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La neutralité, une utopie qui mériterait réflexion Pavane pour un rêve défunt

Dormeuse, amas doré d’ombre et d’abandon. (Valéry) Qui réveillera la belle au bois dormant ? Au pays de cocagne. De mer, de plaine et de montagne. Tranquille, heureux. Shangri-La. Où le vent marie le chant des vagues au murmure des hautes sources. Rêve d’un pays de rêve. En un cauchemar transformé. Par des voisins haineux. Et par des fous. Des fous de Dieu. Ou quelques ambitieux. Caïn fratricides. Tueurs de paradis. D’un paradis perdu, à trois portes dorées. La permissivité des mœurs, alias tolérance sur le plan religieux ou culturel. La mentalité générale : esprit de famille, de quartier, de village, de communauté, mais aussi de corporation, et de convivialité Bourj-souks. L’apolitisme ou, plus exactement, l’intérêt relatif, épisodique, le plus souvent électoral, porté à la passion politique. En somme, une formule chimique alliant trois composants : les nanas, la nounou et le ni-ni. Le frac, le fric et le fric-frac – Prenons d’abord le mélange par son côté hédoniste, euphorisant. Dans les années cinquante-soixante, un aristo italien de la jet-set, le prince Orsini, s’exclamait : « Le Liban, ce n’est qu’un vaste lupanar. » Et un immense casino où l’on pouvait jouer, s’offrir, en tenue de soirée haut de gamme, de fastueux spectacles, danses du ventre ou chorus girls, boire, se doper, s’empiffrer, s’éclater non-stop. Se ressourcer, en bronzant au soleil ou en coulant des nuits fraîches à Bhamdoun, Sofar, Aley. Les nouveaux riches du Golfe pétrolier affluaient, dès le printemps, vers cette fontaine de plaisir. Un pactole qui gonflait un gros portefeuille de rentrées plus ou moins déclarées. Culture et trafic du H. Affaires import-export triangulaires plus ou moins louches. Traite de la blanche-neige, et des blanches à destination de l’hinterland, avec crochet par Zeytouné, capitale des bars ou boîtes d’artistes. Rackets internationaux de toutes sortes. Corruption publique, à cette différence près, avec le tableau présent, que l’argent ne sortait pas du pays. Et profitait un peu, par ricochet, aux petites gens. Mais aussi, fortes rentrées régulières, agricoles, commerciales, touristiques, bancaires. Ou enveloppes, investissements fonciers, immobiliers, industriels d’opulents émigrés. Invité à étudier le miracle libanais, un économiste européen avouait n’y rien comprendre. Pour conclure qu’il ne fallait surtout pas toucher à ce mystère qui marchait si bien. La convivialité – Et pendant ce temps-là, la Méditerranée, qui se trouve à deux pas, joue avec les galets, chantait alors Bécaud. Oui, pendant que le Lebanon by night frénétique se dévergondait à toute biture, les familles, les enfants, les cerfs-volants pique-niquaient sagement dans l’air iodé des dunes à roseaux bordant la mer. Ou cueillaient le thym dans les collines encore campagnardes de Hazmieh, de Jamhour, de Araya. Tandis que dans la plaine s’ébrouaient de blonds poulains, sous l’œil goguenard et attendri de vieux ghannams nomades roussis au soleil. Et, partout, diligentes et vigilantes, ces secondes mamans qu’étaient les vieilles bonnes surveillaient, mouchaient, co-élevaient la marmaille. Tandis que les gars du quartier se faisaient une petite partie des cartes ou de tawlé, avant la promenade à lazzis sous les balcons des filles, entoilés pour ne pas voir leurs jambes. Et alors que les papas, rabattus des quatre coins du pays sur le creuset bourdonnant du centre-ville marchandaient, bavardaient, discutaient affaires, travail ou même religion, échangeaient des histoires saintes ou salaces. Pour une même salade, disons économique et œcuménique. Le pacte trahi Des rapports de force, il y en avait certes. Mais le facteur dominant-dominé était loin d’être accentué et se reflétait dans des comportements bien plus sociaux que politiques. C’était là l’un des éléments d’une solide stabilité, gage de toute prospérité, de tout progrès. De tout bonheur (les peuples heureux n’ont pas d’histoire). Le secret de cet âge d’or ? Un marché global initial, fondateur, dit du ni-ni. Ni Est ni Ouest. Ni France ni Syrie. Tout autre engagement qu’intra muros, aux côtés ou du côté des causes arabes par exemple, devait rester d’ordre plus moral, de principe, que militant. Ou combattant. Il y avait certes, aussi, des clauses internes d’un autre genre. Comme l’accord tacite, à la suisse, que l’intérêt économique commun interdisait la partition, et commandait la coexistence pacifique. Mais, par définition même, c’est essentiellement le politique qui régentait, canalisait et organisait la vie nationale. Dès lors, le précepte premier était que le Liban était, devait être, un pays neutre. Vocable si évident que certains n’en usaient même pas. Tandis que d’autres s’en effrayaient, pas crainte sans doute d’effaroucher les frères arabes. Toujours prompts alors, on était encore loin de Sadate ou d’Oslo, à s’horripiler que l’on puisse être neutre face à l’ogre sioniste. On sait ce qui s’est passé, ce qui se passe encore, quand une tranche (d’ailleurs changeante !) de Libanais estime urgent d’outrepasser la règle du ni-ni. Au nom de ces grands sentiments qui en Orient tiennent lieu d’idéologie. D’où une incontestable, une fatale dérive. Qui permet, aujourd’hui comme hier, au crime de rejoindre la politique, de la marquer au fer rouge. Tout en accentuant les clivages qui ressortent non pas du fanatisme religieux, plus rare qu’on ne le pense, mais d’une sorte de racisme communautaire. Ou idéologique. Car chaque camp a sa propre vision du Liban. Dans les deux cas engagé : avec ou contre la Syrie d’Assad. C’est peut-être là simplifier un peu trop le différend. Il faut sans doute prendre également en compte les projets intrinsèques de pouvoir des uns et des autres. Mais c’est dire aussi combien la thèse de la neutralité, défendue par beaucoup de modérés loyalistes mais également par quelques pôles opposants, dont le député Nehmetallah Abi Nasr, reste utopique. Car pour que ce retour, ce recours au ni-ni puisse prendre corps, il faudrait d’abord qu’à l’instar de Nasser jadis, le régime en place à Damas accepte de laisser le Liban tranquille. Pour que le dialogue national débatte calmement de cette idée, de cette nécessité. Ou encore que le Hezbollah se résigne à renoncer à son projet propre comme aux options iraniennes. Et ce n’est pas demain la veille. Jean ISSA
Dormeuse, amas doré d’ombre et d’abandon.
(Valéry)

Qui réveillera la belle au bois dormant ? Au pays de cocagne. De mer, de plaine et de montagne. Tranquille, heureux. Shangri-La. Où le vent marie le chant des vagues au murmure des hautes sources. Rêve d’un pays de rêve. En un cauchemar transformé. Par des voisins haineux. Et par des fous. Des fous de Dieu. Ou quelques...