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Actualités - REPORTAGE

Un quart de siècle après l’assassinat du président, le pays n’a toujours pas atteint le bout du tunnel Il y a 25 ans, tombait Béchir Gemayel, précurseur du slogan « Liban d’abord »

C’était un mardi après-midi, un funeste 14 septembre, il y a 25 ans. À cette époque, beaucoup de Libanais, musulmans et chrétiens, espéraient vivre enfin en paix. Ils avaient un président élu, un chef de milice devenu homme d’État. Il avait réussi à galvaniser les foules en leur promettant un État souverain, des institutions propres, une armée forte. Œuvrant pour un État fédéral, il défendait un Liban de 10 452 kilomètres carrés. Mais ce mardi 14 septembre 1982, à 16 heures, à la permanence Kataëb d’Achrafieh, le Liban a raté une chance. Béchir Gemayel, élu président le 23 août de cette même année, est assassiné. Aujourd’hui, 25 ans plus tard, certains pensent toujours, comme ses proches collaborateurs, que le président martyr Béchir Gemayel aurait pu sauver le Liban. Pour le Pr George Frayha, chef de l’équipe présidentielle, « Béchir aurait réussi en six mois à changer les choses. Nous avions une équipe bien formée et un programme minutieusement préparé ». Avec le Groupe Gamma, par exemple, véritable cabinet fantôme, l’équipe de Béchir Gemayel avait réussi à former dix-huit branches équivalentes à dix-huit ministères. Béchir a aussi galvanisé les foules. Le Pr Frayha se souvient d’une confidence de l’ancien Premier ministre Saëb Salam qui lui avait confié après l’assassinat du président élu : « Dès que je l’ai vu à Bickfaya après son élection, ce jeune homme m’a fasciné et j’ai décidé de l’aider. » C’est un peu pour les musulmans du Liban, qu’il représentait aussi en devenant président, que Béchir Gemayel a tenu tête aux Israéliens qui voulaient conclure à Nahariya, le 3 septembre 1982, un accord de paix avec le Liban. Aujourd’hui, l’épouse de Béchir Gemayel, Solange, est députée de Beyrouth, élue grâce à la coalition de la majorité des partis chrétiens avec le Courant du futur. Youmna, sa fille aînée, a 27 ans. Elle est diplômée en droit et en relations internationales. Elle a commencé récemment à travailler dans une banque libanaise. Nadim, le fils du président assassiné, a 25 ans. Il est avocat et travaille au sein d’une importante firme du pays. Pour Solange Gemayel, « les discours de Béchir sont toujours d’actualité et personne au Liban n’a réussi à remplir sa place ». Elle rappelle qu’il était le premier à défendre le slogan « loubnan awalan » (Liban d’abord), à vouloir une armée forte et un pays sans corruption. On ne saura évidemment jamais si Béchir Gemayel aurait réussi à réaliser tous ses plans s’il avait achevé son mandat présidentiel. Mais ce qui reste certain, c’est que 25 ans après l’assassinat de Béchir Gemayel, le Liban se débat toujours pour sortir des crises qui ne font que se succéder. Solange Gemayel : Béchir a rêvé d’un Liban fort ayant les moyens de défendre sa souveraineté «Béchir a été le premier à brandir le slogan de Loubnan awalan (Liban d’abord). Il voulait une armée forte et rêvait d’un Liban fort, ayant les moyens de défendre sa souveraineté et son indépendance. Il a payé de sa vie pour défendre ces principes. » C’est ainsi que Solange Béchir Gemayel, députée de Beyrouth, décrit son mari, assassiné il y a 25 ans. Dans un entretien avec L’Orient-Le Jour, Mme Gemayel évoque le souvenir du président martyr, sa vision du Liban, son projet politique, ainsi que ses rapports avec son père, le fondateur du parti Kataëb, Pierre Gemayel. Elle expose en outre le bilan de l’action de la Fondation Béchir Gemayel ainsi que les activités qui marqueront la 