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Des ambulances visées pour la première fois dans « la pire des guerres » Le conflit vu de près dans les souvenirs des secouristes de la Croix-Rouge

La guerre, les secouristes de la Croix-Rouge libanaise ne sont pas près de l’oublier. Se lançant dans la bataille quand d’autres fuyaient, ils ont réussi à prouver leur efficacité dans « la pire des guerres », comme beaucoup d’entre eux la décrivent. Des secouristes ayant travaillé dans diverses régions témoignent de cette terrible expérience, un an après la guerre. Mohammad Makki, vice-directeur de la CRL et responsable du district du Liban-Sud, se souvient qu’il a fallu s’organiser extrêmement vite pour cette guerre inattendue. « La première semaine, le travail était presque normal, dit-il. Mais avec le bombardement des ponts et les coupures de routes, arriver jusqu’aux blessés était devenu de plus en plus ardu, ce qui nous dérangeait beaucoup parce que les gens sont habitués à compter sur nous.» Bien que toute cette guerre ait été « la plus terrible » que ce secouriste chevronné ait connue, pour lui, le souvenir le plus marquant a été le massacre de Cana. « J’étais là aussi lors du premier massacre en 1996, dit-il. Il est vrai que le nombre de victimes était plus grand, mais le spectacle de la tuerie de 2006 était encore plus dur pour moi, parce que ces enfants n’avaient aucune blessure, ils étaient juste morts étouffés. » Même son de cloche chez Bassam Moqdad, l’un des premiers arrivés sur la scène. Il avoue avoir pleuré ce jour-là. « Je me souviens que j’ai mis une demi-heure à dégager un enfant mort des bras de sa mère, également morte, et dont le dernier geste a probablement été de le protéger », raconte-t-il. « J’ai des enfants du même âge que ces enfants que je transportais et je ne pouvais m’empêcher d’imaginer mon sentiment si je les perdais », ajoute-t-il. L’épisode de Cana a certainement été l’un des plus durs à vivre, mais le quotidien de ces jeunes hommes et femmes était empreint de difficultés. Daniel Geryès, responsable des centres de Tyr jusqu’à Chebaa, peut en témoigner. Il raconte comment, appelés à Debel pour secourir des blessés, ils n’ont sauvé qu’in extremis, après deux jours de flottement, une jeune fille de 17 ans blessée à l’épaule et qui n’a pu être transportée à Tyr qu’à l’aide d’un char de la Finul. M. Geryès évoque les difficiles décisions prises tous les jours pour arriver jusqu’aux blessés. « La peur ? Elle était certainement présente depuis que nos ambulances avaient été la cible de tirs directs, mais l’enthousiasme était intact et tous les secouristes sont restés dans les centres durant 33 jours », dit-il. À trois reprises, en effet, les ambulances de la CRL ont été la cible directe des Israéliens : la première fois à Cana, alors que les équipes de Tebnine et de Tyr s’échangeaient des blessés, la deuxième fois à Kefraya, quand le secouriste Mickaël Gebeyli a perdu la vie, et la troisième fois à Tebnine, quand une ambulance transportant du pain a été brûlée. Ce fait révolte profondément tous les secouristes et les responsables de la CRL, qui affirment comme d’une seule voix que « c’est la première fois que l’emblème de la Croix-Rouge est sciemment visé ». Hussein Farhat et Qassem Chaalan étaient présents dans les deux ambulances à Cana au moment des faits. Hussein, du centre de Tebnine, se souvient que ce jour-là, ils devaient transporter un homme d’une quarantaine d’années, sa mère et son fils de douze ans. Ils se trouvaient à Cana pour confier les blessés à l’équipe de Tyr. Le premier missile atteint en plein l’ambulance de Tyr. Le blessé a la jambe amputée, sa mère et son fils sont projetés hors du véhicule, et le second missile frappe le second véhicule. Tous les secouristes sont blessés, mais survivent miraculeusement. Ils s’abritent dans un dépôt de fortune et se soignent avec les moyens du bord avant d’être secourus deux heures plus tard. Qassem, du centre de Tyr, a été grièvement blessé. Il a perdu 30% de son ouïe et a développé une allergie aux yeux, due aux matières chimiques dégagées lors de l’explosion. Il évoque une image symbolique : quand il se soignait à l’hôpital, une infirmière lui retirait du sang de son bras pour l’injecter au blessé qu’ils étaient venus secourir… Tous les secouristes ont repris le chemin de leurs centres. Mickaël Gebeyli a été moins chanceux. Walid Kayal, chef du district de la Békaa, était près de lui au moment du drame et il n’en est toujours pas remis. L’émotion le submerge dès qu’il parle du sympathique jeune homme qui égayait