la comédienne a donné à cette occasion un concert au Music-Hall. Dans le film Délice Paloma de Nadir Moknèche, elle est Madame Aldjéria, une femme pas commode, infréquentable, proxénète au grand cœur ; une solution à tous les problèmes et, comme elle le prétend, une bienfaitrice nationale. Dans la vie, Biyouna est une icône en Algérie, une star populaire de la télévision devenue (sur le tard) comédienne et chanteuse qui a su néanmoins préserver son authenticité et l’irrévérence de ses débuts. « Dans la vie, on fait très peu de rencontres qui vous bouleversent, avoue le réalisateur. Biyouna en est une. Elle représente pour moi l’enfance. En effet, pour nous punir, mes parents avaient l’habitude de nous priver de la série télévisée où elle interprétait un rôle très comique. J’ai toujours su, après mes études d’art dramatique, que je la ferai un jour jouer dans mes films. » Une collaboration qui commence en 1999 sur les plateaux du Harem de Madame Osmane et qui se poursuit jusqu’à présent. Ce à quoi l’actrice répond : « Je lui dis tous les jours merci (ou en algérien Rabbi hnin krim) non seulement pour son regard de professionnel, mais pour avoir eu confiance en moi. Lui seul avait la clef du tiroir. Seul lui a pu montrer l’envers du miroir, la face cachée. » Un rêve devenu réalité En Algérie, on la dit grande gueule, rebelle et révoltée, mais surtout courageuse. De ses jours noirs, de ses vaches maigres, de ses déceptions et de ses désillusions, elle en a tiré une force et une foi inégalables qu’elle traduit dans les caractères qu’elle incarne : « Je ne regrette pas d’avoir commencé ma carrière un peu tard, dit-elle. Si j’avais été star plus tôt, j’aurais peut-être été corrompue par les plaisirs de la célébrité, quant à maintenant je les déguste et les savoure lentement. » Et lui d’ajouter : « Je savais, en lui confiant le rôle de Madame Aldjéria (qui est un personnage dur), qu’elle finirait par le rendre touchant et aimable, car Biyouna est une comédienne qui s’investit totalement dans ses rôles. » Grâce au rêve d’enfant qu’elle nourrit dans le film (à savoir, racheter les thermes de Carcalla ), Madame Aldjéria, alias Biyouna, parvient à émouvoir les spectateurs. À travers cette symbolique du retour aux sources, voire de la purification par l’eau, le cinéaste offre une sorte de rédemption à son caractère principal, une issue de secours. De cette porte de secours faudrait-il comprendre également une seconde chance donnée à l’Algérie, le pays natal que le réalisateur a quitté tout jeune pour s’établir en France ? « Si je suis parti, c’est pour m’installer dans un pays où l’individu est respecté. Parce que les sociétés européennes sont plus égalitaires que les nôtres », renchérit-il.  Cette Algérie dans tous ses états, le jeune metteur en scène a su l’illustrer à travers un échantillonnage de femmes. Voilée ou moderne, soumise ou rebelle, la gent féminine possède un potentiel dense et riche que le regard de Nadir Moknèche a su mettre en évidence. Et ce n’est certes pas par hasard que le fils de Madame Aldjéria élève des oiseaux sur le toit de l’immeuble. Dans cette image, l’allusion à la liberté rallie l’idée de la paix évoquée par le titre, Délice Paloma. Car même si ce nom fait référence à une douceur orientale (glace aux amandes pilées...), il n’est pas sans rappeler la colombe de la paix. Une paix à laquelle aspire l’Algérie et pourquoi pas le monde entier ? semble se demander Moknèche. Colette KHALAF