25e commémoration de l’assassinat du président martyr. Q : Quelles sont les activités spéciales prévues pour la 25e commémoration de l’assassinat de Béchir Gemayel ? R : « Ce 25e anniversaire aurait dû être marqué par plusieurs événements populaires. Mais vu les circonstances délicates sur le double plan politique et sécuritaire, nous avons été obligés d’annuler un grand nombre de ces activités. Mis à part la messe annuelle du 14 septembre, nous allons inaugurer “ l’Avenue Béchir Gemayel ” à Achrafieh, après la décision prise à ce sujet par le conseil municipal de Beyrouth. De même, nous préparons l’ouverture officielle du “ Dispensaire Béchir Gemayel ” à Achrafieh, afin d’aider les personnes malades et démunies. En outre, un monument commémoratif sera érigé dans la localité de Hazmieh-Fayadieh pour le 25e anniversaire de l’élection de Béchir à la présidence de la République. » Q : Quel est le bilan de l’action de la Fondation Béchir Gemayel en 25 ans ? Comment est-elle financée ? De quoi s’occupe-t-elle surtout ? R : « C’est une longue histoire, car au fil des ans nous étions présents parmi les jeunes et les moins jeunes afin de les aider à surmonter leurs problèmes : nous octroyions des bourses scolaires aux jeunes élèves et aux étudiants afin qu’ils puissent poursuivre leurs études scolaires ou universitaires dans la mesure de nos moyens financiers, et ce selon les dons que nous recevions des Libanais vivant ici, et ceux d’outre-mer. En vingt-cinq ans, 2 750 élèves et étudiants ont bénéficié de ces bourses et plusieurs d’entre eux, qui occupent aujourd’hui des postes importants, contribuent au financement de la section des bourses scolaires de la Fondation. De même et durant 15 ans, nous avons aidé les orphelinats et les asiles de vieillards afin de subvenir à leurs besoins. La Fondation, qui avait surtout pour but de garder le patrimoine de Béchir, a publié jusqu’à présent 6 volumes contenant ses discours et ses prises de position. De même, la Fondation publie périodiquement le magazine al-Bachir qui est distribué gratuitement dans les écoles et les universités, afin de faire connaître Béchir aux jeunes générations. Pour nous, la jeunesse c’est l’avenir. C’est pour cela que la plupart de nos activités s’adressent aux jeunes. D’autre part, nous continuons à aider les handicapés de la guerre. À cette fin, et avec l’aide des Libanais des États-Unis, nous allons distribuer plusieurs chaises roulantes aux handicapés. » Q : Beaucoup scandent « Béchir est vivant en nous ». Dans quelle mesure ce slogan est vrai, dans quelle mesure les gens qui le reprennent ont adopté les valeurs défendues par Béchir Gemayel ? R : « Je crois qu’il suffit de constater les efforts et les sacrifices consentis pour souligner la détermination non seulement des chrétiens, mais de tous les Libanais à défendre la teneur de ce slogan. Liban d’abord, “ Loubnan awalan ”, est un slogan dont le précurseur a été Béchir Gemayel. Le fait qu’il soit toujours de mise, aujourd’hui plus que jamais, explique l’authenticité de cet autre slogan “ Béchir est vivant en nous ” qui reflète ainsi des valeurs défendues par Béchir, des principes adoptés même par les jeunes qui n’ont jamais connu Béchir. Force est de constater que les Forces libanaises, le Courant patriotique libre, le Rassemblement de Kornet Chehwane et tous les autres courants et fractions ont des valeurs et des principes qui découlent de la stratégie de Béchir. Et là je peux affirmer que les jeunes, qui n’ont pas vibré jusqu’à présent pour un homme ou un idéal politique, voient après 25 ans que Béchir incarne toujours cet idéal. » Q : Quelle était la relation qui liait Béchir Gemayel à son père ? Quelle était