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Actualités - REPORTAGE

ENFANCE - 200 crèches exercent de manière illégale au Liban Les garderies, tiraillées par les querelles entre deux syndicats

Deux mois déjà que la petite Perla Bou Abboud est décédée dans une garderie de Mansourieh. Au-delà de la tragédie que constitue la mort de ce bébé de 5 mois, au-delà de l’indicible douleur de ses parents soucieux de connaître la vérité et alors que l’enquête suit son cours, c’est une véritable panique qui s’est emparée de la profession des garderies, mais aussi des parents d’enfants en bas âge placés dans des crèches. Une panique qui n’a pas manqué de gagner un ministère de la Santé subitement soucieux de faire respecter les normes au sein des garderies privées, placées sous sa tutelle. Avec, en toile de fond, une querelle fortement médiatisée entre les deux syndicats de la profession, le syndicat des garderies spécialisées au Liban, présidé par Charbel Abi Nader, et le syndicat des propriétaires de garderies au Liban, présidé par Hana Joujou. Cette querelle prend sa source dans un conflit de pouvoir entre les deux présidents de syndicats, à la suite de leur échec à former ensemble un seul syndicat. Elle se focalise, depuis le drame qui a coûté la vie à la petite Perla, sur le décret 12 286 qui régit les garderies privées recevant des enfants entre 40 jours et 4 ans. Approuvé en Conseil des ministres le 22 janvier 2004, ce décret impose aux garderies de strictes consignes de sécurité dans l’aménagement des locaux, comme, à titre d’exemple, l’aménagement d’une pièce d’isolement où seraient placés les enfants malades, en attendant qu’ils soient récupérés par leurs parents. Il exige aussi la présence d’une infirmière diplômée (engagée à mi-temps ou à plein-temps selon le nombre d’enfants en bas âge), ainsi qu’un pédiatre qui ausculte les enfants une fois par mois. Les garderies sont donc tenues de légaliser leur situation et de présenter un dossier complet en vue d’obtenir un permis d’exercer. Ce permis, elles doivent le renouveler tous les deux ans et le mettre à jour dès qu’un changement est opéré au niveau du personnel de la garderie. Mais aujourd’hui, trois ans et demi après l’approbation du décret, sur 350 garderies privées au Liban, seules 150 ont un permis d’exercer. Les autres exercent dans l’illégalité la plus totale ou selon un ancien permis obtenu sur base du décret 1 775 du 8/2/1979 qu’elles n’ont toujours pas renouvelé conformément aux nouveaux critères exigés par le ministère de la Santé. Réglementer la profession Le syndicat des garderies spécialisées au Liban, présidé par Charbel Abi Nader et comprenant 86 membres, appuie fermement le décret qu’il dit avoir contribué à élaborer et collabore étroitement avec le ministère de la Santé. « C’est d’ailleurs avec la bénédiction et le soutien du ministère que le syndicat a été formé, dans l’objectif de faire appliquer la loi et de réglementer la profession », avoue la responsable du dossier des garderies au ministère de la Santé, ancienne infirmière et docteur en santé publique, Amal Mansour. Il n’est donc pas rare que M. Abi Nader accompagne des représentants du ministère dans leur tournée auprès des garderies, pour vérifier leur conformité aux normes requises, la validité de leur permis d’exercer ou, tout simplement, pour leur demander de régulariser leur situation, sous peine de sanctions. « Nous proposons également une aide totalement désintéressée aux garderies, afin de les aider à se conformer à la loi et à obtenir leur permis », précise M. Abi Nader. Le Dr Mansour explique cette carte blanche donnée au syndicat dirigé par Charbel Abi Nader par « la pénurie d’inspecteurs qualifiés au sein du ministère de la Santé ». « C’est une façon d’exercer le contrôle nécessaire auprès des garderies et d’inciter celles exerçant de manière illégale à légaliser leur situation », ajoute-t-elle. Elle annonce, à ce propos, que les garderies illégales (n’ayant pas encore obtenu le moindre permis) ont un délai de grâce jusqu’à fin mai pour régulariser leur situation. « Quant aux autres garderies, qui doivent renouveler leur permis, elles doivent se mettre en règle d’ici à fin août », prévient-elle, précisant que les contrevenants recevront d’abord des avertissements, mais qu’ils pourraient être forcés à fermer leurs portes s’ils ne se conforment pas à la loi. « Notre objectif n’est absolument pas de fermer les garderies, mais de réglementer la profession. Car la sécurité de l’enfant est notre priorité », ajoute encore Mme Mansour. Accusations de corruption De son côté, la présidente du syndicat des propriétaires de garderies au Liban, Hana Joujou, syndicat auquel 35 membres sont affiliés, dénonce la mise en place de ce décret « qui transforme les garderies en hôpitaux ». Elle précise que le pays souffre d’une pénurie d’infirmières et que les garderies éprouvent de grandes difficultés à engager des infirmières pour s’occuper des nourrissons. « Nous ne trouvons pas d’infirmière