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Actualités - OPINION

Deux gouvernements pour un non-pays

«Lorsque la mort survient, nul besoin de mots… » Il paraît que le célèbre écrivain Abdul Rahman Munif répétait ces mots dans la période précédant sa mort, le 24 janvier 2004. On aurait envie de répéter cela à la vue des scènes de notre quotidien. « Deux gouvernements pour un non-pays Ceci est mon sang, mais je ne reconnais plus la couleur Ceci est ma chair, mais je ne reconnais plus les contours. » Nous avons refusé, me semble-t-il, de nous regarder dans un miroir. Je me souviens de ma tante qui, dès les premiers signes de l’âge, avait arrêté de se regarder dans une glace. Elle avait, que Dieu la prenne dans Sa miséricorde, un tout petit bout de miroir cassé qu’elle gardait au fond de son sac. Elle s’y regardait par petit bout : un œil, une joue, un nez. Elle ne voulait pas avoir une vision complète d’elle-même. Le bout que son bout de miroir lui renvoyait, elle le soignait tantôt avec un peu de rouge à lèvres, tantôt avec un peu de poudre blanche, ensuite rouge… Et je crois que celle qui m’a donné tout, sauf l’occasion de le lui rendre, avait gardé d’elle-même une image jusqu’au bout incomplète mais belle. Elle n’a jamais vu ses rides, ses cheveux blanchis qu’elle colorait de toutes les couleurs, ses dents tombées. Le jour de sa mort, j’étais loin. Enfin, comme d’habitude, j’avais du travail, beaucoup de travail, j’ai oublié d’être triste. Elle a été enterrée dans un silence fou. 95 ans ont ainsi pris fin. Elle n’a pas laissé de traces sous le soleil. D’ailleurs, en ses dernières années dans une maison de retraite, elle n’avait plus vu le soleil. Hakoum mérite à elle seule le roman que je n’écrirai pas. Il me faudrait beaucoup de courage, du temps et surtout le désir de me découvrir, de me regarder dans un grand miroir non cassé et de voir jusqu’à quel point nous sommes devenus ingrats, sales, graisseux, aveuglés par tant de choses incongrues, tant d’insuffisances, tant de frustrations, de rancœurs et tant de haines. Des fois, je me demande s’il est possible de garder un minimum de bonté, d’humanisme dans un environnement aussi injuste. Nahla Chahal en parle. Elle se demande si c’est vraiment étonnant ce qui nous arrive en Irak, en Palestine et au Liban (la liste n’est qu’à ses début), lorsque les symboles, les stars de notre vie quotidienne sont les revendeurs de drogue et d’armes, les corrompus, des êtres sans aucun système de valeurs autre que boursières. Et le drame, c’est qu’ils fascinent, plaisent, prolifèrent et deviennent un exemple1. « Deux gouvernements pour un non-pays Ceci est mon sang, mais je ne reconnais plus la couleur Ceci est ma chair, mais je ne reconnais plus les contours. Quelque chose coule sous mes doigts Serait-ce le sable d’une vie Serait-ce le reste d’une illusion. » La tombe de Abdul Rahman Munif a été saccagée à Damas, ont rapporté les journaux du 8 juin. On ne sait pas par qui, ni pourquoi, mais l’on soupçonne le gardien du cimetière, vu les prix record qu’atteignent les tombes en Syrie, 6 000 dollars, précise le journal2. En quoi nous transformons-nous ? Y a-t-il des monstres qui se cachent dans un coin de nos corps ? « Lorsque la mort survient, nul besoin de mots… » Que devient une société lorsqu’elle n’a plus d’égards pour ses morts ? En a-t-elle déjà pour ses vivants ? Comment ces pays en sont-ils arrivés là ? Nous ne l’avons peut-être pas voulu, mais nous avons tous, me semble-t-il, signé des compromis avec des diables. Qui n’a pas, dans sa vie de tous les jours, pactisé avec un diable de pouvoir, de pauvreté, de misère, de besoin ? Pourquoi as-tu écrit, Abdul Rahman ? Pour ceux-là ? Comment affronter tes écrits ? Comment m’en débarrasser ? Fais de toi « deux gouvernements d’outre-tombe » du fond de ton « non-carré » de terre que je te déteste et en finir avec tes villes de sel, ta terre de noirceur, ton Est de la Méditerranée toujours lugubre, toujours infâme, ne méritant même pas la pitié. « Deux gouvernements pour un non-pays Deux choix pour un même et lugubre demain Un lopin de la non-terre. Le dernier. On ne te l’accorde pas. Plus de mer devant Plus d’ennemi derrière Il n’y a que toi et les deux gouvernements qui prolifèrent. » En attendant la mort, la mère cuit les pierres pour faire cesser les pleurs de ses enfants, racontent les livres d’histoire, jusqu’à ce que le deuxième calife Omar ben Khattab arrive… Devinez la suite. Ils sont beaux, les livres d’histoire. Nous cuisons toujours la pierre. Nous allumons le feu. Nous n’arrêtons pas d’en allumer. Omar n’est plus. La pierre n’est plus. Et pourtant, il va falloir écrire des livres d’histoire. Un peu moins beaux… « Deux gouvernements pour un non-pays… Le deuxième ? Le troisième ? Le vingt-deuxième ? Remplissez et gagnez un prix. C’est le classement dans l’ordre qui remporte la loterie À quand l’État de la métastase ? » J’avais une fois une Palestine. Je l’ai laissé souffrir, et elle nourrissait mes rêves. Elle souffre toujours, mais ne nourrit plus mes rêves. Je n’en ai plus. Elle ?... Charif RIFAÏ Architecte 1- Voir « al-Hayat » du 17-06-07. 2- Quotidien « al-Akhbar » du 08-06-07.
«Lorsque la mort survient, nul besoin de mots… »
Il paraît que le célèbre écrivain Abdul Rahman Munif répétait ces mots dans la période précédant sa mort, le 24 janvier 2004.
On aurait envie de répéter cela à la vue des scènes de notre quotidien.
« Deux gouvernements pour un non-pays
Ceci est mon sang, mais je ne reconnais plus la couleur
Ceci est ma chair, mais je ne...