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VIENT DE PARAÎTRE - « Tom est mort » (POL)*, sélectionné pour les prix Goncourt et Femina Marie Darrieussecq entre les ourlets de l’espace et du temps

Chaque année souffle sur la rentrée littéraire un vent de polémiques. Si les critiques avaient été bienveillantes pour Jonathan Littell en 2006, son roman avait pourtant d’abord suscité moult commentaires et vindictes opposés. Cette année 2007, c’est au tour de la romancière Marie Darrieussecq d’être au centre de la cible avec son livre « Tom est mort », paru chez POL et sélectionné pour le Goncourt et le Femina. Objet de tous les reproches, mais également adulée et louée, cette œuvre poignante, n’en déplaise à la controverse, est l’une des plus marquantes de cette rentrée littéraire. «Tom est mort. J’écris cette phrase. » C’est par ces deux simples phrases sobres et épurées que Marie Darrieussecq foule à petits pas le sanctuaire de la mort. Et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agit de celle d’un enfant. Dix ans après la mort de Tom (elle en fixe la date et même le lieu, à Sydney, ce qui semble dans les normes du deuil), elle se décide à écrire. À placer des mots. Attention, champ miné ! s’écrieront certains. Profanation des tombes ! s’exclameront, indignés, les autres. La mort d’un être cher, et pis encore celle d’un enfant, est un sujet tabou. Qu’il ne faudrait pas s’amuser à déterrer, même avec des mots. Dans son huitième roman de fiction, considéré aussi comme autofiction puisqu’elle emploie le « je », Marie Darrieussecq fait l’autopsie d’un deuil, voire de l’état de deuil. Au fil des phrases alignées l’une à côté de l’autre, l’une après l’autre et des images empilées l’une sur l’autre, l’une sous l’autre, sa plume devient un scalpel avec lequel elle dissèque, décortique et découpe pour enfin reconstruire. Tom est mort. Ce titre est en toute évidence une affirmation. D’ailleurs c’en est l’unique du livre. À partir de cette constatation ou plutôt de ce constat de mort, tout est négation. Tout devient interrogation. Pas de pathos Pour dessiner le profil de la mère endeuillée (la veuve a, selon la romancière, un nom, l’orphelin aussi, mais la maman qui a perdu un gosse ne porte le titre que de mère endeuillée), Darrieussecq a choisi de triturer les replis de l’espace et du temps. Elle en délimite le territoire. Sydney, un lieu insaisissable, situé comme au bout du monde de la réalité, mais également des lieux intimes, « deux zones, rouge et blanche, où les paralytiques », dit-elle, les amputés, les grands brûlés de la souffrance s’y déplacent en un va-et-vient oscillatoire. « Je ne pleurais pas devant les enfants, ni devant Stuart. Je pleurais seule. Nous étions chacun comme un enfant abandonné qui se balance assis par terre. Il n’y a pas de consolation. » Après le lieu, il fallait aborder le thème du temps. « Commencer par où ? interroge le caractère principal du livre. Le jour où Tom est mort ? La date ? Mais rien ne semble chronologique là-dedans. Comme si les vies avançaient d’une façon sérielle. » Là encore, Darrieussecq joue sur l’affirmation par la négation. « La mort ne m’a rien appris, dit-elle. Elle m’a désappris. » Des mots justes, extirpés des tripes. Car pour pouvoir montrer du doigt la douleur, il faut se faire violence. La mort dont parle la romancière n’est pas seulement celle de Tom (le nom de celui-ci est si petit, si indéfinissable qu’il est dépourvu d’identité). C’est la mort qui touche en général un être cher. Vécue ou non, cette expérience, toute mère la redoute comme une terrible épreuve et c’est Marie Darrieussecq qui sert les expressions crues et vraies, sans fioritures et sans aucun pathos. Des mots au tamis Ne préparez pas vos mouchoirs, car avec Darrieussecq les mots ne font pas verser des larmes, mais plongent dans un monde de limbes. Hors du temps et de l’espace. Et pourtant, la romancière a choisi des images tirées du réel. Elle frappe même par la précision des détails vrais de la vie quotidienne : degrés de stress, urnes funéraires, appels téléphoniques aux parents, les réactions de chacun (car un deuil, c’est tout un microcosme qui le vit, mais chacun à sa manière). Son regard qui n’est pas sans rappeler les cinéastes qu’elle aime, comme Godard ou encore l’hyperréalisme de Camus dans l’Étranger. Dans sa recherche d’un nouveau vocabulaire à l’usage uniquement des endeuillées des enfants, l’auteur découvre son propre langage et formule son vocable personnel. Du début jusqu’à la fin, même si certains critiques, voire détracteurs déplorent l’ennui (« aucune action n’a lieu à part la mort de Tom »), Marie Darrieussecq a su faire