la réaction de ce dernier quand le chef des FL a voulu posait sa candidature à la présidence de la République ? La relation entre les deux était-elle conflictuelle de temps en temps ? R : « C’était une relation basée sur le respect total et une harmonie bien maîtrisée pour gérer la situation du moment, sans pour autant nier les difficultés qui émanaient de la différence de mentalité entre deux générations. Pierre Gemayel, le père et le fondateur, voyait en Béchir ce qui lui manquait et qu’il ne pouvait exécuter à cause d’une certaine sagesse et du poids de l’expérience. Tout le monde savait que le père était très fier de ce que le fils faisait, surtout quand ce dernier a décidé de poser sa candidature à la présidence de la République. » Q : Croyez-vous que Béchir a indirectement payé de sa vie sa rencontre avec le Premier ministre israélien, Menahem Begin, à Nahariya, les Israéliens ayant peut-être évité de le prévenir plus tard qu’ils avaient certaines informations concernant son assassinat ? R : « Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. C’était un leader politique libanais déterminé, avec toute sa force de caractère et beaucoup de convictions, à aboutir à un Liban pour les Libanais, souverain sur les 10 452 km2, indépendant, qui soit soustrait à toute sorte d’ingérence étrangère. Béchir était ferme sur ces principes aussi bien face au régime syrien que face aux Israéliens. Il a payé de sa vie pour préserver ces principes et a donné l’exemple de ses sacrifices à d’autres personnalités assassinées pour les mêmes motifs. » Q : Quel était le projet de Béchir pour le Liban ? Quelle était sa vision de l’État ? Quel était son projet pour préserver les 10 452 km2 ? R : « En un mot, “ un Liban fort ”, ayant les moyens de défendre l’indépendance de sa décision vis-à-vis de toutes les menaces. Une armée de 150 000 hommes n’était pas très loin de sa vision et une telle force aurait été capable de préserver l’indépendance des 10 452 km2. » Q : Comment pouvez-vous évaluer l’évolution de la personnalité, de la pensée et du projet politique de Béchir Gemayel, à commencer par sa présence à la tête des FL jusqu’à son élection à la présidence de la République ? R : « La détermination de Béchir n’a pas évolué du début de son action nationale jusqu’à son assassinat. Ce qui a évolué chez lui, c’est l’expérience et la sagesse qui ont fait de lui un grand homme d’État. À la tête des Forces libanaises, il était le commandant militaire, une étape provisoire pour atteindre des objectifs nationaux et politiques, une étape qui était un passage obligé pour défendre le pays au moment où l’État avait renoncé à ce rôle. Arrivé à la tête de l’État, il a donné divers signaux d’un homme possédant de très grandes qualités pour guider le Liban vers sa totale indépendance. Son élimination physique était le symbole de sa force qui faisait peur au régime syrien qui le privait de sa mainmise totale sur le pays. » Chef de l’équipe présidentielle de Béchir Gemayel Georges Frayha vit toujours avec le souvenir d’un « homme ambitieux, impatient et courageux » Georges Frayha, professeur en médecine, était le directeur de l’équipe du président élu Béchir Gemayel. Le Pr Frayha était plus âgé que le président martyr qu’il avait rencontré en 1970, quand il avait épousé une cousine à Béchir, Viviane Maurice Gemayel. Il s’était rapproché du jeune homme à l’Hôpital américain de Beyrouth, en octobre 1970, quand l’oncle de Béchir, le député du Metn Maurice Gemayel, avait été terrassé par une attaque cardiaque au Parlement. Plus tard, le Pr Frayha, professeur à l’Université américaine de Beyrouth, à l’Institut Pasteur et à l’Université René Descartes à Paris, est