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Une mentalité patriarcale qui remonte à l’Antiquité Joëlle Haroun : Apprendre l’interdit de l’inceste dès la maternelle, pour vaincre cette pratique

«Vous savez, la semaine dernière un homme a tué son beau-frère parce qu’il a épousé sa sœur sans son consentement. » Cette histoire racontée le plus sérieusement du monde par un responsable au sein d’une tribu dans la Békaa n’est qu’un des nombreux exemples d’assassinats qui continuent à être commis au nom de l’honneur dans certaines régions éloignées du Liban. Derrière ces actes, qui malheureusement passent sous silence ou sont relatés comme un simple fait divers, se cache toute une mentalité patriarcale qui reste encore en vigueur dans notre pays. Selon cette mentalité, « la femme est la propriété de l’homme qui, seul, peut en faire usage ». « Le crime d’honneur est une pratique méditerranéenne qui remonte à plusieurs siècles, bien avant le christianisme », explique Joëlle Haroun, spécialiste en ethnopsychologie et professeur à l’Université libanaise. « On la retrouve même dans l’Évangile, avec l’exemple de la femme adultère, châtiée par lapidation. » « Dans la majorité des cas, les crimes d’honneur sont liés à l’inceste, poursuit-elle. C’est ainsi que pour protéger les femmes des hommes de la famille, on a institué le tabou de la virginité. Donc, si on touche à la virginité de la fille, c’est comme si c’est l’homme de la famille qui en aurait abusé. Et ce n’est pas l’honneur des filles qu’on essaie de restaurer dans ces cas, mais celui des hommes. » « On distingue en fait deux types de population, ajoute Joëlle Haroun. Celle chez qui l’interdit de l’inceste est clairement défini et celle au sein de laquelle le tabou de la virginité ressort, à défaut d’un interdit de l’inceste. Or l’inceste existe depuis l’Antiquité. L’Égypte pharaonique l’était. On retrouve également des cas d’inceste dans l’Ancien Testament, avec Abraham qui est marié à sa sœur Sarah, ou encore les filles de Lot qui couchaient avec leur père. » Est-ce que cette région du monde a conservé ces coutumes ancestrales ? « Il faut bien comprendre que les coutumes ont la vie longue et qu’on les retrouve, en général, dans les sociétés contemporaines, répond-elle. On a beau évoluer sur le plan technologique, la profondeur de l’inconscient collectif et des cultures, elles persistent. Les cultures sont quasiment indestructibles. Les faire évoluer nécessite un cheminement excessivement long, très bien planifié et codifié. » Le Liban, un cas particulier Le Liban est un cas particulier, affirme la spécialiste, soulignant que du point de vue anthropologique, le pays était le seul de la région qui avait clairement énoncé l’interdit de l’inceste dès l’Antiquité. « Le tabou de la virginité n’y existait pas », affirme-t-elle, remarquant que les jeunes filles phéniciennes faisaient en fait don de leur virginité au temple, à l’âge de 15 ans. Ce n’est que plus tard que le Liban a acquis le tabou de la virginité, avec l’arrivée d’autres peuples qui introduisirent leurs coutumes. « Au Liban on retrouve une double structure : l’interdit de l’inceste et le tabou de la virginité, constate Joëlle Haroun. La société actuelle essaie de jongler et de trouver une espèce d’échappatoire entre cet interdit de l’inceste et ce tabou de la virginité qui est venu se placer d’une façon historique dans la vie des femmes pour les protéger. Et celles-ci se débrouillent parfaitement avec leur virginité. Et en toute conscience. » En fait, elles ont trouvé la solution au problème avec l’hyménoplastie ou d’autres stratagèmes pour faire croire à leur virginité (voir notre édition du 1er octobre 2007). « En Iran, à titre d’exemple, l’hyménoplastie est un quasi-sport national. Les femmes veulent faire croire à leur virginité pour éviter les conflits, les agressions, mais surtout pour éviter de se faire tuer. » Signalant que le tabou de la virginité est un problème que l’on retrouve aussi dans certaines sociétés traditionnelles, comme en Sicile ou en Calabre, ou encore en Espagne du Sud, « où l’on risque d’arriver au crime d’honneur », Joëlle Haroun insiste : « Les crimes d’honneur sont une spécificité des sociétés endogames, fermées sur elles-mêmes, où l’on se marie entre soi. Dans ces sociétés, le mari préférentiel demeure le cousin germain paternel, et si le père et le frère n’ont pas donné leur autorisation, l’union est interdite. Il faut de même noter que dans ces sociétés, où l’homme a un pouvoir absolu sur les biens matériels, humains et le bétail, celui-ci choisit le mari de sa sœur ou de sa fille. Dans les sociétés exogames, le problème du crime d’honneur ne se pose pas. » Limitation du pouvoir de l’homme Commentant la fatwa émise par l’uléma Mohammad Hussein Fadlallah, qui avait appelé à considérer le crime d’honneur comme un crime de droit commun ordinaire, Joëlle Haroun dit : « Cette fatwa est très importante, d’autant qu’elle reconnaît la limitation du pouvoir des hommes et réduit leur pouvoir juridique. Mais les hommes sont-ils prêts à lâcher leur pouvoir absolu ? » Pour sortir du problème, la spécialiste ne voit qu’une solution : apprendre « collectivement » l’interdit de l’inceste à l’école, dès la maternelle. « C’est ainsi que l’on pourrait construire une conscience collective », conclut-elle. Dans certaines écoles, un programme sur l’interdit de l’inceste a en effet déjà été introduit. La tâche n’est pas des plus faciles. Elle nécessite un long souffle et une diplomatie infinie. Mais elle pourrait porter ses fruits.
«Vous savez, la semaine dernière un homme a tué son beau-frère parce qu’il a épousé sa sœur sans son consentement. » Cette histoire racontée le plus sérieusement du monde par un responsable au sein d’une tribu dans la Békaa n’est qu’un des nombreux exemples d’assassinats qui continuent à être commis au nom de l’honneur dans certaines régions éloignées du Liban....