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Actualités - OPINION

Le tribunal spécial pour le Liban Mouvement oscillatoire entre action médiatrice et mesure contraignante du Conseil de sécurité Fady FADEL

La nuit du 30 mai 2007 (heure libanaise), le Conseil de sécurité (C.S.) a adopté la résolution 1757 relative au tribunal spécial pour le Liban. Les équivoques d’interprétation n’étant pas rares et les discours politiques manquant souvent de nuances, l’on est tenté de croire qu’à cette date, le C.S. « a créé » le tribunal spécial à caractère international. Or, l’examen de la résolution 1757 d’une part et le regard critique porté sur les étapes et le processus qui précédaient cette adoption d’autre part nous montrent que le tribunal à caractère international (spécial pour le Liban) résulte de deux faits : une coopération entre le gouvernement libanais et l’ONU en premier lieu, et une mesure contraignante du C.S. en second lieu, permettant à cette juridiction de voir le jour, grâce à l’entrée en vigueur des dispositions de son statut organique et de l’accord signé entre le gouvernement et l’ONU. Autrement dit, le tribunal en question est manifestement un mouvement, un résultat d’une action qui oscille entre le chapitre VI et le chapitre VII de la Charte de l’ONU. 1) En premier lieu, il convient d’examiner les aspects qui mettent en lumière la coopération entre les parties. Force est de rappeler que la résolution 1595, qui inaugure ce processus de coopération et qui porte sur la création d’une mission d’enquête internationale indépendante, répond à une demande expresse du gouvernement libanais à travers une lettre adressée au secrétaire général de l’ONU en date du 29 mars 2005. Le C.S. ne saurait prendre une telle mesure, basée sur la coopération avec l’État libanais, s’il n’y avait pas eu de requête officielle le sollicitant à ce sujet, à moins qu’il l’ait fait en ayant recours au chapitre VII, ce qui n’a pas été le cas. En outre, il est à noter qu’une deuxième lettre du Premier ministre libanais, datée du 13 décembre 2005, demandait au secrétaire général de l’ONU d’entamer la procédure de négociation d’un accord visant à la création d’un tribunal international afin de juger toutes les personnes responsables des attentats terroristes perpétrés au Liban depuis octobre 2004. Un troisième fait marquant vient s’ajouter à ces aspects de coopération entre gouvernement libanais et Nations unies : l’entrée en négociation en janvier 2006 des représentants du gouvernement libanais et du conseiller juridique de l’ONU, laquelle négociation a abouti en janvier-février 2007 à la signature de l’accord sur la création du tribunal spécial sur le Liban entre l’ONU et le gouvernement. Enfin, en constatant dans la résolution 1757 que les efforts déployés avec « toutes » les parties (nationales, régionales et internationales) concernées dans cette affaire ont montré qu’il y a un accord de principe pour la création du tribunal mais que la procédure de ratification semble bloquée, le C.S. rappelle que le principe de coopération fut prépondérant et déterminant dans l’ensemble du processus relatif à la création du tribunal spécial pour le Liban. D’ailleurs, la résolution 1664 entérine ce processus de mise en place progressive des diverses composantes du tribunal, sans aucune mention du chapitre VII. Or, pourquoi le C.S. a-t-il eu recours dans sa résolution 1757 au chapitre VII ? Et quelles en sont les conséquences juridiques ? 2) Après un rappel de toutes les étapes parcourues pour la création du tribunal et après avoir qualifié l’acte terroriste en question et ses incidences comme étant une menace pour la paix et la sécurité internationales, le C.S. fonde sa présente action sur le chapitre VII et procède par conséquent à « l’entrée en vigueur » des dispositions de l’accord et du statut du tribunal à partir du 10 juin 2007. Donc, il s’agit d’une seule étape entérinée par le C.S. dans sa résolution 1757, à savoir « la ratification », eu égard à la qualification juridique des actes terroristes perpétrés, au titre du chapitre VII et dans l’optique, selon l’ambassadeur de France à l’ONU Jean-Marc de La Sablière, « d’aider le Liban à surmonter l’obstacle politique tout en respectant sa souveraineté ». Et d’ajouter : « Nous agissons à la demande du gouvernement légitime du Liban » (Le Figaro, le 22 mai 