Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

À propos de l’émission de France 2 « Liban, pays des esclaves » On ne tire pas sur une ambulance Nicole Dagher-KhaÏrallah

Toutes les bombes du Liban ne m’ont pas « tuée » autant que Le Monde, France 2, Envoyé Spécial et surtout Mme Dominique Torrès. Je suis de ce Liban « pays des esclaves », je suis de ce Liban « esclave » de ses frontières, « esclave » de ses milliers de morts, de ce Liban « esclave de sa solitude », de ce Liban « si ouvert » aux quatre vents que Mme Torrès aurait pu « shooter » sans caméra cachée. Je suis de ce pays du Cèdre comme on l’appelait sur le plateau de France 2 pour y associer aussitôt le mot « esclavagiste ». Je suis de ce pays à l’histoire millénaire, de ce pays « esclave oublié » dans tant de consciences et avec tant d’inconscience… Je suis de ce pays qui a probablement failli en tant d’années de guerre aux droits de l’homme, mais à qui les droits de l’homme ne reconnaissent plus aucun droit autre que celui de mourir, et mourir encore et toujours. Mais je suis également de ce pays qui sent si bon la fleur d’oranger, de ce pays où la fierté d’appartenance donne un éclat particulier, de ce pays qui rêve encore de paix, de ce pays « dont le soleil continuera à me brûler éternellement la poitrine », comme le disait une grande dame qui a écrit un si beau livre sur ce pays meurtri. Je suis également d’un autre pays, dont je suis fière. Du pays de mon autre acte de naissance. Du pays des droits de l’homme et de la liberté. Du pays du siècle des Lumières. De cette France qui auréole toujours au Liban «  protectrice » à défaut de protectorat. J’ai le droit du sol et le droit du sang. Ce sang qui m’irrigue en permanence avec pour credo : liberté - égalité - fraternité Et c’est cette Franco-Libanaise qui écrit aujourd’hui avec tout ce qu’elle a dans les « tripes » de « ses » deux pays. J’écris avec rage, avec honte, avec stupéfaction et hébétude. J’écris avec l’insulte au fer blanc encore brûlante dans ma poitrine. J’écris surtout avec tant de tristesse ! Je suis « sonnée » de voir combien Le Monde et France 2 sont aujourd’hui « dépourvus » et n’ont plus rien à se mettre sous la dent pour encore oser « ronger cet os d’esclavagistes qu’est le Liban pourtant déjà rongé jusqu’à l’os » ! Combien la responsabilité de ceux qui font les programmes, de ceux qui ont le devoir d’information est atrophiée pour avoir permis de passer en une semaine un article et un reportage pareils à la veille d’une élection qui, si elle n’a pas lieu, va plonger le Liban dans un tel chaos que nous accepterions même l’aide de Mme Torrès pour le défendre. Je ne conteste absolument pas le sujet du reportage. Ce reportage est vrai. Ces femmes venues travailler au Liban sont parfois victimes d’abus comme le montre Mme Torrès. Son reportage à ce niveau l’honore. Mais j’aurais tant aimé qu’elle ne fasse pas de son reportage un amalgame « esclavagiste ». Un amalgame où tout un pays et un peuple sont « nominés ». Un mot, un seul, aurait suffi. Mais elle ne l’a pas dit. Elle, qui a écrit et dénoncé tant d’exactions de par le monde, aurait dû être sensible à la nécessité de faire le tri. C’était sa responsabilité de reporter. De témoin ! Elle aurait pu, si elle ne voulait pas parler du reste des Libanais innocents, et ils sont très nombreux, faire au moins référence à toutes ces femmes venues travailler au Liban et qui y reviennent « en famille » depuis tant d’années, qui parlent si bien notre langue et dont nos enfants parlent la leur. Nos enfants qui ont été bercés avec des mots d’amour et des comptines venus des Philippines, du Sri Lanka, du Bangladesh, d’Éthiopie et d’ailleurs. Ces femmes et ces hommes existent. Ils peuvent témoigner que le Liban entier n’est pas terre d’esclaves. Pourquoi insulter un peuple entier, un pays entier pour des exactions qui ne sont pas le peuple ni le pays ? Pour mémoire, le seuil de pauvreté est tel au Liban que peu de gens peuvent avoir « une bonne », pour reprendre le terme employé par Mme Torrès. Et puis le comparatif des salaires traduit en euros aurait plus honoré l’article dans Le Monde s’il avait été accompagné du comparatif du salaire de base du Libanais moyen. Lorsqu’il a un salaire ! Les lecteurs auraient compris alors qu’il reste « des innocents » au Liban. Mais cela aussi a été refusé. Pourquoi ? Hors sujet ? Encore une fois, je ne conteste absolument pas l’horreur et la vérité de ce qui a été montré. Je ne conteste absolument pas le calvaire de ces femmes. Il faut que cela cesse. Mais Mme Torrès aurait pu « zoomer » tous les pays voisins qui pratiquent le « même esclavagisme ». Elle aurait pu s’en émouvoir dans ce reportage. Ne serait-ce qu’une allusion, et « l’honneur d’un