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LES CAFÉS CULTURELS DE « L’ORIENT-LE JOUR » - À L’Atelier du Berytech et en collaboration avec la Maison du livre « Festivalez, festivalez », il en restera toujours quelque chose

L’été 2006 a été, comme pour le reste du pays d’ailleurs, catastrophique pour eux. La guerre de juillet a interrompu les festivals en plein vol. Aujourd’hui et avant l’envol de 2007, ils préparent la saison avec beaucoup d’appréhension. Les festivals libanais internationaux sont à l’évidence confrontés à de nombreux problèmes. Problèmes politiques ? Problèmes structurels ? Financiers ? Comment les définir ? Comment rechercher des solutions durables ? Les Cafés culturels de « L’Orient-Le Jour » – organisés en collaboration avec la Maison du livre à L’Atelier, le restaurant du Berytech de l’USJ (rue de Damas) – ont lancé la réflexion, via un panel autour de ces préoccupations. Avec des participants qui représentent les quatre festivals internationaux qui animent une bonne partie de la vie culturelle du Liban : Nayla de Freige (vice-présidente du Festival de Baalbeck, doyen des festivals internationaux au Liban), Nora Joumblatt (présidente du Festival de Beiteddine), Myrna Boustani (présidente du Festival al-Bustan), Latifé Lakiss (présidente du Festival de Byblos), ainsi que Nagi Baz (producteur de spectacles, actuellement dans le cadre du Festival de Byblos). C’est Maria Chakhtoura, chef de service de la page culturelle de L’Orient-Le Jour, qui a présenté Gérard Khatchérian, modérateur de cette rencontre, cet « animateur culturel de longue date, qui a toute sa vie accompagné l’histoire du théâtre au Liban, et cela, comme membre du Centre universitaire d’études dramatiques de l’École des lettres, dès sa création, en 1962. Membre actif, avec Roger Assaf, Gabriel Boustani et Jalal Khoury, du lancement du Théâtre de Beyrouth en 1965 et, 30 ans plus tard, l’un des fondateurs, avec Nidal Achkar, du théâtre al-Madina. Il a, entre autres, souvent été producteur. Khatchérian a en outre créé, en 1966, le Centre libanais de l’Institut international du théâtre (organisme de l’Unesco).Il a dirigé le premier Festival mondial de la francophonie à Deir el-Qamar, en 1973. Aujourd’hui, il est en charge de la restauration de la Bibliothèque nationale », dit-elle. Khatchérian a abordé son introduction en affirmant qu’« au Liban, un festival, surtout s’il est à vocation internationale, est un événement à dimension socioculturelle qui exprime un genre de vie, une ouverture, un sens de l’accueil à tout ce que le monde offre de plus beau et de plus universel ». Pour lui, c’est également un événement à dimension économique ainsi qu’une des composantes du dialogue des cultures. Les organisatrices ? Pour l’animateur, elles forcent le respect. Ce sont « des personnes courageuses et persévérantes, venues de tous bords et de tous horizons (des sciences humaines, du monde artistique, de l’enseignement et du monde des affaires), qui se réunissent en comité actif et entreprenant, consacrent leur temps à réfléchir, à concevoir et à élaborer des programmes, négocier et convaincre de grands artistes, souvent des stars, de venir se produire chez nous, malgré tout ». Un demi-siècle de culture Pour décrire le lieu où se déroule depuis 50 ans le Festival de Baalbeck, Nayla de Freige emprunte les mots de la journaliste française Sylvie de Jussac, qui écrivait en 1962 : « Salzbourg a le fantôme de Mozart, Bayreuth a l’histoire et la légende wagnérienne, Aix-en-Provence a sa grâce et son climat… Baalbeck a les plus belles ruines du monde. » En cinquante ans, le doyen des festivals a donné 175 spectacles devant un million de spectateurs. De vocation nationale, il appartient désormais au patrimoine. Mais comment le Festival de Baalbeck a-t-il été pensé puis repensé durant ses 50 années ? Pour répondre à cette question, de Freige a dressé un historique du festival, de sa naissance en 1956 comme association à but non