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MOMENTS INSOLITES – Un vrai marché ouvert tous les dimanches à Sin el-Fil Souk el-Ahad, une drôle de tour de Babel Carla HENOUD

C’est une petite ville dans la ville, étalée sur un terrain de 4 800 mètres carrés, où des centaines de vendeurs proposent poissons rouges, jeans, vêtements chics, lingeries, chaussures, CD, DVD policiers et coquins, parfums, marmites, valises, épices, tatouage, médecine arabe, et même les « Œuvres critiques et poétiques » de Voltaire et Bossuet, pour moins de 10 000 LL. Dans ce marché étroitement contrôlé par un comité, tout est organisé, l’espace, l’installation, la vente et les bonnes mœurs. Pour certains, Souk el- Ahad est une promenade du dimanche. Pour d’autres, le seul lieu où ils en ont pour leur – manque – d’argent… «Le Liban est, aujourd’hui, divisé en trois catégories, souligne ironiquement Tony Chédid, directeur de la coopérative en charge du marché du dimanche, les riches, les pauvres et les personnes endettées. C’est pour ces deux dernières, qui représentent la grande majorité de la population, que ce marché a été créé. Les ventes ont évidemment augmenté avec le nombre croissant de personnes qui n’ont plus d’argent », poursuit-il, cravate et chevalière au doigt, confortablement installé derrière son grand bureau avec vidéo de surveillance sur le souk. Ce qui avait commencé d’une manière improvisée, des vendeurs venus étaler leur marchandise d’infortune sur le sol de ce terrain appartenant au ministère de l’Environnement, a fini par s’organiser et s’officialiser en 1997. Une partie du terrain, par décret présidentiel, a été cédée à l’association arcenciel. Deux hommes, Raymond Irani et Tony Chédid, ont loué la parcelle qui restait en même temps qu’ils ont fondé la coopérative. Ce sont eux qui se chargent d’imposer et de faire respecter les consignes d’accès à l’un des 400 stands de ce marché multiconfessionnel : être libanais (pour contourner cette première règle, ils ont créé la Société Chédid et Irani et peuvent ainsi sous-louer à des étrangers, qui sont nombreux…) ; ne pas avoir de casier judiciaire ; être décemment habillé (les bretelles et autres marcels et shorts sont interdits) ; respecter le visiteur ; ne parler, en aucune façon, politique ; présenter des factures pour confirmer que la marchandise a été achetée. En cas d’infraction à l’une de ces règles, ou d’un quelconque signe de violence verbale ou gestuelle, le vendeur est banni une semaine, deux ou plus si cela se répète. Quant aux contrefaçons, elles ne semblent pas constituer un réel problème. « Tant que ce n’est pas une marchandise volée, nous n’entrons pas dans ces détails », poursuit Tony Chédid. L’occupation des lieux débute le samedi à partir du 5 heures, pour se vider le lendemain à 20 heures trente. « Après 23 heures, vous ne trouverez plus un papier par terre », affirme-t-il. L’équipe de nettoyage, 11 personnes, se charge de remettre l’ordre et la propreté dans les lieux. « Nous surveillons de très près la bonne marche des choses, poursuit le directeur, nos hommes sont sur place pour s’assurer que tout se passe bien. » En effet, tout au long de la visite, un étrange sentiment d’être « accompagné » s’est subtilement fait ressentir. Nous avons alors été cordialement invités à rencontrer les responsables, avant de poursuivre notre « shopping » en toute liberté et la conscience tranquille... Une caverne de Ali Baba Dimanche onze heures, les gens commencent à affluer. Dans les couloirs engorgés de stands, les haut-parleurs répètent inlassablement la même phrase : « Tout pour moins de 3 000 LL, tout pour moins de 3 000 LL… » Les vendeurs proposent, haut et fort, des stocks de vêtements signés par de grands couturiers, des parfums, des chaussettes ou un café. La plupart de ces commerçants font le tour des souks durant la semaine, une tournée qui les mène jusqu’à Tripoli et Saïda. Libanais, Syriens, Jordaniens, Irakiens, Africains, Sri Lankais et Indiens se partagent les étalages. Dans un coin, à proximité de l’entrée, Issam – mais est-ce son vrai prénom –, bonnet sur la tête, propose une série de tatouages avec photos ou dessins à l’appui. Son inspiration comprend des tigres, des fleurs, des dragons, Jésus ou encore des femmes dénudées. Un courageux jeune homme lui offre son bras musclé pour l’opération tatouage. Le désordre sur la table, les bouteilles d’encre bizarre, le manque total d’hygiène ne semblent pas du tout le dissuader. Fier devant les quelques spectateurs qui observent le dessin naître, il cache son appréhension. Il a choisi le tigre, son « animal préféré ». Le maître d’œuvre porte des gants en plastique ressortis d’un obscur tiroir. Le mode d’emploi de l’opération est simple : stérilisation avec un parfum sans nom, rasage à l’endroit prévu, avec un rasoir jetable... qui n’a pas été jeté lorsqu’il le fallait, et c’est parti. Le dessin est grand, en deux couleurs. La victime ne bronche pas, malgré les larmes de sang et les irritations apparentes. Vingt minutes plus tard, Issam, satisfait, essuie le bras avec un torchon qui devait être un pantalon de survêtement. Re-parfum. Quatre carrés de sopalin et du gros sparadrap seront utilisés en guise de pansement. Au moment d’encaisser, le héros et l’artiste s’éloignent. « Le prix d’un tatouage, répond ce dernier un peu plus tard, varie selon les personnes. S’il n’est pas un ami, c’est 40 dollars… » lance-t-il avant de recevoir un nouveau client. Et c’est ainsi que la journée passe dans cette véritable tour de Babel, rythmée par les voix fantômes sorties des haut-parleurs improvisés, le brouhaha d’une foule qui se balade, discute, achète, et des commerçants qui ont, c’est certain, le sens des affaires. Le tout sous l’œil vigilant d’un Tony Chédid et Cie, qui travaillent même le dimanche…
C’est une petite ville dans la ville, étalée sur un terrain de 4 800 mètres carrés, où des centaines de vendeurs proposent poissons rouges, jeans, vêtements chics, lingeries, chaussures, CD, DVD policiers et coquins, parfums, marmites, valises, épices, tatouage, médecine arabe, et même les « Œuvres critiques et poétiques » de Voltaire et Bossuet, pour moins de 10 000 LL. Dans ce...