2007). La première remarque à émettre face à ces considérations concerne le principe de souveraineté par rapport à une action du C.S. fondée sur le chapitre VII. Sans entrer dans les fondements des résolutions du C.S., déjà analysés dans un article précédent (L’Orient-Le Jour, le 17 mai 2007), il convient de noter que le pouvoir de vote au sein du C.S. constitue à lui seul la garantie d’un non-glissement vers un abus de pouvoir et une marginalisation de la souveraineté des États. Comme l’a fait remarquer Paul Reuter, « ou bien les cinq Grands sont d’accord et les Nations unies disposent de pouvoirs très étendus, ou bien ils ne le sont pas et toute action devient impossible ». Selon la lettre et l’esprit de la Charte, on peut faire valoir que ce principe « unanimitaire » de grandes puissances est finalement la garantie des limitations considérables de souveraineté auxquelles consentaient tous les États membres tenus de respecter les décisions du C.S. (article 25). C’est l’idée que « tous les États, du fait de la possibilité pour une grande puissance d’exercer son droit de veto, ont la garantie, étant donné la diversité de ces puissances et de leur “clientèle politique”, que si l’accord (entre ces puissances) est réalisé, on se trouve à la fois en présence d’une solution politiquement raisonnable et juridiquement justifiée » (Suzanne Bastid). D’ailleurs, les États signataires de la Charte ont déjà consenti à ce jeu d’équilibre politique au sein du Conseil et au caractère contraignant de ses décisions. Ils savent que les qualifications des situations énumérées à l’article 39 sont irrévocables, si ce n’est pas le C.S. lui-même. Les États sont tenus à agir en conséquence et à appliquer les dispositions des résolutions comme elles se présentent, sous peine de violer le droit international et d’être tributaires d’autres décisions contraignantes et coercitives… En l’espèce, l’adoption de la résolution 1757 sous le chapitre VII ne change en rien l’engagement de l’État libanais par rapport à sa coopération avec le tribunal. En effet, aux termes de l’accord signé entre le gouvernement et l’organisation les 23 janvier et 6 février 2007, le gouvernement s’engage, à l’article 15, de coopérer pleinement avec tous les organes du tribunal spécial. Il nous semble que le C.S., en raison de sa qualification des attentats comme étant une menace pour la paix et la sécurité internationales, a voulu imposer la coopération avec le tribunal pour tous les États qui peuvent être concernés, à l’instar de la coopération avec la commission d’enquête internationale, dont les résolutions 1636 et 1644, fondées sur le chapitre VII, l’ont imposée à l’égard de tous les sujets du droit international. Mais aussi, à travers cette mesure contraignante (résolution 1757), le tribunal spécial se voit attribuer de larges compétences vis-à-vis des tribunaux nationaux, se permettant de juger de nouveau une personne ayant été déjà traduite devant les juridictions nationales, s’il manquait l’impartialité et l’indépendance que lui seul – le tribunal spécial – se donne le droit de constater. Une supériorité hiérarchique s’établit désormais entre le tribunal spécial et les juridictions nationales. Ce qui était limité au cas libanais, au regard de l’accord entre le gouvernement et l’ONU, est maintenant généralisé et imposé à l’égard de tous les États. Que retenir de ce mouvement oscillatoire entre les chapitres VI et VII ? Les prises de position et les discours politiques avaient leur pertinence vis-à-vis du tribunal avant le 30 mai 2007. À partir de cette date, il convient de regarder la réalité en face et de prendre acte de cette nouvelle donnée juridique afin de coopérer pleinement, en ce qui nous concerne, et de nous épargner d’autres résolutions qui peuvent être plus contraignantes à notre endroit et qui nous feraient perdre la bataille de la justice. P. Fady FADEL Docteur en droit public Secrétaire général de l’Université antonine Article paru le Vendredi 15 Juin 2007
La nuit du 30 mai 2007 (heure libanaise), le Conseil de sécurité (C.S.) a adopté la résolution 1757 relative au tribunal spécial pour le Liban. Les équivoques d’interprétation n’étant pas rares et les discours politiques manquant souvent de nuances, l’on est tenté de croire qu’à cette date, le C.S. « a créé » le tribunal spécial à caractère international. Or, l’examen...