devenu directeur, durant 13 ans, de la branche de l’AUB à Beyrouth-Est (OCP- Off campus program). L’institution avait ouvert ses portes, jusqu’en 1993, au début de la guerre grâce aux pressions de Béchir Gemayel, alors chef des Forces libanaises. Le Pr Frayha a occupé le poste de directeur des comités populaires Kataëb, une instance créée au début de la guerre par le président assassiné. Au début des années quatre-vingt, il faisait partie de l’équipe des six personnes entourant Béchir Gemayel qui le préparait à la présidence. Cette équipe était formée également de Sélim Jahel, Antoine Najm, Joseph Abou Khalil, Zahi Boustany et Karim Pakradouni. Ce sont les portraits de Béchir Gemayel qui vous accueillent quand vous entrez dans l’une des salles du grand bureau du Pr Frayha à Achrafieh. Le Pr Frayha a accompagné Béchir durant 22 ans, de 1970 jusqu’en 1982. Il a été témoin de toute l’évolution de Béchir Gemayel, lorsqu’il était jeune avocat impliqué dans les mouvements estudiantins, puis combattant et chef de milice, et enfin homme d’État. « S’il a évolué dans ce sens et aussi rapidement, c’est parce que Béchir était comme une éponge, il absorbait tout ce qu’il apprenait. Il était ambitieux. Mais il voulait tout, tout de suite », indique l’ancien chef de l’équipe de Béchir Gemayel. Il se rappelle comment en très peu de temps Béchir a appris à tenir des discours, à pousser l’assistance à l’écouter jusqu’au bout, à galvaniser des foules. Dès leur rencontre, le Pr Frayha, qui travaillait à l’AUB, a vu en Béchir Gemayel « un jeune homme plein de vie, au potentiel énorme, un révolutionnaire ». Les universités À la demande de Béchir, le Pr Frayha devient le conseiller de la Ligue libanaise des étudiants à l’Université américaine de Beyrouth (mouvance droite). Puis avec la guerre et la division de la capitale, il était devenu impossible pour les professeurs de l’université et le tiers des étudiants de l’AUB de se rendre sur le campus de Beyrouth-Ouest. Béchir, qui menait les milices chrétiennes, tenait à ce qu’une branche de l’université ouvre ses portes à l’Est. « Il n’avait pas d’autres solutions, il a bombardé l’université, indique le Pr Frayha. Le chef des FSI de l’époque, Hicham Chaar, m’a demandé d’organiser une réunion entre Béchir et les autres chefs de partis formant les Forces libanaises avec le président de l’AUB Calvin Plimpton. À la réunion, ce dernier était fou furieux. Il a dit à Béchir et à Dany Chamoun (responsable de la milice du PNL à l’époque) : si vos pères étaient au courant que vous comptiez bombarder l’université, ils vous auraient empêché de le faire. Plimpton a parlé longuement aussi de la tradition de l’AUB, qui n’a jamais fermé ses portes depuis sa création. Béchir qui tenait à ce qu’il n’y ait aucune discrimination entre les étudiants, et que tout le monde ait droit à l’éducation, a répondu par une seule phrase : “M. le Président, c’est tout le monde ou personne (Mr President, it’s all or none)”. Plimpton s’est défendu et Béchir a menacé de porter plainte contre l’AUB. Les bombardements ont ensuite repris sur le campus et Plimpton a fini par céder et ouvrir l’OCP. L’université a commencé avec 70 étudiants pour rassembler ensuite 1 600 étudiants », raconte le Pr Frayha. Comités populaires Mais en l’espace de huit ans, Béchir Gemayel, qui a fait pression sur une université en la bombardant, est devenu un homme d’État, s’est métamorphosé. Cela se préparait probablement depuis le début de sa carrière. Le Pr Frayha parle des comités populaires qu’il a lui-même présidés. « Avec les comités populaires, mis en place au début de la guerre, Béchir a réalisé l’idée du Parlement du peuple de Maurice Gemayel, où chaque