l’atmosphère du centre. Ce jour-là, il avait insisté à accompagner Walid, notamment quand ils ont reçu l’appel pour des blessés d’un convoi venant de Marjeyoun. Alors qu’ils étaient au niveau de Kefraya, ils ont été surpris par les bombardements et Mickaël, transportant l’un des blessés à l’ambulance, a été fauché par un obus. « Le temps s’est arrêté à ce moment », se souvient Walid. Il ajoute : « La première chose qui m’est venue à l’esprit, c’est comment dire à sa femme et à ses enfants que nous l’avons perdu. » À Beyrouth, comme au Sud. Abdallah Zoughaib est chef du district de Beyrouth et il a vécu les heures noires dans la banlieue-sud. « Nous étions confrontés à des situations totalement nouvelles, avec des munitions capables de détruire des complexes résidentiels entiers d’un coup », se souvient-il. Il ajoute : « Pour nous faire aider par des pelleteuses ou des tracteurs, il fallait les escorter, sinon les chauffeurs avaient trop peur de se diriger vers ces quartiers. » Abdallah avoue avoir surtout été touché, et reste affecté, par les nombreux enfants victimes des bombardements. « Ces souvenirs me suivront toute ma vie, mais ils me confortent aussi dans ma conviction d’encourager les jeunes à suivre la voie de l’humanitaire », dit-il. Des contacts difficiles pour assurer la sécurité Cette guerre a été plus difficile parce que l’infrastructure a été frappée et les véhicules de la CRL visés pour la première fois, estime le directeur du département des secouristes, Georges Kettaneh. Il révèle qu’une évaluation de l’action durant la guerre a été faite, en coopération avec le CICR, afin d’élaborer une stratégie, notamment pour unifier et améliorer les équipements et les centres, ainsi que la formation du personnel. M. Kettaneh souligne à quel point la coordination était difficile : après la réception d’un appel à l’aide, il fallait coordonner rapidement avec le CICR pour essayer de garantir le passage. Mais le plus souvent, les ambulanciers étaient incapables d’attendre cette garantie. « Le travail de terrain ne souffre pas de délai », dit-il. Fraîchement élue au poste de présidente du département des secouristes quelque temps seulement avant que n’éclate la guerre, Rosy Boulos avait de nombreuses raisons de s’inquiéter. « Nous avions eu plusieurs victimes durant la guerre civile, je ne savais pas comment les secouristes réagiraient face à une situation aussi dure (en temps de guerre, ils ont effectivement le choix), dit-elle. Mais j’ai constaté que leur enthousiasme ne faisait qu’augmenter. » Autre motif d’inquiétude : les équipements qui se faisaient vieux. Mais l’engouement engendré par l’action des volontaires a drainé de nombreuses aides à l’organisation. Mme Boulos confie : « J’ai constaté que cet “overall” orange rassure les gens. Il en est de même pour moi : ces volontaires m’ont réconciliée avec ce pays. J’ai aussi appris que ce sont la discipline et le respect des principes de la CRL qui rendent ce département si efficace. » Actuellement président de la CRL, Sami Dahdah a longtemps été président du département des secouristes, qu’il a d’ailleurs lui-même fondé durant la guerre civile. « Il est vrai que la guerre avec un ennemi étranger est très dure, surtout quand celui-ci ne respecte aucune règle, dit-il. Malgré cela, dans ce genre de guerre, notre moral reste haut. Mais quand le conflit devient interne, ça nous décourage profondément. Je dis cela parce que le Liban passe par une étape extrêmement délicate. » Profondément révolté du fait que les secouristes aient été visés par les Israéliens, M. Dahdah nous révèle que durant la guerre, il a eu une intervention très ferme au cours d’une réunion à Genève de toutes les associations de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, obtenant un soutien international contre ces agissements. Interrogé sur les projets futurs de la CRL, M. Dahdah considère que le projet continu est celui de préserver cette organisation qui regroupe 4000 jeunes de toutes les régions libanaises. « Ce sont eux qui, en travaillant ensemble, montrent le vrai visage du Liban et prouvent que la coexistence est une réalité, contrairement à toutes les images de divisions que l’on voit actuellement », dit-il.
La guerre, les secouristes de la Croix-Rouge libanaise ne sont pas près de l’oublier. Se lançant dans la bataille quand d’autres fuyaient, ils ont réussi à prouver leur efficacité dans « la pire des guerres », comme beaucoup d’entre eux la décrivent. Des secouristes ayant travaillé dans diverses régions témoignent de cette terrible expérience, un an après la...