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Actualités - REPORTAGE

L’initiateur de la fondation, Nadim Choueiry, un fervent chrétien qui a consacré toute sa vie au service de l’homme Cinq décennies de dévouement à « al-Kafaat » pour soutenir les handicapés et les plus démunis

Cinquante années d’action et de dévouement en faveur des handicapés et des plus démunis. Telle est en peu de mots la mission que s’est fixée depuis cinq décennies la fondation al-Kafaat qui a ajouté, en outre, à ses activités la formation professionnelle et universitaire des jeunes de condition modeste. Pour bien marquer ce jubilé et honorer la fondation, le président de la République a récemment remis les insignes de l’ordre du Cèdre à six des quinze membres du conseil d’administration d’al-Kafaat qui ont été reçus à cet effet au palais de Baabda. Depuis 1957, al-Kafaat axe son action sur deux créneaux distincts : l’aide aux personnes touchées par toutes sortes de handicaps physiques ou mentaux, d’une part ; et la formation professionnelle et universitaire de jeunes faisant face à des difficultés financières, d’autre part. La fondation a été institutionnalisée et reconnue d’utilité publique en 1971. Elle est régie par un conseil de 15 membres volontaires, spécialisés dans les domaines médicaux, légaux, financiers et industriels. Elle délivre aujourd’hui un enseignement universitaire, académique et technique, ainsi que des services médicaux et de réhabilitation à plus de 4 500 personnes dans 7 centres. Elle bénéficie dans ce cadre de l’apport d’une équipe pluridisciplinaire de 780 personnes. En 50 ans, al-Kafaat a permis la réhabilitation de plus de 25 000 personnes. La section médicale et paramédicale Cinq centres fournissent des soins médicaux et paramédicaux ainsi que l’hébergement et de la nourriture aux plus démunis. Des individus de différents âges, atteints de handicaps physiques ou mentaux, sont pris en charge au quotidien. Ils sont encadrés par des enseignants spécialisés et des médecins. Certains d’entre eux exercent même une activité artisanale comme la fabrication de bougies ou la mosaïque. La particularité de la fondation est de ne refuser aucun handicap. Les personnes dites « polyhandicapées » souffrent de handicaps multiples et sont le plus souvent refusées par la plupart des associations, en général spécialisées dans un handicap particulier. La prise en charge de ces personnes est la plus coûteuse. Elles sont accueillies à Kafaat à bras ouverts, et tout est fait pour remédier à leur situation. La prise en charge est unique en son genre. Il ne s’agit pas uniquement de fournir des soins ciblés, mais de proposer une réhabilitation complète. Les personnes sont ainsi soignées, logées, nourries, mais aussi formées à un métier lorsque cela s’avère possible. La prise en charge est verticale ; elle ne néglige aucun aspect de la vie quotidienne d’une personne handicapée sous prétexte que cela ne relève pas du domaine d’action de la fondation. Cette ouverture unique au Liban attire chaque année des centaines de personnes n’ayant pas les moyens de payer les soins très spécifiques que nécessite la grande majorité des handicaps. Malheureusement, les places sont limitées, et les listes d’attente ne cessent de s’allonger. Pour remédier à cet engorgement, de nouveaux projets sont régulièrement mis en place. Il s’agit de répondre de façon adéquate aux nouveaux défis qui ne cessent de se présenter. Le dernier en date est l’ouverture d’une résidence spécialisée pour les personnes handicapées se faisant vieilles. Cette population nécessite une attention grandissante et des soins spécialisés. L’objectif principal est d’assurer une fin de vie décente à ces personnes, délaissées généralement dans des centres où elles dépérissent lentement. La section professionnelle et universitaire Parallèlement à la prise en charge des personnes handicapées, al-Kafaat dispose de deux centres scolaires et universitaires : l’École hôtelière, dirigée