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Chauffeur de l’un des bus, Chadi est désormais au chômage

Chadi Saliba habite Bteghrine. Il est le chauffeur du deuxième bus qui avait explosé le 13 février dernier. Un véhicule Kia à 25 places, acheté à crédit et dont il avait payé la dernière traite une semaine avant l’attentat. Chadi, âgé de 24 ans, a été blessé à la tête et au bras gauche. Il n’a toujours pas récupéré l’usage complet de ce dernier membre, fixé grâce à des vis et des plaquettes. Il doit encore subir une opération chirurgicale en octobre prochain. « Je suis resté trois jours à l’hôpital et quand je pense maintenant à ma prochaine opération, je m’inquiète », se plaint-il. Chadi qui a à sa charge sa petite famille composée de son épouse Suzanne et de son fils Georges, âgé d’un peu moins de douze mois, doit également subvenir aux besoins de sa grand-mère, son père et de l’un de ses frères. « Tout le monde me dit de remercier la providence parce que j’ai eu la vie sauve. Mais j’ai tout perdu. Je suis toujours au chômage et je ne sais pas si j’exercerais plus tard le même métier », raconte le jeune homme qui a déjà vendu sa voiture et contracté 2 500 dollars de dettes rien que pour pourvoir aux dépenses quotidiennes. « Tout le monde me conseille de faire autre chose, mes amis me mettent en garde contre d’autres attentats contre des bus », poursuit-il. Ses oncles et l’un de ses frères conduisent et possèdent des bus aussi. Ils ont tous peur de nouvelles explosions. D’ailleurs Chadi raconte que de moins en moins de personnes prennent le bus dans les villages du Metn, où des habitants avaient été touchés par le double attentat, notamment ceux qui vivent à Bteghrine, Khanchara, Jouar, Bickfaya et Beit Chabab. « Auparavant, durant les fêtes par exemple, des familles entières prenaient le bus pour se rendre à Beyrouth. Même les gens motorisés, qui voulaient économiser de l’argent, prenaient aussi le bus, ce n’est plus le cas actuellement. Les groupes de jeunes voulant sortir en week-end avaient recours à nous. Aujourd’hui, seuls ceux qui sont véritablement obligés se rendre au travail ou à l’université à Beyrouth prennent le bus », explique-t-il. Une semaine avant le double attentat, Chadi avait lancé à son frère, également chauffeur et propriétaire de bus : « La situation va tellement mal au Liban que nous aurons dans peu de temps des kamikazes qui se feront exploser dans nos bus. » Ce jour-là, les deux frères avaient éclaté de rire. Le 13 février dernier pourtant, Chadi a appelé son frère quelques minutes après l’explosion : « Arrête-toi immédiatement, ils sont en train de faire exploser les bus », avait-il dit alors qu’il était grièvement touché. Il avait ensuite téléphoné à son épouse, Suzanne, pour lui dire qu’il était blessé. « J’étais à la maison, j’ai entendu sa voix. Quand ils avaient annoncé à la télévision à plusieurs reprises son nom parmi les morts, j’ai su que ce n’était pas vrai, mais j’ai eu peur quand même et je suis accourue à l’hôpital », raconte l’épouse de Chadi. Ce dernier martèle : « Je me souviens de tout ce jour-là. Je ne pense pas qu’un jour je parviendrai à oublier. C’est un miracle qu’il n’y ait eu que trois morts et une vingtaine de blessés. Mon bus était à moitié vide quand il a explosé. De plus, il n’était pas arrivé au niveau des secouristes et des habitants de la région qui étaient accourus pour porter de l’aide aux victimes du premier bus, conduit par mon ami Milad Gemayel, originaire de Jouar el-Khanchara ». Chadi indique encore que le temps de réaliser qu’un attentat venait d’avoir lieu, son propre bus avait explosé. Il a ensuite regardé autour