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Actualités - OPINION

LE POINT Sur la corde raide Christian MERVILLE

Record battu. En mai 2004, il avait suffi de 90 minutes pour procéder manu militari à l’expulsion de Shabaz Sharif. Pour renvoyer en Arabie saoudite son frère, l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif, il a fallu, hier, quatre longues heures qui ont dû sembler une éternité au maître du pays, Pervez Musharraf. En définitive, ce retour de l’île d’Elbe à la pakistanaise aura mal tourné, le ticket Djeddah-Islamabad se transformant en aller-retour pour un exilé bien encombrant chez lui comme pour ses hôtes saoudiens. Fin de partie donc ? Plutôt partie remise, car l’enjeu est trop lourd de conséquences et trop nombreux les protagonistes pour que l’on en reste là. Le général-président sait bien qu’il joue dans cette affaire son avenir à la tête de l’État, et aussi celui de ses partisans au sein du pouvoir en place. Lesquels en sont, depuis sept mois, à étudier l’orientation du vent avant de changer de fidélité, en vertu du bon vieux principe de la girouette. L’épreuve de force avec l’opposition a débuté le 9 mars dernier avec le renvoi à ses études du président de la Cour suprême, Muhammad Chaudry, un homme jouissant de l’estime de ses pairs et d’un immense prestige aux yeux de l’opinion publique qui voit en lui l’incarnation d’une probité qui, par ailleurs, brille par son absence à presque tous les niveaux et dans tous les domaines. Rétabli dans ses prérogatives moins de quatre mois après sa destitution, l’homme s’est mué en ennemi implacable du chef de l’État, lui déniant, Constitution à l’appui, le droit de solliciter un nouveau mandat alors qu’il est toujours chef d’état-major des armées, une fonction qui constitue aussi une garantie contre un éventuel pronunciamento. C’est ce magistrat qui a autorisé le retour de Sharif, exilé en 2000 pour une période de dix ans, dans une manœuvre visant à affaiblir encore plus un régime confronté par ailleurs au triple danger représenté par une opposition unifiée, une montée de l’islamisme, enfin des pressions américaines pour obtenir plus de vigueur dans la lutte contre el-Qaëda. Curieuse opposition que celle-là, dont les figures marquantes ont pour noms Nawaz Sharif et Benazir Bhutto. Lui, grand pourfendeur de la dictature militaire, avait émergé de l’ombre dans le sillage du général Zia ul-Haq, avant de tenter d’instaurer la charia puis de se retrouver condamné, après deux passages à la tête du gouvernement, pour détournement de fonds, trahison et fraude fiscale, par celui-là même qu’il avait placé à la tête des troupes et qu’il veut aujourd’hui supplanter au sommet de la pyramide étatique. Elle, surnommée « BB » par ses détracteurs, fille du grand Zulficar Ali Bhutto, aura présidé deux cabinets avant de prendre le chemin de l’exil pour fuir une condamnation pour diverses opérations de malversation. La dame n’en continue pas moins, aujourd’hui encore, à jouir d’une large assise populaire, ce qui lui avait permis, un temps, de négocier son retour mais en posant des conditions difficiles à remplir. Elle voulait, en effet, voir Musharraf renoncer à ses fonctions militaires ainsi qu’à certaines de ses attributions présidentielles (dont le droit de dissoudre les assemblées régionales), obtenir de former un nouveau ministère, enfin être blanchie des charges pesant sur elle. Moyennant quoi, elle se disait disposée à faire acte d’allégeance… en attendant son heure. Dans une capitale quadrillée par les militaires, tout le monde attend, les politiques qui rêvent d’un « grand soir » autant que les généraux, décidés, pour peu que les choses aillent réellement mal, à sacrifier leur chef afin de sauvegarder leurs acquis. À quelques semaines d’élections législatives, prévues entre novembre 2007 et février 2008, que le pouvoir est assuré de perdre, il est question d’imposer l’état d’urgence, une éventualité rejetée une première fois en août, malgré un net durcissement de la contestation politique et une recrudescence des attentats islamistes. Une décision en ce sens serait peut-être le prétexte à une épreuve de force qui se déroulerait dans la rue, si ce n’est à un nouveau coup d’État, comme celui déclenché par l’actuel président, le 12 octobre 1999, tant il est vrai qu’au Pakistan ces dernières décennies, les régimes se font grâce à des révolutions blanches mais sont défaits par des putschs. Le double jeu mené par Musharraf et les siens à l’égard des talibans repliés sur leurs positions, aux frontières avec l’Afghanistan, couplé à l’impatience grandissante des Américains face à cette situation pourrait déboucher sur un autre scénario catastrophe qui verrait le commandement américain intervenir dans ce secteur clé de son dispositif antiterroriste. Un récent rapport des services d’espionnage et la conseillère de l’Administration Bush en matière de renseignements, Frances Townsend, y ont récemment fait allusion. Si ces frappes ne viennent pas à bout des hommes d’Oussama Ben Laden, elles présenteront à tout le moins l’avantage de précipiter la fin du régime d’Islamabad. Sitôt qu’un nouvel « homme fort » aura été trouvé.
Record battu. En mai 2004, il avait suffi de 90 minutes pour procéder manu militari à l’expulsion de Shabaz Sharif. Pour renvoyer en Arabie saoudite son frère, l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif, il a fallu, hier, quatre longues heures qui ont dû sembler une éternité au maître du pays, Pervez Musharraf. En définitive, ce retour de l’île d’Elbe à la pakistanaise aura mal...