par le chef Ramzi Choueiry ; et le Campus libano-européen de technologie (CLEP). Ces deux établissements fournissent un enseignement à plus de 2 000 jeunes ayant des difficultés financières. Il s’agit de leur offrir des opportunités de travail à moindres frais, dans des conditions optimales. Les frais de scolarité annuels sont symboliques : ils varient en moyenne entre 200 dollars pour un bac professionnel et 700 dollars pour une licence universitaire. De plus, les nombreux partenariats européens pédagogiques et financiers sont les garants d’un enseignement de qualité. L’École hôtelière est jumelée avec l’École hôtelière de Poligny, dans le Jura. Quant au CLEP, il bénéficie de financements de la Commission européenne. Il est en partenariat étroit avec le Rectorat de Besançon, l’IRTS (Institut régional du travail social) de Provence-Alpes-Côte d’Azur, ou encore l’Institute of Motor Industry, en Angleterre. Ce campus de 60 000 m2 fournit un enseignement universitaire et une formation professionnelle dans plus de 50 spécialisations. Nombre d’entre elles sont inédites au Liban, voire au Moyen-Orient. On peut citer sur ce plan, à titre d’exemple, l’école de joaillerie, la formation universitaire en production agroalimentaire ou encore l’activité d’imprimerie qui fait ses débuts à la rentrée 2007. Une étude approfondie du marché, entreprise par la fondation en partenariat avec le ministère du Travail, détermine avec précision quels sont les secteurs où les débouchés sont importants. Les effectifs de chaque filière sont ensuite déterminés en fonction de la conjoncture du marché. C’est ainsi qu’une étude interne à la fondation, remontant à 2005, indique que 78 % des élèves diplômés trouvent directement un emploi, démontrant ainsi l’adéquation entre formation et marché de travail. Dans le domaine universitaire aussi, la fondation al-Kafaat ne cesse d’innover pour répondre à de nouveaux défis. Un projet de formation professionnelle pour adultes débute en septembre. Cette nouvelle filière s’adresse aux personnes déjà actives sur le marché du travail et qui désirent améliorer leurs qualifications ; elle s’adresse aussi à des chômeurs voulant retrouver un emploi. Cette initiative vise aussi à aider les propriétaires et dirigeants des petites et moyennes entreprises en leur fournissant la formation professionnelle et technique qui leur manque afin qu’ils gagnent en compétitivité. Une aide du même type est dispensée aux élèves fraîchement diplômés qui souhaitent se lancer dans leur propre entreprise. La fondation se charge alors de leur trouver des microcrédits pour les soutenir. Des handicaps aux compétences : un projet inédit En français, « al-kafaat » signifie « les compétences ». L’objectif principal de la fondation est de prouver que des personnes que la société considère généralement comme amoindries et inaptes à accomplir un travail sont en fait capables de produire quelque chose de rentable. Si on leur donne le temps et les moyens, ces personnes peuvent se révéler productives, et donc utiles à la société. À contre-courant de la logique caritative, al-Kafaat ne cherche pas à générer des dons en provoquant la pitié. La charité et le regard apitoyé de la société sont eux-mêmes handicapants. Au contraire, la fondation veut rendre ces personnes handicapées indépendantes financièrement. Cette autonomie financière s’applique à la fondation elle-même. Elle est rendue possible grâce à un concept inédit. L’école-entreprise est une symbiose entre la formation et la pratique. C’est ainsi que toutes les filières professionnelles sont mises au service de la fondation. Les productions, comme la joaillerie, ou les services, comme la restauration, génèrent des profits qui sont réinvestis dans les branches très coûteuses, la fabrication de prothèses et orthèses par exemple. D’autres activités sont directement utiles à la fondation. Ce sont les élèves en production agroalimentaire qui préparent les 2 000 plats chauds journaliers