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COMMÉMORATION - « La terre assassinée ou les Ciliciennes » de Charles Corm Quand le théâtre témoigne de la réalité arménienne…

Il est vrai que les morts ne parlent plus. Mais ils ont légué leur voix aux vivants. Des vivants qui témoignent des atrocités et des horreurs de l’humanité. La littérature, la peinture et la musique ont toujours su rendre la juste lumière aux coins obscurs des dérives de l’histoire. Les écrivains, les poètes, les artistes et les intellectuels prêtent volontiers leur plume ou leur pinceau pour dire ce que l’histoire tente en vain de voiler, dissimuler, camoufler ou maquiller. Dans le sillage des courageux témoignages pour la vérité sur le drame du peuple arménien et en marge de la commémoration d’un génocide perpétré de sang-froid en 1915, la voix d’un homme de lettres libanais d’expression française : Charles Corm. Une voix de poète et d’humaniste averti qui s’est insurgé contre l’occupation ottomane et qui, par l’apport de la francophonie, a chanté la résurrection du Liban en l’illustrant par un verbe au lyrisme retentissant où grandeur et liberté riment avec les sources originelles de la Phénicie. Si on connaît bien le dire poétique de Charles Corm, fils du peintre David Corm, né à Beyrouth le 4 mars 1894 et fondateur de la Revue phénicienne qui a groupé un brillant fleuron du monde du Parnasse libanais (Élie Tyan, Hector Khlat, Michel Chiha et Jacques Tabet…), on ignore par contre une partie de son œuvre, bien prolifique et multidisciplinaire, notamment cet opus dramaturgique intitulé La terre assassinée ou les Ciliciennes (142 pages). « Drame héroïque », selon Charles Corm, exhumé aujourd’hui grâce à l’édition des œuvres complètes de l’auteur de La montagne inspirée où revivent, à travers l’exil et l’arrivée au pays du Cèdre, les années noires des enfants de la terre de Sayat Nova. Préfacée par Michel Eddé, cette pièce de théâtre à la grande distribution avec chœur de femmes, vieillards, rescapés, fugitifs, des enfants (Araxe, Ararat), un prêtre et un Catholicos, malgré son écriture aujourd’hui presque anachronique dans son emphase et son lyrisme grandiloquent, demeure un vibrant et saisissant témoignage de fraternité humaine et de compassion pour un peuple endeuillé. Brillant chef d’entreprise, agent pour le Moyen-Orient du plus grand constructeur automobile de l’époque, la firme Ford, Charles Corm abandonne ses affaires florissantes pour se consacrer à l’action sociale et littéraire. Profondément marqué par les souffrances et le dénuement des réfugiés arméniens et par l’indifférence de ce que l’on appelle « les grandes puissances », le poète, comme par fidélité, par devoir de mémoire, écrit, avec une indomptable exaltation et un monumental stock d’images insoutenables sur le chemin de croix d’un peuple martyr, cette pièce où résonnent comme un déchirant cri de bûcher les localités d’Adana, Marache, Hadjine, Aintab, Ourfa, Mersine, Djihan, Killis, Sadjour, Horran, Osmanié, Yénidjé, Amanus, Djebel Kef, IkisKayan, Tarsous, Islahié… Des noms que l’on retrouvera dans l’appellation des camps des rescapés qui se sont installés au Liban, soit en 1922, soit en 1939, et qui ont admirablement et en toute dignité préservé leur identité et leur patrimoine culturel. Et qui aujourd’hui, du Liban à la France, en passant par les États-Unis ou l’Australie, offrent l’image d’une diaspora puissante, intelligemment intégrée dans toutes les sociétés, mais irréductiblement attachée à sa foi, ses traditions, sa culture, ses principes. En humaniste consommé et ami de la France dont il adopte avec brio et verve la langue, Charles Corm met l’accent sur la grave responsabilité des « grandes puissances », coupables d’imprudence, de laxisme et même d’une certaine lâcheté, tout en soulignant le courage et le sacrifice des officiers et soldats français, victimes, aux côtés des Arméniens, de l’une des plus sombres tragédies du siècle dernier. Cent ans plus tard, ces pages, reflets des jours de désespoir d’une population jetée sur les routes et massacrée, sont d’une percutante acuité ; elles sont aussi d’une incroyable actualité, malgré cette pluie torrentielle d’anathèmes, de lamentations, de gémissements, d’imprécations, de vociférations que ni le temps n’a pu effacer ni les générations montantes oublier… Une pièce où les images baroques et violentes s’entrechoquent, où le verbe dur comme lames tranchantes siffle en toute stridence avec la force des aquilons les plus incontrôlables, mais où ni les nombreux personnages n’ont beaucoup d’épaisseur pas plus que l’action ne se concrétise dans une évolution ascensionnelle. Toutefois, ce flot tumultueux de témoignages des veuves, des orphelins, des rescapés, des prélats est là pour parler, comme un haletant déballage confessionnel, en toute intensité émotionnelle, des souffrances vécues. Une pièce-choc, avec certains moments prémonitoires lancés comme des cris d’alarme même pour le Liban d’aujourd’hui, pour évoquer un des épisodes les plus sanglants d’une époque, d’une région. La dimension religieuse n’est jamais absente chez ce poète qui, à travers « la passion de la Cilicie », remet en mémoire l’enseignement du Christ, fondé sur l’amour du prochain. Que serons-nous sans la mansuétude de Dieu et le regard d’autrui ? Cette œuvre dramaturgique, malgré ses boursouflures verbales, par-delà toutes considérations, née d’un bouleversement à la vue d’une horrible tragédie, est non seulement une œuvre littéraire ou un témoignage pour les générations futures, mais aussi et surtout, comme le souligne Michel Eddé dans sa préface, « pour que cela ne se reproduise pas ». Edgar DAVIDIAN


Il est vrai que les morts ne parlent plus. Mais ils ont légué leur voix aux vivants. Des vivants qui témoignent des atrocités et des horreurs de l’humanité. La littérature, la peinture et la musique ont toujours su rendre la juste lumière aux coins obscurs des dérives de l’histoire. Les écrivains, les poètes, les artistes et les intellectuels prêtent volontiers leur...