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PORTRAIT D’ARTISTE - Lever de rideau sur Yasmine Reza Ces petits riens qui font la vie à la scène…

C’est un peu surprenant que les scènes beyrouthines aient du retard sur le verbe de Yasmina Reza. Aucun théâtre n’a encore pensé lever le rideau sur l’univers d’une femme de lettres couverte déjà internationalement d’hommages. Si on nous en laisse le temps, c’est-à-dire avec un peu de stabilité et moins de jours noirs, l’occasion se présentera, sans nul doute, car les dénicheurs de talent au pays du Cèdre sont toujours aux aguets et ne reculent devant aucune nouveauté pouvant satisfaire le goût du public. Yasmina Reza, un nom aux consonances iraniennes en lettres de feu, comme une enseigne lumineuse à Broadway, dans le firmament du monde du théâtre. De Berlin à Londres, en passant par Tokyo, Bombay, Johannesburg, Buenos Aires et Bratislava, le succès sourit aux pièces de cette dramaturge qui parle des petits riens qui font la vie… Comédienne et écrivaine, Yasmina Reza est née en 1959 d’une mère violoniste hongroise installée à Paris et d’un père ingénieur des Ponts et Chaussée d’origine juive, naviguant entre affaires et fuite du bolchevisme. Élevée dans un milieu raffiné, cosmopolite et porté à la culture, Yasmina Reza a vite compris que l’art est sa planche de salut. Sans se prendre pour Minou Drouet, premier poème La vie et la mort en 1967 ! Bachelière, elle se penche, après des études de sociologie, à la formation théâtrale à Nanterre. Échec au Conservatoire qui la jette dans sa première solitude d’auteur. En six mois, elle écrit, sans se prendre pour la Françoise Sagan du monde des planches, Conversations après un enterrement. Succès foudroyant, non populiste à la Robert Hossein, mais légèrement élitiste et intellectuel. « Art » traduite en 35 langues ! Et depuis, la machine dramaturgique et littéraire s’est enclenchée. Traversée de l’hiver, L’homme du hasard, Une pièce espagnole, Le Dieu du carnage, Trois versions de la vie et surtout la pièce Art. Art, un véritable triomphe, qui obtient deux Molières (en 1994), fait le tour du monde à guichets fermés, obtient la prestigieuse récompense de Tony Award en Amérique (une première pour une pièce qui n’est pas de langue anglaise !) et est traduite en 35 langues ! Un sésame dramaturgique international qui relève du jamais-vu. Yasmina Reza écrit pour ceux qui essayent de vivre. Dans la solitude et la fragilité des êtres. Des naufragés, des mélancoliques, des écorchés désabusés dans le fatras des impuissances et des mesquineries quotidiennes. Un monde où l’illusion de la vie est grande mais où les mots, pas forcément ceux qui font mouche, les non-dits et les silences rivalisent de malice pour cacher ou révéler les vérités. Une musicalité particulière, moderne, pour ces textes qui font confiance à la densité, la perversion et le mystère d’un sous-texte puissant dans son ambiguïté et ses suggestions… C’est comme, pour prêter chair aux mots, laisser l’inspiration aux acteurs dans le monde mi-voilé, cruel ou déshumanisé d’un Albee ou d’un Pinter. Avec la noirceur et le grincement en moins ! « Je ne pourrais jamais écrire pour des acteurs médiocres », avait confié Yasmina Reza comme pour cerner ou boucler les frontières de son monde dramaturgique. Sans oublier pour autant le temps de vivre. Car Yasmina Reza est deux fois mère (ses enfants s’appellent Alta et Nathan) et son compagnon, Didier Martiny, cinéaste, lui offre une belle prestation d’actrice dans À demain (sorti en 1992), de même que pour « Pique-nique de Lulu Kreutz » (sorti en 2000). D’une énergie débordante, malgré ses livres courts mais percutants, Yasmina Reza a tâté, avec succès, du récit autobiographique avec Hammerklavier, du roman avec Une désolation  (vendu à plus de 100 000 exemplaires) et en 2003 elle publie son second opus de fiction, Adam Harderberg, puis Nulle part et Dans la luge d’Arthur Schopenhauer. C’est tambour battant, déterminée et ferme qu’elle mène sa carrière, refusant les offres alléchantes (ou prétendues comme telles !) de participer à un Bouillon de culture de Bernard Pivot ou de céder les droits d’Art à Sean Connery et Michael Caine pour en faire un film. Explication de l’auteur de Trois versions de la vie : « Pour un auteur de théâtre, l’essentiel est d’être joué partout sur scène. Si Sean faisait son film, ma pièce n’existerait plus ! » Inprévisible dans ses mouvements, ses réactions et ses déclarations, Yasmina Reza, dont les opus sont édités chez Albin Michel et Acte Sud, a toujours su garder la part de surprise pour ses lecteurs. Et, pour octobre prochain, la part léonine reviendra, sans nul doute, à son enquête sur Nicolas Sarkozy et les turbulences qui ont précédé son élection. Un ouvrage qui fera des remous. À quand donc un texte de Yasmine Reza sous les feux des rampes beyrouthines ? Un moment attendu pour les mordus de théâtre. Et on se plaît à rêver qu’on ne l’aura pas seulement dans sa version originelle française. Une traduction en arabe serait bienvenue, puisque Reza est la championne des porte-parole de ceux que la vie blesse et que les frustrations tuent, et en Orient ils sont légion et cohortes. Du théâtre au roman, en passant par le cinéma, Yasmina Reza, à qui tout semble réussir, a un profil inclassable. C’est vrai, le talent ne se libelle pas, on l’écoute et on le salue bien bas ! Edgar DAVIDIAN
C’est un peu surprenant que les scènes beyrouthines aient du retard sur le verbe de Yasmina Reza. Aucun théâtre n’a encore pensé lever le rideau sur l’univers d’une femme de lettres couverte déjà internationalement d’hommages. Si on nous en laisse le temps, c’est-à-dire avec un peu de stabilité et moins de jours noirs, l’occasion se présentera, sans nul doute, car les...