à moins de 500 dollars par mois, déplore-t-elle. D’ailleurs, nombre de garderies fonctionnent sans infirmières et même sans pédiatres », constate-t-elle, précisant que « des aberrations dans le décret incitent les garderies à contourner la loi pour l’obtention du permis, notamment en ayant recours aux pots-de-vin ». Elle propose que des assistantes maternelles, ou des jardinières formées à la prise en charge de nourrissons soient plutôt habilitées à travailler dans les crèches, palliant ainsi la pénurie d’infirmières. Mme Joujou critique aussi le concept de la pièce d’isolement pour les enfants malades, exigée par le décret. « Nous ne comprenons pas pourquoi nous devons condamner une pièce dans les garderies, d’autant que nous refusons carrément de recevoir un enfant malade. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous accueillons personnellement les enfants le matin, à leur arrivée en garderie », indique-t-elle. Dénonçant par ailleurs la nécessité de renouveler le permis auprès du ministère de la Santé chaque deux ans, « obligation qui entraîne d’importants frais de notaires, entre autres », elle appelle le ministère de la Santé à multiplier les contrôles auprès des garderies, afin de vérifier les exactions. « Des contrôles qui doivent être rigoureux et ne pas se contenter d’être superficiels, comme les choses se passent actuellement », dit-elle en guise de critique adressée au ministère de la Santé pour « son laxisme ». Hana Joujou va jusqu’à présenter un recours en invalidation du dernier décret auprès du Conseil d’État, demandant que les garderies soient placées sous la tutelle du ministère des Affaires sociales, « comme cela se fait en Europe ou dans un certain nombre de pays arabes ». « Les garderies ne sont pas simplement une affaire de santé et d’hygiène, elles concernent aussi le développement de l’enfant et son éducation », précise-t-elle à ce propos. Ne pas exploiter la mort d’un enfant De son côté, si la ministre des Affaires sociales, Nayla Moawad, estime que les garderies devraient être sous la tutelle de son ministère, comme cela se passe dans tous les pays, elle soutient que le passage par le ministère de la Santé pour l’obtention du permis et la vérification du respect des critères d’hygiène et de santé est une nécessité. « Il est aussi important que ce ministère s’assure de la bonne application de tous les critères », remarque-t-elle. L’idéal, selon elle, serait une coopération entre les trois ministères de la Santé, des Affaires sociales et de l’Éducation. Mme Moawad refuse cependant la politisation de ce débat. Elle refuse surtout de demander que son ministère ait la tutelle des garderies, plus spécifiquement après la mort de la petite Perla. « Ce serait profiter de la mort d’un bébé. Ce serait de l’opportunisme », note-t-elle. «D’ailleurs, cela ne relève pas de ma responsabilité et je n’ai strictement aucune compétence pour ce faire », ajoute-t-elle, clôturant ainsi le débat. L’affaire semble malgré tout prendre une tournure politique (8 Mars vs 14 Mars), même si les deux adversaires se défendent d’appartenir au moindre courant. La main tendue de Charbel Abi Nader à Hana Joujou de dissoudre le syndicat des propriétaires de garderies et rejoindre le sien, en promettant « des élections démocratiques et transparentes », « la possibilité de discuter du décret » et en affirmant son « profond respect pour le professionnalisme de cette propriétaire de garderie » suffirait-elle à crever l’abcès ? Rien n’est moins sûr à l’heure actuelle, alors que les tiraillements entre les deux syndicats se poursuivent. D’autant que chaque syndicat apporte son appui à l’une des deux parties du drame survenu en garderie. D’un côté, Charbel Abi Nader soutient les parents du nourrisson décédé dans leur combat pour connaître la vérité et pour le respect du décret, dans sa totalité. D’un autre, Hana Joujou regrette que la garderie de Mansourieh, qui a été fermée pour trois mois le 29 mars dernier et dont la responsable de l’enfant est emprisonnée depuis une quarantaine de jours, soit le bouc émissaire d’un système miné par la corruption et le clientélisme. Cette querelle prendra-t-elle bientôt fin pour que les deux syndicats cohabitent positivement, dans l’intérêt de l’enfance ? Le ministère de la Santé accordera-t-il au dossier des garderies l’importance nécessaire à long terme et non seulement pour un laps de temps, afin qu’un drame comme celui de la petite Perla ne se répète plus jamais ? Seul l’avenir le dira, alors que l’acte d’accusation sur les circonstances du décès du nourrisson devrait être publié en début de semaine prochaine. Anne-Marie EL-HAGE



Deux mois déjà que la petite Perla Bou Abboud est décédée dans une garderie de Mansourieh. Au-delà de la tragédie que constitue la mort de ce bébé de 5 mois, au-delà de l’indicible douleur de ses parents soucieux de connaître la vérité et alors que l’enquête suit son cours, c’est une véritable panique qui s’est emparée de la profession des garderies, mais...