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Actualités - OPINION

Le tribunal et l’armée sont désormais totems et tabous Dr Chawki AZOURI

Le 30 mai est une date historique pour les Libanais. Un tribunal vient d’être formé. Un tribunal pour la première fois depuis 1975, un vrai. Un tribunal qui ne sera ni celui des milices (1975-1990) ni celui du régime syrien (1990-2005). Un tribunal qui jugera des assassins qui ont cru pouvoir indéfiniment imposer leurs crimes en les faisant passer pour de la politique. Un tribunal qui permettra enfin de passer de la horde à l’État, c’est-à-dire de la guerre fratricide à la démocratie, en passant par la dictature syrienne. Ce passage, amorcé par les frères libanais entre le 16 février et le 14 mars 2005, ne pouvait se réaliser pleinement que par un acte politique international qui leur rendra justice. Le passage de la horde à l’État a failli se faire à Taëf, mais le tyran syrien l’a hypothéqué pendant 15 ans, faisant du Liban un vassal et des Libanais des prisonniers politiques dans leur propre pays. La résignation était de mise et le syndrome de Stockholm battait son plein. Beaucoup de Libanais, de gré, de force ou par « servitude volontaire » comme le dirait La Boétie, ont épousé la cause syrienne et en ont fait leur propre cause. Mais attention, alors que l’armée libanaise retrouve une unité nationale en se battant vaillamment au Nord contre un groupuscule terroriste à la solde du régime syrien, alors que le nombre des victimes parmi nos soldats vient s’ajouter au nombre des martyrs qui ont endeuillé le pays depuis l’assassinat de Rafic Hariri et ceux qui ont suivi, les prosyriens ont encore une possibilité de rejoindre leurs frères dans la libération. Mais si pour justifier leur servitude à l’égard du régime syrien, ils s’appuient sur le fait qu’aujourd’hui, les frères qui se sont libérés des Syriens étaient leurs vassaux hier, ils font une analyse fausse. La leçon de Hamlet est là pour nous rappeler, à l’instar d’un Walid Joumblatt qui a attendu 28 ans pour venger son père, que le retard des prosyriens ne peut être considéré comme la procrastination d’Hamlet qu’à condition qu’ils se soulèvent à leur tour contre le tyran syrien, pour l’indépendance du pays. Sinon, leur position politique ne relève que de la traîtrise et de la collaboration. Que leur faut-il encore pour comprendre que l’État libanais est en marche, que le tribunal, du seul fait de son existence, pave la voie à un état démocratique ? La justice est la première pierre sur laquelle s’édifie la démocratie, l’interdit du parricide et l’interdit de l’inceste en témoignent comme les deux premières lois sur lesquelles se fonde le début des sociétés humaines. Auparavant, avant le début de l’humanité, la horde primitive était caractérisée par la tyrannie d’un chef tout-puissant, fort et brutal qui jouissait seul des femmes et des biens et imposait à ses fils la soumission la plus totale. Quand les fils ont décidé de tuer le chef tout-puissant, chacun rêvait d’occuper cette place afin de jouir des femmes et des richesses et de s’imposer aux autres par la force. Or, une fois l’acte commis, une fois réellement tué le chef, et c’est là toute la différence, les fils furent frappés de culpabilité. Ils renoncèrent à occuper la place de ce qui fut le père de la horde et instaurèrent la première démocratie dans l’histoire humaine. La place du père restera vide, elle fut désignée par un totem qui sera désormais tabou. De même, les morts seront tabous et ils seront désormais enterrés. Enfin, le tabou de l’inceste entraîna la pratique de l’exogamie. Le rappel de ces données psychanalytiques et anthropologiques n’est pas vain car les milices ont fonctionné comme des hordes pendant quinze ans, relayées ensuite par le régime syrien, jusqu’à l’assassinat de Rafic Hariri. Et l’assassinat de l’ancien Premier ministre transgressa l’ultime tabou. Non pas un tabou de la personne de Rafic Hariri, mais de ce qu’il représentait, c’est-à-dire, entre autres, une condensation de tous les leaders libanais éliminés, à commencer par Kamal Joumblatt. La mise sur pied du tribunal international, bien avant sa matérialisation, ses procédures, ses mises en accusation et ses inculpations est en elle-même le premier acte de la remise en place de l’État. Le meurtre comme procédé politique est désormais tabou, la violence appartiendra uniquement à l’État, comme en témoigne vaillamment l’armée libanaise. L’État libanais est désormais le seul à pouvoir protéger ses citoyens, par la justice et par l’armée. Que les prosyriens en prennent acte, désormais le régime syrien ne pourra plus les protéger. Il ne pourra plus les protéger puisqu’il est lui-même en danger et ses jours sont comptés. Faut-il rappeler aux prosyriens que si le régime syrien n’était pas en danger, en très grand danger, il n’aurait pas tout fait pour empêcher le tribunal ? Puisque les dirigeants syriens déclarent à tue-tête qu’aucun Syrien ne sera livré à la justice internationale et que tout suspect syrien sera jugé en Syrie, en quoi donc le tribunal international le dérange ? Que les Libanais reprennent espoir, ils retrouvent leur identité nationale et l’État libanais démocratique est en marche. Dr Chawki AZOURI Psychiatre et psychanalyste, chef du service de l’Hôpital Mont-Liban Article paru le Mercredi 6 Juin 2007
Le 30 mai est une date historique pour les Libanais. Un tribunal vient d’être formé. Un tribunal pour la première fois depuis 1975, un vrai. Un tribunal qui ne sera ni celui des milices (1975-1990) ni celui du régime syrien (1990-2005). Un tribunal qui jugera des assassins qui ont cru pouvoir indéfiniment imposer leurs crimes en les faisant passer pour de la politique. Un...