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Actualités - OPINION

Développement, liberté et fédéralisme Iad Georges BOUSTANY

Commençons d’abord par le constat : le Liban est incapable de payer sa dette car incapable de produire du « développement » ou encore de la « richesse ». Mais comment produit-on du « développement » ? Cette formule, longtemps maîtrisée par les Libanais, est une combinaison à la fois simple et mystérieuse de confiance dans l’économie nationale et de liberté qui résulte en une augmentation des investissements, directs et locaux, des Libanais dans leur économie. Ces termes de « confiance » et de « liberté » doivent être compris dans leur sens tant économique, sociologique que politique. Du point de vue du politicien, « confiance » et « liberté » décrivent/exigent une structure spécifique de l’État et de l’Administration. Du point de vue du sociologue, ces termes reflètent une réalité sentie, vécue et partagée par les Libanais ce qui, d’après les économistes, se traduit en une augmentation des investissements et donc du PIB. Les économistes, ayant compris cette dynamique, intègrent la liberté et la confiance comme facteurs réels de l’équation mathématique et économétrique qui mesure le développement et la création de richesse. La « formule » commence donc par le politique, qui a l’obligation morale de mettre en place le cadre politico-administratif qui fait naître chez les citoyens ce sentiment de confiance et de liberté (ethos de comportement compétitif chez Peyrefitte) et qui, comme le démontrent les économistes, résulte en un développement continu et endogène. Dans ce qui suit, nous allons donc démontrer comment le fédéralisme fait naître et préserve la liberté et la confiance, pour ensuite examiner comment s’intègrent la liberté et la confiance dans les équations économétriques. La confiance et la liberté ne se décrètent pas ; elles se construisent. Cette construction s’articule autour d’un édifice juridico-administratif qui garantit et développe la liberté et la confiance. Or, au commencement (de tout édifice politico-administratif) fut le pacte. Ce pacte peut être de nature différente, mais toujours il existe et toujours il précède le développement de la vie collective républicaine. Le pacte peut être de nature institutionnelle, intériorisé, basé sur le vécu partagé et véhiculé par la conscience collective ou par le biais d’un lien contractuel explicite. Il suffit de regarder honnêtement et objectivement notre cadre sociologique au Liban pour s’apercevoir que chacune des communautés libanaises dispose de son vécu, de son histoire, de ses martyrs, de son référentiel et de son échelle de valeurs. Ainsi, chacune dispose d’un pacte liant les différents membres de la communauté, et le jeu de la démocratie trouve application en son sein. Chaque communauté représente donc le cadre normal et naturel de l’expression politique libre et responsable de chacun de ses membres. Le pacte national (fédéral ou intercommunautaire) joue, quant à lui, un rôle organisateur d’un espace géopolitique à la fois uni et différencié afin de permettre aux citoyens de s’épanouir dans un cadre social économique et politique viable et respectueux des volontés. L’adoption du système de démocratie différenciée ou système fédéral contribue à une diminution des sentiments (et des ressentiments) communautaires, prélude indispensable au développement d’un sentiment de confiance et de liberté. Considérons le système électoral en place actuellement au Liban. Les candidats appartenant à la communauté majoritaire dans cette circonscription devront doublement user du discours confessionnel : (a) d’abord, pour mobiliser les électeurs de cette communauté (l’excitation des sentiments, comme la peur « tsunami ») et (b) ensuite, pour s’attirer le maximum de voix dans le cadre de la compétition entre candidats de cette même communauté. Ainsi, la structure du système électoral de Taëf crée un mouvement inexorable et systématique qui gravite autour et s’amplifie d’un discours confessionnel (« sentiment communautaire »). Comme c’est souvent le cas, un candidat de la communauté minoritaire sera crédité de la large majorité de voix de sa communauté, mais ne sera pas élu pour autant. Cet échec, inscrit dans la nature même du système électoral et qui se répète à l’identique d’une l’élection à l’autre, crée un fort sentiment de frustration chez la communauté minoritaire dans cette circonscription et développe ce que j’appelle le « ressentiment