lucratif, dédiée à la musique, au théâtre et à la danse, réunie autour du président Camille Chamoun (un président mécène) entouré de 70 mécènes. « L’État assumait la moitié du budget (70 000 LL), alors que l’autre moitié était assurée par la générosité d’amoureux de l’art », a-t-elle précisé. Le premier objectif de ce festival était d’introduire la culture occidentale aux Libanais. Ensuite, et à partir de 1957, le festival s’est engagé à produire et développer des créations artistiques libanaises, notamment les spectacles des Rahbani et Feyrouz. « Avec la fondation de l’École de théâtre moderne en 1959 et la troupe du théâtre libanais qui a donné des spectacles à l’étranger, le festival est devenu un pont culturel entre l’Orient et l’Occident. » La programmation a poursuivi son évolution au fil des ans. L’année1971 a marqué l’introduction du jazz avec la grande Ella Fitzgerald, puis, après la guerre, la musique pop (Sting, Charles Aznavour, les musicals), des spectacles grand public. Et les artistes libanais, tels que Fadia el-Hage, Rabih Abou Khalil, Zad Moultaka, Nabil el-Azan. Les défis sont permanents, a affirmé la vice-présidente. Côté technique, il faut construire et démonter chaque année des estrades et des scènes pour 4000 spectateurs. Il faut également assurer une qualité de son (particulièrement délicate pour la musique classique et l’opéra) et de lumière. Coût de l’opération : 200 000 $. Concernant les défis financiers, de Freige a énuméré, d’une traite, les dépenses : les cachets d’artistes, les billets d’avion, les hôtels, la nourriture, les aspects techniques, les déplacements, les visas d’entrées des artistes, les frais de communication, sans oublier les taxes et la TVA… « Nous essayons d’équilibrer nos comptes avec les ventes de billets, l’aide des sponsors et de l’État. » Autre défi et non des moins importants : la programmation, qui doit être cohérente, variée, de qualité et innovatrice. Sans oublier la situation politique et sécuritaire, principale difficulté de ces trois dernières années, qui nous oblige à travailler dans l’urgence et l’inconnu. Concernant les défis du futur, de Freige a relevé l’importance de la planification à moyen et long terme. « En interne, il faudrait retravailler les mécanismes de fonctionnement et assurer la solidité, la pérennité et la continuité de l’institution, au-delà de personnes. De même qu’il faudrait impliquer les jeunes, qui sont la relève. Et redéfinir en permanence notre vocation, allouer une partie du budget pour produire, découvrir et promouvoir de nouveaux talents ; être à l’écoute des professionnels, des artistes et du public. Mais aussi et surtout être très à l’écoute de la ville de Baalbeck pour développer en permanence une synergie entre le festival, la municipalité et les habitants, puisque le festival est une ressource économique pour la région. » Nayla de Freige a conclu en soulignant l’importance d’une synchronisation entre les festivals. « En fait, a-t-elle indiqué, le succès de notre message, de notre résistance culturelle, de notre rôle touristique est le résultat d’un travail en chaîne. » Le défi économique Avant de se pencher sur les festivals et leur rôle culturel ainsi que leur impact sur l’économie libanaise en général et celle des régions auxquelles ils sont rattachés en particulier, Nora Joumblatt a rappelé que le Festival de Beiteddine est né en pleine guerre civile, comme « un appel à la normalité à travers l’art sous toutes ses formes. Le chemin a été dur pour passer des modestes rencontres littéraires et des spectacles populaires aux grandes productions et aux artistes internationaux. Et c’est finalement envers et contre tout que le festival s’est taillé sa place au soleil pour accueillir entre 40 000 et 50 000 spectateurs chaque saison. » Le festival a acquis le statut d’association à but non lucratif en 1992, « mais la subvention de l’État, qui aurait dû suivre cette reconnaissance officielle, n’a commencé qu’en 1999 », a