un parcours sans faute entre limbes et enfers, et envelopper son texte d’un film protecteur. Par respect et par révérence. Alors, pourquoi la polémique ? Tout a commencé avec Camille Laurens, pour faire par la suite boule de neige. Auteur publiant chez POL (maison d’édition où entrera Darrieussecq peu après), Laurens avait publié en 1995 un court récit, Philippe, abordant la mort de son bébé deux heures après sa naissance. C’est sur ce livre et cette réalité de deuil qu’elle va s’appuyer, dans un texte intitulé « Marie Darrieussecq, ou le syndrome de coucou », pour attaquer sa collègue. Lorsque Camille Laurens lit pour la première fois Tom est mort, elle dit « avoir ressenti un vertige de douleur, le sentiment d’une usurpation d’identité, la nausée d’assister par moments à une sorte de plagiat psychique. J’ai eu le sentiment en le lisant, poursuit-elle, que le livre avait été écrit dans ma chambre, le cul sur ma chaise ou vautrée dans mon lit de douleur... » Pour étayer ces accusations, l’auteur affirme dans cet article haineux de La Revue littéraire (éditions Léo Sheer) avoir reconnu certains passages de Philippe. Pour Camille Laurens, Tom est mort « pose la question du cynisme et de l’obscénité » car Darrieussecq n’a pas vécu, comme elle, le drame et le deuil d’un enfant. À laquelle, l’auteur de Truismes, répond : « Sans doute est-ce une grande transgression d’écrire une fiction avec la mort d’une enfant mais, avec les tabous, on ne peut pas écrire. Si l’on pense qu’il y a des sujets interdits, autant ne pas écrire. » Se sentant calomniée et émue par cette attaque haineuse, gratuite, Marie Darrieussecq évoque la justification par le seul vécu qui pose la question de l’autofiction : « Je suis un écrivain de fiction et j’ai voulu, dans un récit décalé, décrire les étapes de la douleur. J’ai pensé à Françoise Dolto qui parle des universaux du deuil. Les mères endeuillées ont toutes les mêmes cris... » Et d’ajouter : « J’ai lu Philippe à sa sortie en 1995, c’est un des livres qui font que j’ai choisi POL comme éditeur. Camille Laurens semble penser que la douleur est sa propriété privée. La douleur n’est pas unique, mais individuelle. Et le roman peut en faire entendre l’universalité. » Enfin Marie Darrieussecq conclut dans cet entretien accordé à Libération le 30 août 2007 que « ces attaques cachent des histoires de personnes et quand un écrivain veut tuer un autre, l’arme la plus efficace serait l’accusation de plagiat. » Quant à Paul Otchakovsky-Laurens (responsable des éditions POL), il semble avoir mis fin à cette polémique en affirmant avec véhémence, dans un article paru dans Le Monde du 31 août 2007, que POL continue son travail en faisant fi de ces attaques issues « d’une paranoïa sans rivages » de la part de Camille Laurens qu’il ne souhaite plus publier. Évoquant le travail ardu de l’éditeur qu’il est, qui lit et relit les manuscrits de chaque auteur, passionnément, parce qu’il les choisit et les aime sans partage. S’agissant de Marie Darrieussecq, il dit : « Son œuvre habitée s’appuie sur un imaginaire puissant, et chaque lecteur y fait cette expérience cruciale de se retrouver au plus intime de lui-même, d’y reconnaître sa propre vie. » La question finale qui se pose donc au lecteur ne peut se conjuguer qu’au conditionnel. Et si Marie Darrieussecq avait vécu l’expérience de Camille Laurens, celle de la mort d’un enfant, son roman aurait-il été plus puissant, plus vrai, plus beau ? Cette question, c’est au lecteur et à lui seul de se la poser lorsqu’il aura choisi d’avancer, tout comme l’a fait Darrieussecq, à pas feutrés, dans le livre Tom est mort, qui a osé casser les tabous et pénétrer dans le sacré au moyen du profane qu’est la fiction. Colette KHALAF * Disponible à la librairie al-Bourj. Marie Darrieussecq en quelques dates 1969 : Naissance dans le pays Basque. 1990-1994 : École normale supérieure, université de Paris. Diplôme de lettres modernes. 1996 : Premier roman paru chez POL, Truismes est en fait son septième roman. 1997 : Thèse sur « L’Ironie tragique et l’autofiction entre autres chez George Perec ». 1998 à 2005 : Trois romans différents sur un thème favori : « La relation mère-fille ». 2004 : Conte, Claire dans la forêt. 2007 : Pièce de théâtre : Le Musée de la mer. 2007 : Tom est mort.
Chaque année souffle sur la rentrée littéraire un vent de polémiques. Si les critiques avaient été bienveillantes pour Jonathan Littell en 2006, son roman avait pourtant d’abord suscité moult commentaires et vindictes opposés. Cette année 2007, c’est au tour de la romancière Marie Darrieussecq d’être au centre de la cible avec son livre « Tom est mort », paru chez...