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Actualités - OPINION

EFFEUILLAGE Le temps de vivre Lamia EL-SAAD

J’ai trouvé un merveilleux moyen de quitter agréablement les bras de Morphée… Et je les quitte tous les jours à six heures du matin. J’ai programmé mon portable de manière à ce qu’il me réveille, tel Montaigne en sa jeunesse, au son de la musique classique. Aujourd’hui encore, j’ai souri en ouvrant les yeux… Je me suis levé très vite et, tout en enfilant mon pantalon sur un air du Mariage de Figaro, je songeais aux investisseurs japonais que je devais rencontrer. Quel sacrilège ! Si Mozart avait su qu’un jour, un jeune impertinent l’entendrait sans l’écouter vraiment… Il paraît que « le silence qui suit une musique de Mozart est encore de lui »… Je n’ai jamais vraiment pris le temps de l’apprécier. Toujours est-il que dix minutes plus tard, je courais déjà dans le couloir de l’hôtel. Arrivé à la réception, j’ai réglé ma note, rendu les clés et me suis précipité dans la rue pour héler un taxi. Je me déplace toujours avec mon baise-en-ville et la mallette qui contient mes documents et mon ordinateur portable. Londres est une belle ville, mais je n’ai jamais eu le temps d’en faire le tour. Et dans la voiture qui me conduisait à l’aéroport, je regrettais amèrement de m’être trouvé, une fois de plus, si près de Big Ben et de ne pas l’avoir vu. Je n’aurais connu de Londres qu’une chambre d’hôtel remboursée par ma société. J’étais arrivé la veille de New York pour un rendez-vous d’affaires et repartais déjà pour Tokyo où j’allais passer quarante-huit heures avant de me rendre à Dubaï puis aux autres destinations que le siège de la société à New York me communiquerait par la suite. Mes supérieurs considèrent que je suis un élément prometteur : un jeune loup qui ira loin. Dans quelques années, je pourrai faire partie des actionnaires de ma société. Je serai sans doute beaucoup plus riche mais pas moins actif ; ma carrière m’entraîne dans un engrenage irréversible. Malgré mon jeune âge, j’ai déjà réussi à me faire une place au soleil. Je possède un très bel appartement en plein cœur de New York… Mais je passe la plupart de mes nuits dans des chambres d’hôtel. Quand donc prendrai-je le temps de vivre ? Le temps d’apprécier les belles choses, les plus simples. Quand donc prendrai-je le temps de vivre ? Le temps de m’arrêter, de regarder vraiment autour de moi, d’être émerveillé par la beauté, d’avoir des loisirs, de faire des projets à long terme, de caresser un visage… Quand donc prendrai-je le temps de vivre ?
J’ai trouvé un merveilleux moyen de quitter agréablement les bras de Morphée… Et je les quitte tous les jours à six heures du matin. J’ai programmé mon portable de manière à ce qu’il me réveille, tel Montaigne en sa jeunesse, au son de la musique classique.
Aujourd’hui encore, j’ai souri en ouvrant les yeux… Je me suis levé très vite et, tout en enfilant mon...