noté Joumblatt. « Vous n’êtes pas sans ignorer que les festivals contribuent au développement de secteurs touristiques et non touristiques », a indiqué ensuite la présidente du Festival de Beiteddine en donnant comme exemple son festival, dont 64% du budget a été, en 2004, injecté dans les secteurs touristiques (hôtels, avions, etc.) et non touristiques (technique, son et lumière, gradins, publicité…). D’où l’intérêt, selon elle, de multiplier ces activités dans les différentes régions du pays tout en les organisant selon les besoins de chaque région. « Mais pour parvenir à un développement durable et global, a noté Joumblatt, il faut dépasser des obstacles majeurs, qui sont ceux du financement et des réglementations gouvernementales. » Joumblatt n’a pas voulu insister sur l’instabilité qui affecte la venue d’artistes étrangers au Liban et qui affecte également le public qui hésite à se déplacer en arguant du fait que cet aspect du problème est incontrôlable. Elle a préféré donc aborder le chapitre financement et coûts qui, lui, est contrôlable. « La proportion idéale et quasi universelle de répartition d’un budget de festival est d’un tiers de subvention étatique, un tiers de paiement de sponsors et un tiers de rentrée de billetterie. Nous sommes, malheureusement, loin du compte. Seul l’apport des sponsors correspond à ce schéma et de façon régulière. » Pour sa part, l’État contribue à un maximum de 15 % du budget annuel, qui n’est toutefois payé qu’avec 2 ans de retard. La billetterie, quant à elle, même dans les années fastes, se trouve sourdement taxée, directement ou indirectement, à savoir : 10 % de TVA, 5% de taxe municipale, 7,5 % du montant du contrat de l’artiste comme taxe sur le revenu, 3/1000 de timbres sur le contrat, 7,5 % sur les billets d’avion et autant sur les hôtels, un million de LL de garantie à la Sûreté générale par artiste et 525 000 LL par visa. À titre indicatif, les spectacles comptent en général 20 à 30 personnes. Ils peuvent atteindre 200 personnes entre artistes et techniciens. « Ainsi l’État récupère sa contribution avant même de l’avoir réglée », souligne la présidente du Festival de Beiteddine, qui suggère la création d’un Conseil supérieur des festivals avec le ministère du Tourisme ou de la Culture et regroupant des représentants des différents festivals, des économistes, des juristes, etc. Cet organisme serait chargé « d’organiser le développement durable des différentes régions libanaises, tant sur le plan culturel que touristique ; réglementer les subventions de l’État ; diminuer, si ce n’est abolir, les taxes excessives ; coordonner les programmes ainsi que leur timing pour éviter les chevauchements qui gênent si souvent les spectateurs. » La note classique Notre festival n’a aucune aide de l’État, a affirmé d’emblée Myrna Boustani. « Nous lui demandons juste de nous faciliter la vie, de diminuer la bureaucratie et les taxes. » Al-Bustan fêtera ses 15 ans en 2008. Mais à l’heure actuelle, Boustani se demande si son festival pourrait survivre sans aide. Concernant les caractéristiques de ce festival, association à but non lucratif, elle indique qu’il a définitivement des accents classiques. Il est né, à l’origine, du besoin pressant de faire renaître la connaissance de la musique classique dans un pays qui considérait ce genre comme « musique funèbre ». À titre d’exemple, elle cite un programme de musique classique diffusé à la radio Voix du peuple, animé par M.Sfeir, et qui s’intitule  Ma hada meit (Personne n’est mort). « Le festival se tient dans une salle qui accueille jusqu’à 480 places. Nous nous déplaçons aussi dans des églises. » Il se déroule sur cinq semaines, en février et en mars. « Nous invitons en moyenne 350 artistes par an qui viennent de l’étranger, ajoutez à cela les artistes libanais, dont les musiciens de l’Orchestre symphonique national libanais dont nous sommes très fiers. » Au programme d’al-Bustan ; un opéra, de la musique symphonique, de la