GALERIES - « South Border », un nouvel espace consacré à l’art latino Toutes les palettes de Cuba à Gemmayzé

Installé au deuxième étage de l’immeuble de « Ahwet el-Ezzez » à Gemmayzé, le « South Border » de Michel Daher n’a strictement rien à voir avec la frontière sud. Il s’agit ici d’une enseigne d’art plutôt que de guerre. Un espace aux couleurs de l’Amérique du Sud, qui arbore sur ses murs jaunes, bleus, mauves ou vert anis, des peintures venues directement du Brésil, du Chili et surtout de Cuba. Dans cet ancien appartement que Michel Daher vient de reconvertir en galerie d’art latino, l’exubérance des œuvres qui y sont présentées s’accorde parfaitement avec la décoration des lieux. Un aménagement qui évoque par bien des aspects les vieilles demeures de La Havane. Murs aux couleurs des Caraïbes, dallage à motifs anciens et meubles disparates : mélange de pièces antiques et de design brut, à l’instar d’une table basse composée d’un simple battant de porte en bois sur piètement... Un « cadre à la cubaine », où ce globe-trotter passionné de peinture a entreposé son butin d’esthète : des tableaux à profusion, des sculptures et des pièces de design en séries limitées. Car il a fait le tour du monde, Michel Daher, avant de revenir au Liban. D’Afrique au Danemark, en passant par la France, l’Angleterre, la Suède, l’Espagne, le Brésil, Cuba et j’en passe, cet ancien directeur de multinationale, puis responsable de l’association Aid for Aids dans les Caraïbes avant de se reconvertir, il y a six ans, en marchand d’art, a longtemps vécu à l’étranger. « Et nulle part, assure-t-il, je n’y ai trouvé la mixité, la diversité, l’ouverture aux autres et la tolérance de la société libanaise. » Autant de raisons, le mal du pays en plus, qui l’ont donc poussé à « défier » la conjoncture actuelle pour venir ouvrir à Beyrouth une galerie consacrée à l’art sud-américain. Ce créneau, encore inexploité ici, est la spécialité par excellence de Michel Daher. Lequel a fréquenté de près les artistes sud-américains, en particulier les peintres cubains, fasciné par leur talent. « J’ai accompagné pendant des années le travail de plusieurs jeunes peintres à La Havane. Dans cette île où ils n’ont accès à aucune information en provenance de l’étranger, où ils ne savent rien des nouveaux courants artistiques, où ils doivent travailler avec très peu de moyens, au point qu’il leur arrive de manquer de pigments et de certaines nuances de couleurs, les artistes font preuve parfois d’un véritable génie », dit-il. Un art narratif Des artistes – tel ce jeune dessinateur qui, à défaut de matériau, utilise le bitume pour croquer des scènes magnifiques à l’effet sépia – qui font feu de tout bois pour raconter les Caraïbes. Car si les styles, les sujets, les couleurs diffèrent, une constante demeure : l’art cubain contemporain reste un art narratif. Qu’il soit naïf, réaliste, symbolique, néoréaliste mâtiné de surréalisme, etc., il exprime, évoque, dévoile les arcanes d’une culture despotiquement refermée sur elle-même. Une culture néanmoins riche de traditions, de pétulance et de créativité. Laquelle s’exprime aussi bien à travers des paysages secoués par les intempéries et les tornades de Yonniel, les portraits fantaisistes aux couleurs « fruitées » de femmes aux formes « botéresques » de Jesus Nodarse, la vitalité des scènes galantes signées Roberto Valentín... Mais encore, l’univers onirique de Aisar Jalil Martinez, traduisez Kaïsar Khalil, un Cubain d’origine libanaise, de Ghazir plus précisément, qui, avec Camille Abou-Jaoudé, au nom suffisamment éloquent, font partie du panorama des peintres latinos contemporains que vous propose de découvrir Michel Daher. Zéna ZALZAL