citoyen doit assumer ses responsabilités, souligne-t-il. Nous avons créé 141 comités populaires rassemblant 15 000 personnes à Beyrouth-Est. Ils avaient pour but d’inciter la population à participer au développement de leur quartier et de leur village. Durant la guerre, le ramassage des ordures posait parfois problème et tout était rationné. Les comités populaires étaient chargés d’assurer la bonne marche des boulangeries, des stations d’essence, des dispensaires… Ce sont eux qui ont supplanté l’État qui n’existait plus », explique-t-il, évoquant cette sorte de décentralisation qui a permis le développement et l’instauration de l’ordre dans un pays en guerre. « Béchir disait : “ce sont les comités populaires qui m’ont permis de gagner la guerre, parce qu’ils avaient assuré le bon fonctionnement social alors que je combattais” », se souvient le Pr Frayha. Cabinet fantôme Le Pr Frayha parle avec conviction, fierté et regret de Béchir Gemayel, l’homme politique. « Béchir était malheureusement trop impatient, il voulait parvenir le plus rapidement possible au sommet, souligne-t-il. Il avait à peine trente ans quand il a commencé à penser à la présidence. Il avait un énorme potentiel et il voulait arriver… C’était une boule d’ambition », indique le Pr Frayha. « Béchir Gemayel a pris pour base les comités populaires pour créer d’autres organismes. Ainsi, Dar al-Amal, qui regroupait des intellectuels, a vu le jour. Mais cette instance n’a pas vécu longtemps. Elle a été remplacée par le Groupe Gamma qui n’était autre qu’un véritable cabinet fantôme. Le groupe rassemblait notamment des spécialistes, des universitaires, des intellectuels qui se réunissaient régulièrement pour évoquer toutes sortes de dossiers. Avec le groupe Gamma nous avons formé dix-huit branches équivalentes à dix-huit ministères », raconte le Pr Frayha. Et d’ajouter : « Béchir était courageux. Rares sont les hommes politiques qui n’ont pas peur des intellectuels. Lui, il les suivait ! Il admirait Charles Malek par exemple et se rendait souvent chez lui. Si Béchir Gemayel a pu se métamorphoser d’un milicien en homme d’État, c’est parce qu’il a su s’entourer d’une équipe et parce qu’il a travaillé dur. C’est un homme qui savait écouter et déléguer. Il n’a jamais dit : “c’est mon affaire uniquement. Je prends seul la décision”. » Nahariya Très proche donc de Béchir, le Pr Frayha se souvient en détail de chaque moment qui a marqué le parcours du président martyr, surtout les trois dernières semaines qui ont suivi son élection. Parmi ces événements vécus figure la réunion de Nahariya qui apporte un démenti cinglant à tous ceux qui prétendaient que Béchir Gemayel et les Forces libanaises, en général, étaient soumis ou à la solde d’Israël … Qu’en en juge en effet par les faits. « Nous étions un grand groupe, se rappelle Georges Frayha en évoquant cette rencontre, mais lors de la réunion à huis clos, côté libanais, il y avait Béchir, Joseph Saadé, secrétaire général du parti Kataëb, et moi. J’ai gardé le compte rendu de cette réunion au cours de laquelle tout Israël était présent, notamment le Premier ministre Menahem Begin, le ministre de la Défense Ariel Sharon, le ministre des Affaires étrangères Yitzhak Shamir et le directeur de ce dernier ministère, David Kemhi. Begin a insisté pour la signature d’un traité de paix. Béchir a refusé en lui disant : “Je ne peux pas signer un accord de paix avec Israël alors que les Syriens occupent toujours la moitié du Liban”. » « Le ton est monté et Béchir a quitté les lieux. Il était gêné parce que Begin avait forcé la dose. Le Premier ministre israélien avait dit par exemple qu’il nommera Kemhi pour entamer les procédures de la signature