musique de chambre, des récitals de piano et de violoncelle, de la musique orientale, de la danse et du théâtre parfois. « Nous avons beaucoup de problèmes et nous sommes fatigués, très fatigués », a soupiré Boustani avant de distribuer à l’assistance un tableau qui donne une idée du fond politique du festival al-Butan 2007. Il s’agit d’une recherche faite à partir des archives de L’Orient-Le Jour qui confronte la une du journal, reflétant la crise politique mouvementée, à la titraille de la page culturelle qui rend compte des soirées musicales du Bustan. Un challenge, et pas des moindres, relevé avec succès. Mais jusqu’à quand, se demande la présidente. Une scène pour les jeunes « Qu’est-ce que nous cherchons à travers notre festival ? » s’est interrogée Latifé Lakkis, présidente du Festival de Byblos, qui a effectivement pris vie et forme en 1999 « grâce à la collaboration efficace de la municipalité de la ville ». Aujourd’hui, bien implanté, il s’est donné une identité qui lui est propre. Il ne cherche pas, selon sa présidente, à attirer un public mondial à la recherche de spectacles de pointe spécialisés. Notre but est de nous adresser aux jeunes. « Nous n’avons pas pour objectif unique la présentation des spectacles, mais aussi le développement de la ville de Jbeil, ville classée par l’Unesco patrimoine mondial de l’humanité pour encourager les jeunes talents dans le cadre du Off Byblos Festival. » Devant la problématique qui se pose actuellement, à savoir la nécessité de durer et, d’autre part, le dépassement des difficultés, Lakkis a réaffirmé que le Festival de Byblos se justifie par son identité si particulière. Il est essentiel pour maintenir la ville en vie et en développement. Nagi Baz a, quant à lui, mis l’accent sur deux points essentiels à ses yeux : la particularité du Liban comme pays « taillé pour les festivals, pour des raisons historiques qui tiennent un peu à notre tissu social, à notre diversité et notre démographie ». Et la nécessité de soutenir les festivals, en allégeant les taxes. Selon Baz, le Liban est le seul pays qui a « cette curiosité, cette faim de culture qui se marie si bien avec ses festivals ». « Les festivals ont une fonction qui dépasse leur fonction touristique. Ils sont essentiels pour affirmer notre différence, notre identité et notre ouverture au monde. C’est capital et vital aujourd’hui plus qu’avant. C’est ce qui nous motive, nous donne de l’énergie. » Une fois admis ce postulat, Baz propose de « soutenir les festivals et de les pérenniser ». Chose qui s’avère être de plus en plus dure à réaliser, vu le contexte politique local, mais aussi économique mondial. « Il y a actuellement trois ou quatre multinationales du spectacle qui monopolisent l’industrie du spectacle et qui fixent leurs prix en euros. Tout devient extrêmement cher. Nous n’arrivons plus à compter sur le soutien de l’État qui considère, à tort ou à raison, qu’il a d’autres priorités plus urgentes à gérer. » Pour le producteur, la logique voudrait qu’on s’éloigne d’un système étatique trop aléatoire pour nous tourner plutôt vers un mécénat privé. Il lance donc un appel au gouvernement : « S’il n’a pas les moyens d’aide directe, qu’il ait au moins une politique de défiscalisation par rapport aux taxes qu’on paie et aussi par rapport aux mécènes qui voudraient nous aider. » Au cours du débat qui devait suivre ces interventions, divers problèmes ont été soulevés, notamment la nécessité de synchroniser les programmes pour éviter un « overlapping » ; d’impliquer les jeunes et de varier la programmation en ajoutant des productions locales. M.G.H.
L’été 2006 a été, comme pour le reste du pays d’ailleurs, catastrophique pour eux. La guerre de juillet a interrompu les festivals en plein vol. Aujourd’hui et avant l’envol de 2007, ils préparent la saison avec beaucoup d’appréhension. Les festivals libanais internationaux sont à l’évidence confrontés à de nombreux problèmes. Problèmes politiques ? Problèmes...