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Actualités - CHRONOLOGIE

INCURSION AU PRADO El Greco, le premier des grands peintres espagnols

MADRID, de Zéna ZALZAL S’évader par la peinture. S’éloigner d’un quotidien truffé d’effroi et de laideur pour voyager au gré des plus beaux tableaux de tous les temps. C’est ce que propose cette rubrique, qui vous invite à faire une incursion – et des arrêts sur toiles – dans l’un des plus importants musées du monde : le Museo del Prado, à Madrid. Cette célèbre pinacothèque abrite, en effet, l’une des plus riches collections de peintures européennes du XIVe au début du XIXe siècle. Des œuvres majeures des plus grands maîtres espagnols, tels que Le Greco, Diego Vélasquez, Francisco Goya, Bartolomé Esteban Murillo. Mais aussi des chefs-d’œuvre de la peinture universelle signés Fra Angelico (« L’Annonciation »), Jérôme Bosch (« Le jardin des délices »), Pierre Paul Rubens (« Les trois grâces »), Raphaël, Titien, Botticelli, Le Tintoret, Caravaggio, Albrecht Dürer (le diptyque d’« Adam et Ève »). Après un premier arrêt devant les toiles de Goya (voir édition du 12 juin), suite du parcours par les salles du Greco et découverte de l’un de ses tableaux les plus connus, « Le chevalier à la main sur la poitrine ». C’est le plus espagnol des peintres grecs. De son vrai nom Doménikos Theotokópoulos, El Greco était, en réalité, d’origine grecque. Né en Crète en 1541, il s’établit en Espagne, à Tolède, vers 1570, après un passage par Venise et Rome. En Italie, où il travailla quelque temps dans l’atelier de Titien, ce peintre, formé originellement à la technique iconographique byzantine, s’imprégna de maniérisme. Les historiens d’art s’accordent cependant à dire qu’il subit nettement plus l’influence de Tintoret et de Jacopo Bassano que celle du Titien. Au bout de cinq ans passés en Italie, El Greco – ainsi surnommé par les Italiens – s’était déjà acquis une certaine renommée. Attiré en Espagne, comme nombre de ses condisciples, par le chantier de construction de l’Escorial, le fameux monastère-palais royal près de Madrid, El Greco s’y rendit espérant obtenir des œuvres de commande du roi Philippe II. Sauf que son style, à la fois trop austère et trop personnel, ne plut pas au souverain. Ne pouvant entamer une carrière de peintre de cour, le Greco se tourna alors vers l’Église, autre grand commanditaire d’art à l’époque. C’est à Tolède, où il décrocha ses premières commandes, qu’il s’installa définitivement. Ses compositions religieuses, où se mélangent le style primitif des peintures d’icône et les couleurs extraordinaires des maniéristes, y furent appréciées. Et c’est d’ailleurs dans l’une des églises de cette ville qu’est conservée, toujours en place, son œuvre magistrale L’Enterrement du comte d’Orgaz. Une peinture murale, empreinte d’une forte spiritualité, qui figure le miracle du ravissement de l’âme d’un noble de Tolède du XIVe siècle. Tolède, cité fortifiée, juchée sur un roc, toute en ruelles sombres, en églises et cathédrales, était le cadre idéal pour cet artiste, à l’âme mystique et spirituelle, et à la personnalité contrastée. À la fois austère, orgueilleux – il avait une très haute idée de son art – et avide d’argent, aimant mener grand train de vie. Une dualité qui explique l’alternance, dans les galeries du Prado, de la série de grands tableaux aux thèmes évangéliques et de celle de portraits le plus souvent en petit format. « Le chevalier à la main sur la poitrine » Les premiers, peuplés de saints et d’ascètes aux silhouettes longitudinales, aux corps étirés à l’extrême, aux visages décharnés et aux mains sèches et nerveuses, enveloppés de couleurs aux nuances irréelles, avec cet « excentrique » vert bleuté si caractéristique du Greco, contrastent avec les seconds qui, sur des fonds sombres et épurés, représentent, avec une grande économie de moyens, des visages ou des portraits en buste de chevaliers. C’est d’ailleurs le cas de l’une des œuvres les plus célèbres de l’artiste, justement intitulée Le chevalier à la main sur la poitrine. Réalisé entre 1575 et 1584, ce petit portrait, dont on ne connaît pas l’identité du modèle, est révélateur de l’âpreté au gain de cet artiste de génie. En effet, connu pour son extraordinaire habileté à réussir les mains – qui sont, paraît-il, la partie du corps humain la plus dure à reproduire –, El Greco les facturait à... l’unité. Tout comme il exigeait des prix très élevés – ce qui entraîna pas mal de procès – et tenait une comptabilité très serrée dans la dimension des portraits. Ainsi explique-t-on que, dans le portrait dudit chevalier, le manche de l’épée soit placé à une hauteur inhabituelle, bien au-dessus de la taille. Ne voulant pas payer une note astronomique pour un portrait en pied, sur lequel aurait figuré normalement son épée, symbole de son rang, le commanditaire s’était rabattu sur ce portrait en buste, nonobstant cette relative aberration. Un même visage pour ses madones Autre petite histoire sur l’histoire des tableaux de cet artiste assez paradoxal : c’est sa compagne, Da. Jeronima de Las Cuebas, qu’il n’épousa jamais et dont il eut un fils naturel, qui prêta ses traits d’une grande beauté à toutes les madones de El Greco. Il reste que le langage pictural du Greco est à première vue difficile à apprécier. Il faut prendre le temps de contempler ses grandes compositions faites de sinuosités, de formes allongées, d’effets lumineux et de bizarreries chromatiques, pour en saisir toute l’intensité expressive. Une intensité parfois hallucinée par laquelle ce peintre, qui ouvrit la voie à la série des grands maîtres espagnols (comme Vélasquez et Goya...), sut magnifiquement exprimer le mysticisme brûlant de l’Espagne de son temps, celle de l’Inquisition, de sainte Thérèse d’Avila et de Jean de la Croix.

MADRID, de Zéna ZALZAL

S’évader par la peinture. S’éloigner d’un quotidien truffé d’effroi et de laideur pour voyager au gré des plus beaux tableaux de tous les temps. C’est ce que propose cette rubrique, qui vous invite à faire une incursion – et des arrêts sur toiles – dans l’un des plus importants musées du monde : le Museo del Prado, à Madrid.
Cette célèbre...