de l’accord, qu’il a perdu durant l’opération Paix en Galilée 300 soldats… Nous avons eu peur en rentrant en hélicoptère de Nahariya… Ce soir-là, Béchir m’a dit de ne donner à personne le compte rendu de la réunion et m’a annoncé qu’il boycottera les Israéliens. Au bout d’une semaine, Sharon a téléphoné au président élu. Puis il s’est mis à l’appeler régulièrement, jusqu’à ce qu’il vienne à Bickfaya le 13 septembre au soir. J’étais présent avec Béchir et Sharon à la réunion. Le ministre israélien de la Défense a promis à Béchir de l’aider pour en finir de l’occupation syrienne du Liban. “Je vais conclure un accord avec toi, mais il n’entrera en vigueur que si Begin le signe, et l’aval du Premier ministre israélien arrivera par télex au Liban”, a dit Sharon à Béchir Gemayel », raconte Georges Frayha. Cette réunion a eu lieu à la veille de l’assassinat. Vingt-cinq ans plus tard, le Dr Frayha se souvient de tous les détails de cette funeste journée. Lui aussi devait être présent à 16 heures à la réunion hebdomadaire du parti Kataëb à Achrafieh, lieu de l’attentat. Mais c’est ce télex de Begin qui lui a été remis à 16 heures par l’ambassadeur des États-Unis au Liban qui lui a sauvé la vie. Six mois… Le matin du 14 septembre 1982, le Pr Frayha s’était rendu avec Béchir Gemayel au palais de Baabda pour interviewer les employés de première catégorie de l’administration. À midi, il avait retrouvé Adnane Kassar qui lui avait remis un chèque d’une somme de soixante millions de dollars en provenance de la Banque mondiale au nom de Béchir Gemayel. Le Pr Frayha devait donc voir le président élu à 16 heures à la permanence Kataëb à Achrafieh. « Mais à 14 heures 30, Béchir m’a appelé, m’a demandé de ne pas venir à Achrafieh et de recevoir, à 16 heures, l’ambassadeur américain qui devait me remettre le télex de Begin. Je venais de recevoir ce papier, je l’avais toujours entre mes mains quand j’ai appris qu’il y avait eu une explosion à Achrafieh. Nous avons allumé la télévision pour voir le présentateur Arafat Hijazi (actuel conseiller du président du Parlement Nabih Berry) en train de dire “grâce à Dieu, le président élu est sain et sauf”. J’ai donc poursuivi ma réunion avec l’ambassadeur. Puis d’autres nouvelles commençaient à parvenir. Nous avons su que Jean Nader et Sassine Karam étaient morts. Ces deux hommes s’installaient toujours lors des réunions à la gauche de Béchir… Nous sommes accourus à Achrafieh… ». Et le Pr Frayha de conclure : « Si Béchir Gemayel avait entamé son mandat, il aurait sauvé le Liban en six mois… Nous avions un programme, nous l’avions minutieusement préparé au fil des ans. Béchir n’a pas survécu. Et en 25 ans, nous n’avons pas eu des hommes politiques de son calibre. » « Intègre, charismatique, ouvert à tous et sans complexes », se souvient un compagnon de combat Durant les années quatre-vingt, Nazar Najarian était directeur du bureau des réserves des Forces libanaises, c’est-à-dire qu’il était en charge de l’entraînement des jeunes qui vivaient dans ce qu’on appelait le secteur est de Beyrouth. Depuis six ans, il travaille au Qatar où il dirige un groupe d’entreprises. Joint au téléphone par L’Orient-Le Jour, il parle de Béchir Gemayel, le compagnon de combat. « Béchir avait les qualités d’un vrai leader ; il était intègre, il avait du charisme. Il était convaincu de ce qu’il faisait. Il traitait les gens avec respect et tact et il savait leur parler, qu’ils soient riches ou pauvres, jeunes ou âgés », indique Najarian. « Béchir Gemayel était ouvert aux gens et aux nouvelles idées. Il n’avait aucun complexe surtout vis-à-vis des intellectuels. D’ailleurs, au début des années quatre-vingt, il se réunissait