communautaire ». Dans le système électoral proposé (démocratie différenciée ou fédéralisme), la victoire d’un candidat ne sera plus acquise à la faveur d’un discours jouant sur la peur de l’autre, puisque le collège électoral n’est composé que des membres de la communauté et que les droits de celle-ci ne sont aucunement menacés. Le fait que chaque communauté élit ses députés élimine l’excitation du sentiment communautaire (intracommunautaire) et du ressentiment communautaire (intercommunauté). Sentiments communautaires et ressentiment communautaire sont créés et développés par le système électoral de Taëf, qui est basé sur l’espace géographique comme critère primaire, ce qui se traduit inéluctablement par une diminution du climat de confiance et un déni implicite ou explicite de liberté. Liberté et confiance comme facteurs économétriques En effet, le développement humain et notamment l’enrichissement économique résultent de l’extension des libertés dans un climat de confiance. L’extension des libertés passant par la reconnaissance du fait communautaire et la différenciation des droits en fonction des spécificités communautaires. Le développement consiste en substance à faire le choix de la liberté. Je me bornerais ici à citer quelques conclusions d’éminents économistes : le prix Nobel d’économie, Amartya Sen, résume dans sa thèse que le développement économique ne peut se faire sans liberté. Sa thèse est d’ailleurs intitulée : Development as Freedom. La notion qu’il a de la liberté ne se limite pas à la liberté politique ou encore au droit de donner son avis. Le terme « liberté » doit surtout être compris d’abord : (a) comme capacité d’action (par exemple, à quoi me sert le droit de pouvoir donner mon avis (liberté présumée) si les autres communautés choisissent mes représentants ? C’est le cas par exemple des chrétiens de Jezzine et du Chouf. Cela explique bien les raisons du faible investissement direct dans ces régions) ; (b) « émancipation » (taharror) de la religion, de la pauvreté, des castes ou classes sociales, des clans ou tribus… Alain Peyrefitte, penseur du développement, insiste sur le fait que « le développement économique, avant d’être un taux de croissance, est un choix de valeurs ». Ethos de comportement compétitif, foi dans un ordre juridique impartial et juste. Jean de Witt place la liberté religieuse et juridique comme facteurs présupposant tout développement économique. Spinoza et Locke, tous deux, refusent de proposer une réflexion sur les fondements éthologiques de la modernité et du développement hors du cadre de la liberté. Hegel, en parlant des Phéniciens, affirme que leur développement est dû à une société qui vit « en confiance », confiée à elle-même. Hegel parle d’hommes audacieux, libres et responsables. Bastiat, Shumpeter et Von Hayeck professent que l’autorité politique, religieuse, sociale, centralisée ou autoritaire étouffe et la liberté et le développement. Robert Lucas, l’un des maîtres de l’école de Chicago, insiste sur le fait que la combinaison du capital et du travail ne suffit pas à expliquer le développement. Il propose d’insérer dans ses équations mathématiques un tiers facteur matériel : un indice de degré de liberté. Francis Fukuyama est allé jusqu’à intituler son livre, dédié au rapport entre démocratie et développement, Trust. Liberté comme tolérance, liberté comme confiance, liberté comme esprit critique, liberté comme responsabilité individuelle et collective, liberté comme émancipation, liberté comme principe de subsidiarité… Telle est la condition sine qua non du développement humain et économique. Chacun des théoriciens de la modernité et du développement a contribué à mettre à nu un de ses multiples aspects. La synthèse, elle, est venue à la fois du pape Jean-Paul II dans son encyclique Centesimus Annus (1991) et du prix Nobel d’économie, Kenneth Arrow, qui affirment ensemble : l’activité économique n’est jamais que l’épanouissement d’une exigence de liberté. Or, celle-ci passe par la mise en place d’un système fédéral au Liban. Iad Georges BOUSTANY Chargé de cours à l’USJ Article paru le Vendredi 8 Juin 2007
Commençons d’abord par le constat : le Liban est incapable de payer sa dette car incapable de produire du « développement » ou encore de la « richesse ». Mais comment produit-on du « développement » ? Cette formule, longtemps maîtrisée par les Libanais, est une combinaison à la fois simple et mystérieuse de confiance dans l’économie nationale et de liberté...