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Actualités - OPINION

Commentaire - Le point de vue d’un académicien à l’Université de Californie Richesse et culture des nations

Par Gregory Clark* Les économistes modernes considèrent Adam Smith comme un prophète, à l’instar des régimes communistes qui déifiaient autrefois Karl Marx. Le principe essentiel qu’ils attribuent à Smith – à savoir que des mesures d’incitation efficaces, quelle que soit la culture, produisent de bons résultats – est devenu le grand commandement économique. Il s’agit pourtant d’une interprétation erronée de l’histoire (et probablement des écrits de Smith). La croissance moderne n’est pas due à de meilleures motivations, mais à la création d’une nouvelle culture économique dans des sociétés comme celles de l’Angleterre et de l’Écosse. Pour stimuler la croissance des sociétés pauvres, il est nécessaire de changer les cultures, pas seulement leurs institutions et leurs avantages, et de faire mieux connaître aux individus de ces sociétés la vie dans les économies avancées. Malgré la croyance quasi universelle des économistes selon laquelle les mesures d’incitation sont primordiales, trois caractéristiques de l’histoire mondiale témoignent de l’importance de la culture. • Par le passé, les gouvernements les plus compétents – c’est-à-dire ceux qui ont pleinement soutenu leur population – étaient indissociables de la stagnation économique. • Les mesures d’encouragement des activités économiques sont bien meilleures dans les économies les plus pauvres, notamment préindustrielles, que dans les économies prospères et souriantes, comme celles de l’Allemagne et de la Suède. • La Révolution industrielle a elle-même été le produit de changements dans les préférences économiques élémentaires du peuple anglais et non de changements au sein des institutions. Par exemple, l’industrie du coton qui s’est développée à Bombay entre 1857 et 1947 fonctionnait sans restriction d’emploi, avec une sécurité totale du capital, un système juridique stable et efficace, aucun contrôle de l’import ni de l’export, une liberté d’entrée pour les entrepreneurs du monde entier et un accès libre au marché britannique. De plus, cette industrie bénéficiait du capital et de la main-d’œuvre la moins chère au monde dans un secteur où elle représentait plus de 60 % des coûts de fabrication. Les taux de profit de seulement 6-8 % du début du vingtième siècle suffisaient à financer la construction de nouveaux moulins. Pour autant, l’industrie textile de l’Inde ne pouvait lutter face à celle du Royaume-Uni, même si les salaires y étaient cinq fois inférieurs. Les mesures d’incitation seules ne pouvaient générer la croissance. À l’autre bout de la gamme, la Scandinavie est réputée parmi les économistes pour ses dépenses publiques et ses taux d’imposition élevés : les revenus sont en effet imposés à hauteur de 50-67 %. L’activité économique est donc à tous égards contrôlée par des règles, des réglementations et des restrictions. Les économies en question sont pourtant prospères, produisent autant par heure de travail que les États-Unis et ont une croissance stable. À l’inverse, dans l’Angleterre médiévale, les taux d’imposition sur la main-d’œuvre et le revenu étaient généralement de 1 %, ou moins ; les marchés du travail ou pour un produit étaient libres et compétitifs. Malgré cela, aucune croissance économique. Même si des biens comme les terrains étaient sans risques (dans la plupart des villages anglais, ils passaient de propriétaire en propriétaire durant plus de 800 ans sans qu’on ne s’y oppose), les investisseurs devaient payer des retours réels de 10 % pour en posséder. La Révolution industrielle s’est produite à un moment où les stimulants institutionnels élémentaires de l’économie n’avaient pas changé depuis des centaines d’années – et n’allaient pas en s’arrangeant. Néanmoins, au fil des siècles, les réactions aux diverses incitations se sont progressivement intensifiées et l’entreprenariat a pris le dessus. Les possibilités de profits issus de la conversion de terrains communs en des terrains privés, qui existaient depuis le Moyen-Âge, étaient enfin utilisées. Les routes impraticables laissées à l’abandon depuis des centaines d’années étaient remises en état et améliorées grâce aux efforts au niveau local. Le taux de retour exigé sur les investissements sûrs est passé de 10 % à 4 %. La richesse et la pauvreté ne se déterminent donc pas en fonction de la motivation, mais plutôt de la réaction des individus. Dans les économies performantes, ces derniers travaillent dur, accumulent des gains et innovent, même si les motivations sont moindres. Dans les économies sinistrées, ils travaillent peu, épargnent peu et se cantonnent à des technologies dépassées, même si les motivations sont satisfaisantes. Comment faire pour que les cultures économiques des sociétés pauvres ressemblent davantage à celles des sociétés riches ? Lorsque les travailleurs passent d’une économie pauvre à une économie riche, ils s’adaptent rapidement aux avantages de la société d’accueil. Par exemple, dans l’industrie textile du début du vingtième siècle, le rendement par heure de travail d’un ouvrier polonais en Nouvelle-Angleterre était quatre fois plus élevé que celui d’un ouvrier polonais utilisant la même machine en Pologne. L’immigration clandestine des économies pauvres vers les économies riches s’explique en partie par la capacité de bon nombre de ces migrants à s’adapter à la vie économique des pays riches. Les migrants habitués aux conditions des économies prospères représentent un potentiel énorme pour l’industrialisation des sociétés pauvres – mais ils choisissent généralement de rester dans les pays riches. Par exemple, un immigrant qualifié d’origine nigériane vivant aux États-Unis a plus de possibilités professionnelles dans son pays d’accueil que dans son pays d’origine. Les flux migratoires vont toujours des économies pauvres vers les économies riches – et c’est en particulier vrai pour les travailleurs qualifiés et instruits. La difficulté consiste donc à mettre en place un flot suffisant d’immigration de retour vers les sociétés pauvres, composé de ceux qui ont conscience des conditions sociales des sociétés florissantes. Pour aider les sociétés pauvres, il sera bien plus efficace de mettre en place des programmes conçus pour que leurs étudiants et leurs travailleurs fassent l’expérience des conditions de vie et de travail aux États-Unis avant de retourner chez eux, plutôt que de s’employer à ce que leurs gouvernements et institutions ressemblent davantage à ceux des économies avancées. La population passe avant tout. * Gregory Clark est le directeur du département d’économie de l’Université de Californie à Davis. Son ouvrage le plus récent s’intitule Farewell to Alms : A Brief Economic History of the World. © Project Syndicate, 2007. Traduit de l’anglais par Magali Decèvre
Par Gregory Clark*

Les économistes modernes considèrent Adam Smith comme un prophète, à l’instar des régimes communistes qui déifiaient autrefois Karl Marx. Le principe essentiel qu’ils attribuent à Smith – à savoir que des mesures d’incitation efficaces, quelle que soit la culture, produisent de bons résultats – est devenu le grand commandement économique. Il s’agit...