régulièrement avec eux. Il disait toujours, nous n’avons aucun mérite si nous attirons des gens qui nous ressemblent ou uniquement de notre bord. Il faut que ceux qui sont différents de nous s’intéressent à ce que nous faisons, soulignait-il ». « Leader des FL, Béchir, appliquait véritablement ce qu’on appelle en anglais ‘leading by example’, en appliquant la loi sur soi-même avant tout. Le plus important à retenir aussi est que Béchir savait s’entourer d’une équipe efficace et fiable. Et il savait déléguer. Il demandait à chacun ce qu’il pouvait donner. » Quand Nazar Najarian a été chargé au début des années quatre-vingt de l’entraînement militaire des jeunes vivant à Beyrouth-Est, Béchir est venu lui dire : « Si un jour, je viens moi-même, chef des Forces libanaises, te demander une faveur pour exempter un jeune du service militaire, tu me le refuses. Je ne veux pas du favoritisme. » « Même s’il a évolué d’un chef de milice pour devenir un homme politique, Béchir Gemayel est resté un homme de terrain », indique encore Najarian, expliquant en conclusion : « Parfois, il m’emmenait à ses réunions avec les intellectuels, surtout avant son élection à la présidence. Venant d’un background militaire, je sentais que je n’y avais pas ma place. Je lui demandais pourquoi tu m’amènes avec toi et il répétait : “Je ne veux pas perdre la boussole, je veux garder les pieds sur terre”.» À Nahariya, Béchir Gemayel a refusé de conclure un traité de paix avec Israël Dans un article publié le 30 juin 2002, le quotidien israélien Yediot Aharonot se penche sur les événements de l’été 1982, l’opération israélienne au Liban, Paix en Galilée, ainsi que la réunion secrète qui avait eu lieu à Nahariya entre le président élu Béchir Gemayel et le Premier ministre israélien de l’époque Menahem Begin. Béchir Gemayel avait alors refusé de conclure un traité de paix immédiat avec les Israéliens. Cette attitude ferme et sage a ainsi apporté, dans les faits, un démenti à ceux qui affirmaient à l’époque que Béchir Gemayel et les Forces libanaises étaient à la solde d’Israël. L’auteur de l’article du Yediot Aharonot se souvient qu’Ariel Sharon, alors ministre de la Défense, avait rassemblé la presse, durant le mois d’août 1982, pour lui annoncer qu’Israël signera prochainement un accord de paix avec le Liban. Sharon comptait sur le jeune président élu Béchir Gemayel. Le texte évoque les circonstances de la réunion de Nahariya quand Béchir Gemayel a refusé de conclure une paix avec Israël. « Le 1er septembre (1982) un hélicoptère israélien a transporté Béchir Gemayel, dans la nuit, jusqu’à Nahariya afin qu’il se réunisse avec le Premier ministre israélien. Begin était nerveux et soucieux. Il s’est contenté de serrer froidement la main de Gemayel (…). Ce soir-là, Béchir Gemayel a refusé la proposition d’annoncer la paix entre les deux États. Il a aussi clairement refusé la proposition de visiter Jérusalem ou Tel-Aviv. Il n’a pas voulu accepter la signature d’un traité de paix avant la fin de l’année (…). Dans un hébreu simple, il a dit au Premier ministre israélien :“ va au diable.” “Ce n’est pas pour cela (la paix) que nous avons mené une guerre et que nous avons le sang de centaines de morts ?”, a demandé Begin. Mais il n’a jamais eu de réponse à sa question. » Dossier réalisé par Patricia KHODER
C’était un mardi après-midi, un funeste 14 septembre, il y a 25 ans. À cette époque, beaucoup de Libanais, musulmans et chrétiens, espéraient vivre enfin en paix. Ils avaient un président élu, un chef de milice devenu homme d’État. Il avait réussi à galvaniser les foules en leur promettant un État souverain, des institutions propres, une armée forte. Œuvrant pour un État...