distribués dans les sept centres. Les élèves en éducation spécialisée passent toutes leurs matinées avec les enfants handicapés du centre Myriam. Le système de l’école-entreprise profite à tout le monde. À la fondation d’abord, puisqu’elle génère des profits qui lui sont nécessaires. Mais aussi aux élèves qui bénéficient d’une expérience professionnelle concrète avant de se lancer sur le marché du travail. Une figure emblématique : le fondateur Nadim Choueiry À l’origine de ce projet sans précédent, un homme profondément chrétien, habité par la foi. C’est en 1957 que Nadim Choueiry décide de consacrer sa vie à l’homme, alors qu’il poursuit ses études d’économie à l’AUB. Il n’a alors que 22 ans. D’abord sensibilisé par les jeunes femmes issues de milieux très pauvres obligées de se prostituer pour subvenir à leurs besoins, il crée une petite école d’hôtellerie pour jeunes filles dans un couvent abandonné. Lorsqu’une candidate atteinte de polio se présente à l’école, il décide de tout faire pour l’aider. « Nous avons tous en nous des handicaps et des compétences, seul Dieu est tout-puissant », dit-il. Il visite alors les centres pour handicapés déjà existants, et il est révolté par la façon dont on traite les patients. Au lieu de les aider à dépasser leur handicap, on les maintient dans une situation de dépendance et d’incapacité totale. Le projet de Nadim Choueriy est pour le moins avant-gardiste. Il désire établir des soins de réhabilitation autofinancés par un projet industriel tenu par des personnes handicapées, afin de prouver à la société que ces personnes ont leur place au sein du système. Il commence modestement : avec trois handicapés, un cul-de-jatte, un sourd-muet et un aveugle, il commence à fabriquer des sacs en cuir qu’il vend à l’étranger. Avec les premiers profits, il finance un atelier de prothèses et orthèses. En 1969, l’entreprise compte 170 ouvriers et reçoit 800 demandes d’emplois par an. Incapable de répondre à cette demande, Nadim Choueiry décide de former des élèves à un métier. Il met alors en place le concept d’école-entreprise. Tout en continuant à engranger des profits, il peut ainsi former de plus en plus de monde. Parallèlement, les centres ne cessent de se multiplier. Le dernier en date a été créé en 2003 : « Beit el-Adra », foyer de 450 handicapés. Nadim Choueiry dit n’avoir pu accomplir tant de chose que parce qu’il a toujours été l’instrument docile de Dieu. « Depuis 50 ans, il guide mes pas », dit-il. Durant les 25 ans de guerre, le centre principal a été détruit et reconstruit neuf fois. Chrétien fervent, il considère avoir concrétisé sa foi à travers ses actions et avoir pu ainsi rencontrer Dieu : « Pour arriver à Dieu, il faut passer par l’homme, et pour arriver à l’homme, il faut passer par Dieu. » Après 50 ans d’action, il tire un bilan : « Je considère avoir posé les jalons, c’est maintenant à la nouvelle génération de reprendre le flambeau. Je souhaite ardemment que la fondation continue à se développer sur la même voie. » Il considère al-Kafaat comme un projet pilote issu d’une initiative privée, ayant pour but de montrer la voie dans un pays où l’État ne peut prendre en charge toutes ces populations démunies et handicapées. Malgré son engagement chrétien fervent, Nadim Choueiry insiste sur le caractère areligieux et apolitique de la fondation. « Je m’engage envers l’homme, quelle que soit sa religion. Autrui est pour moi un reflet du divin qui a une valeur intrinsèque et une fin en soi », dit-il. Il cite alors le Talmud : « Qui sauve un homme sauve l’humanité tout entière. » Léa KHAYATA

Cinquante années d’action et de dévouement en faveur des handicapés et des plus démunis. Telle est en peu de mots la mission que s’est fixée depuis cinq décennies la fondation al-Kafaat qui a ajouté, en outre, à ses activités la formation professionnelle et universitaire des jeunes de condition modeste.
Pour bien marquer ce jubilé et honorer la fondation, le président de la...