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PORTRAIT D’ARTISTE - Henrietta Horn, nouvelle prêtresse de la danse Une joviale parade, même en solo…

Que les nostalgiques des tutus amidonnés, des chaussons satinés, des gazes transparentes, des gestes vaporeux, certes gracieux mais mélancoliques, aillent se rhabiller. Ou au mieux qu’ils fassent une croix sur les Belles aux bois endormies, sur les Gisèle atteintes de folie, sur les Ophélie aux cheveux sagement tressés, sur les princes charmants aux chevilles agiles mais toujours frappés par des sorts désastreux. On l’aura compris, le ballet n’est plus ce qu’il était. Et heureusement ! Sinon l’odeur de la naphtaline nous aurait asphyxiés... Déjà Béjart avait largement contribué à ouvrir la brèche de la danse moderne pour ne pas dire à entamer une belle et audacieuse rupture, loin de toute convention décorative, musicale, gestuelle, thématique. Son Sacre du printemps, hymne à une union de l’homme et de la femme, au plus profond de leur chair, union du ciel et de la terre, danse de vie et de mort, éternel cycle du printemps et de la vie, a ébloui le public du monde entier. Et à plus forte raison les festivaliers de Baalbeck qui, les yeux grands ouverts comme des enfants émerveillés, découvrent, plaqués dans leur fauteuil, la tornade Béjart sans le star-system. Exit, Margot, Maya, Rudolf, Barychnikov et consorts ! Et depuis, les chorégraphes et les danseurs(ses) ont lâché les freins. Du côté des femmes surtout ! Ces femmes qui revendiquent, ferme et haut, intraitables et ouvertement impudiques, le droit à la différence, au corps. Les grandes prêtresses de la danse se succèdent avec des narrations différentes et des visions de plus en plus pointues, osées, révolutionnaires, ébouriffantes. D’Isadora Duncan à Martha Graham, le corps se plie à de nouvelles disciplines, à de nouvelles pirouettes, à de nouveaux entrechats, à de nouveaux bonds, à une nouvelle gymnastique, à une expression inédite. Aujourd’hui, le haut du pavé est tenu par les Allemandes qui font figure de championnes en matière d’innovation. Sous les feux de la rampe, voilà l’émergence d’une danseuse et chorégraphe dont les prestations et productions sont saluées, certes, avec déférence mais aussi beaucoup de curiosité. Pour le plus grand plaisir et amusement, non seulement des « balletomanes » chevronnés, mais d’un public averti et avide de nouveautés. Elle, c’est Henrietta Horn. HH pour des particules qui ouvrent toutes grandes les portes de l’inspiration qui ne s’embarrasse pas de chichis esthétisants ou de poses inutilement grandiloquentes. Un nom qui irait se rapprocher, de par ses sonorités, au personnage de Loretta Strong de Copi…Et pourtant, rien à voir, rien à cirer avec le mordant et farfelu caricaturiste, si ce n’est une petite dose d’humour malicieux, ce clin d’œil qui réunit toute la communauté de bons artistes ! Danser tout simplement semble le pieux vœu de Henrietta Horn, élève de Pina Bausch qui déclarait : « Je ne m’intéresse pas à la façon dont les gens bougent, mais à ce qui les meut. » Même sillage de réflexion et de pensée pour Henrietta Horn, qui exige un investissement intense des interprètes en leur demandant, pour s’exprimer, de puiser dans leur inconscient et leurs souvenirs. C’est avec un plaisir bien gourmand que les amateurs de danse découvrent l’autre soir sur leur petit écran (à défaut de pouvoir fréquenter les salles de spectacle fermées jusqu’à nouvel avis pour les circonstances que l’on ne connaît, hélas, que trop !), à travers la chaîne culte d’Arte, un téléfilm sur Henrietta Horn réalisé par Régina Heidecke. Un nez mutin, une silhouette filiforme et élégante, des lunettes de myopie pour un regard fureteur tel un scanner impitoyable, la directrice artistique du Folkwand Tanzstudio d’Essen découvre la région de la Ruhr. Une région industrielle du pays de Goethe, mais qui livre lentement ses secrets à une femme pour qui la vie reste interrogation. Une artiste qui balaye d’un regard profond tous les aspects de la vie et écarte définitivement toutes œillères inutiles et évite tous les pièges des artifices vains. Née en 1968 à Berlin, Henrietta Horn étudie à Cologne et très vite, après avoir fondé l’ensemble Terza et Uno, rafle les récompenses dont ce prix Volonine à Paris en 1995. C’est avec une certaine fascination, à la fois irritation et intérêt, qu’on regarde son monde de scène. Un monde alliant en toute subtilité et comme par couches entremêlées, une poésie particulière, un certain regard sur la culture asiatique, une extrême précision dans la gestuelle comme une partition adroitement orchestrée. Sans oublier une propension à rire des choses prétendument graves. Une sorte de parade joviale où le monde contemporain apparaît dans sa stridence, mais teintée d’un humour touchant à la fois à une sensualité sous-jacente et à une tendresse retenue. Dans cet univers entre ombre et lumière, les pirouettes sont des toupies folles, les tempi s’accélèrent et les doigts des mains, emmanchés de longues tiges comme ces hauts dignitaires chinois, se transforment en éventails mobiles. Étrange parfum d’ici et d’ailleurs, mélange de rêve et de réalité, amalgame de nonchalance et de détermination, cocktail savoureux de souplesse féline et de rigidité feinte. Un style particulier qui s’est imposé depuis ce lent et provocant Solo, jusqu’à ce scintillant et brillant Artichaut dans mer d’argent (quel titre n’est-ce pas ?). Spectacles qui ont fait le tour de l’Europe sous les acclamations et où, le moins que l’on puisse dire, les mouvements appartiennent surtout aux danseurs. Henrietta Horn veut bien amuser le spectateur, mais lui accorde volontiers aussi le bonus de quelque chose : une pensée à méditer, une réflexion à faire, un jugement à émettre. Dans un style limpide et essentiel, cette danseuse-chorégraphe, davantage portée à la danse pure qu’à la représentation théâtrale, veut aujourd’hui ouvrir une nouvelle parenthèse. Elle exige un temps de repos, une pause, pour mieux savoir où vont la porter ses pas légers et aériens. Nous, spectateurs, on ne perd rien à attendre un peu. Comme d’habitude, au lever de rideau prochain, le résultat avec Henrietta Horn surprendra plus d’un, dans le bon sens bien entendu ! Edgar DAVIDIAN
Que les nostalgiques des tutus amidonnés, des chaussons satinés, des gazes transparentes, des gestes vaporeux, certes gracieux mais mélancoliques, aillent se rhabiller. Ou au mieux qu’ils fassent une croix sur les Belles aux bois endormies, sur les Gisèle atteintes de folie, sur les Ophélie aux cheveux sagement tressés, sur les princes charmants aux chevilles agiles mais...