peuple entier aurait été sauf ! ». Elle pouvait le faire avec tout ce qu’elle connaît si bien sur le sujet et qui encore une fois l’honore. Mais insulter un peuple entier en prenant pour emblème son emblème national, cet arbre légendaire, le cèdre, qui figure et qui est figure de son drapeau national, quel gâchis ! « Au pays du Cèdre », entendait-on chez Envoyé spécial… Cela apportait-il quelque chose de plus au reportage ? À part le « besoin de dénoncer par deux fois le Liban », très humblement, je ne le crois pas. Toutes les chancelleries du monde sont au chevet du Liban depuis des années et particulièrement en ces jours spéciaux d’avant-élection, d’avant-chaos. La France déploie des efforts immenses pour que la présidentielle ait lieu. Pour qu’il ne sombre pas irrémédiablement. Était-ce vraiment le moment de publier ce reportage ? L’urgence du Liban était-elle là aujourd’hui ? Le rédacteur en Chef du Monde, le président de France 2, les rédactrices en chef d’Envoyé spécial pensent-ils réellement que ce reportage n’aurait pu être différé de quelques jours ? Devait-il surtout être publié avec cet intégrisme totalitaire ? Ne pouvaient-ils au moins obtenir une phrase, une seule, qui dédouane tous ces Libanais qui ne sont pas « esclavagistes » ? Insulter un peuple entier est une très lourde responsabilité. J’aurais eu honte de la cautionner pour vendre et non pour informer. L’information vraie est exigeante. Elle est faite des deux facettes du miroir. Ce racisme information est indigne des grands responsables de l’information. La liberté des médias ne suppose pas que l’on insulte un pays aussi facilement. Elle ne donne pas le droit aux amalgames sans distinction de vérité. Pour moi, la liberté de la presse est une caution. Une caution de liberté, une caution de vérité justement. Elle n’a pas été respectée dans ce reportage. Elle n’a pas été respectée pour mon pays et mon peuple. Mme Torrès parle de décrets, de droits de l’homme, de tant de mots qui, pour les enfants du Liban, ne sont que paroles, paroles. A-t-elle pensé à la résonance de ces mots chez ceux qu’elle a exclus de son reportage ? Et surtout Mme Torrès avait cette voix revancharde jusqu’à l’extrême pour nous dénoncer tous. Pour dénoncer le Liban. Pourquoi ? Sa révolte l’honore et nous sommes tous avec elle pour défendre ces femmes victimes. Mais sa douleur l’égare. Aucun mot sur les Libanais innocents. Aucun mot sur ce pays exsangue. Aucun mot pour ces milliers et milliers de personnes qui vivent l’insoutenable, qui paient pour des politiques étrangères dont le Liban est l’esclave géographique. Pourquoi cet acharnement ? Pourquoi ce reportage maintenant ? Pourquoi personne n’a réagi ? Mme Torrès, Le Monde, France 2, Envoyé spécial ont insulté le Liban sur écran géant. Ils ont insulté un peuple entier sans prendre garde à ce que cela pouvait être le lendemain, au bureau, chez le boucher, à l’école surtout. Nos enfants « esclaves d’une réputation » y ont-ils pensé ? Comment vont-ils porter encore ce nouveau « synonyme » du Liban ? Je ne savais pas que tirer sur une ambulance à la veille de voir le malade de l’ambulance s’enfoncer plus encore était de l’information. Et pourtant, mon métier est l’information. J’ose insister encore et encore, et alerter sur le fait que cette information globale est esclavagiste. C’est de l’esclavage moderne car elle prive de liberté de réponse tous les innocents qui ne peuvent ou ne savent le faire. Qui vont porter cette tache indélébile octroyée par Mme Torrès et les médias concernés pour toujours. J’ose rappeler que toute privation de liberté est synonyme d’esclavage. Toute insulte d’un peuple entier est contraire aux droits de l’homme. C’est pourquoi je crie au nom de tous les miens : au secours, Mme Torrès, le pays du Cèdre, le Liban entier est victime d’esclavagisme moderne, vite défendez-nous ! Vous le faites si bien. Et surtout Le Monde et France 2 seront preneurs. Nous ferons tous des affaires. Voilà un beau sujet : « Les affaires au pays du Cèdre ». Qu’en pensez-vous ? Nicole Dagher-KhaÏrallah P-S : Merci de vous reporter ne serait-ce que sur le blog d’Envoyé spécial pour comprendre les dégâts de ce reportage pour le Liban et les Libanais. Tant de haine soudaine et suiviste contre ce « pays d’esclaves qui mérite ce qui lui arrive, même la guerre et les morts »… Article paru le mardi 23 octobre 2007
Toutes les bombes du Liban ne m’ont pas « tuée » autant que Le Monde, France 2, Envoyé Spécial et surtout Mme Dominique Torrès. Je suis de ce Liban « pays des esclaves », je suis de ce Liban « esclave » de ses frontières, « esclave » de ses milliers de morts, de ce Liban « esclave de sa solitude », de ce Liban « si ouvert » aux quatre vents que Mme Torrès aurait...