de lui. Il était descendu du véhicule et a croisé son cousin qui était en voiture. Ce dernier l’a amené à l’hôpital. « J’y suis arrivé en quelques minutes, avant les blessés du premier bus », précise-t-il. Dormir quatre heures par nuit « Avant l’explosion, je faisais tous les jours deux fois le trajet Bteghrine-Dora-Bteghrine et j’assurais dans ce même bus, le matin et l’après-midi, le transport des écoliers des villages alentour », raconte le jeune homme qui, jusqu’à présent, n’a pas été indemnisé comme prévu par le Haut comité de secours et qui a su, par le biais de personnes bien introduites, que l’État versera uniquement 12 000 dollars pour le bus… Un véhicule qui lui avait coûté 25 000 dollars ! Quant à la plaque rouge, il ne peut pas la récupérer pour des raisons administratives. Il a tenté également de reprendre le bus, afin d’en vendre le moteur ainsi que d’autres pièces toutes neuves, mais en vain. Un sourire narquois aux lèvres, il dit : « J’ai encore à régler 80 dollars d’assurance pour un véhicule qui n’existe plus… Vous savez, il n’y a pas d’assurance contre la guerre. » Puis, ironique, il lance : « J’ai fait mes comptes, si j’achète un nouveau bus à crédit, qui coûte actuellement 30 000 dollars, en février 2012 je reviendrais à la situation où j’étais la veille du 13 février 2007. » « J’ai eu une offre de travail au Qatar, mais je ne veux pas quitter ma famille. Peut-être faut-il que je fasse autre chose, peut-être que la prochaine fois, je n’échapperais pas à un attentat », ajoute-t-il, non sans amertume. Ce jeune homme bien robuste n’a pas honte de reconnaître qu’il a peur désormais de conduire un bus. Il parle des victimes, raconte avoir vu le frère de Laurice Gemayel, mère de famille âgée de 35 ans, tuée dans l’attentat. « Il m’a dit qu’il aurait souhaité voir sa sœur parmi les blessés, que voulez-vous que je lui réponde ? » dit-il. Chadi, comme Milad Gemayel, connaît toutes les victimes, les morts comme les blessés du double attentat de Aïn Alak. « Ce sont nos parents, nos voisins, nos amis. Des visages familiers, des gens qui prenaient tous les jours le bus avec nous », souligne-t-il. Avec Milad, il rend régulièrement visite aux blessés, « au moins une fois par semaine ». Les deux chauffeurs se sentent probablement un peu responsables d’eux. Ils connaissent toutes leurs histoires, leurs bilans de santé, leurs besoins. « Tous les blessés ont besoin d’aide financière, d’un suivi. Ce ne sont pas les gens riches qui prennent le bus », lance-t-il. « Quand j’ai reçu un chèque de 300 dollars d’une association chrétienne allemande qui voulait aider les victimes du double attentat, J’ai prévenu tous les blessés… Et dire que c’est uniquement cette association étrangère qui s’est inquiétée de notre sort », se plaint-il. « Je passe tout mon temps avec Milad. On s’insurge contre l’État et les responsables… Jusqu’à présent, nous ne réalisons pas ce qui s’est passé. Nous sommes tous deux dans la même situation. Pire : Milad Gemayel a eu deux morts dans son bus. Le troisième, l’ouvrier syrien, était avec moi. Mais il venait de descendre du véhicule quand il a été mortellement atteint, je l’ai vu… On n’a jamais connu son nom. J’ai su plus tard que ses parents sont venus récupérer son corps à la morgue. » Comme son camarade Milad, Chadi dort très mal la nuit. « Avant le 13 février, je me couchais très tôt. Maintenant, je n’arrive plus à dormir plus de quatre heures par nuit… Des innocents sont morts et ont été blessés et personne ne s’en préoccupe. » Chadi indique que lui, son camarade Milad et d’autres blessés du double attentat ont pris l’initiative de placer une stèle à Aïn Alak qui portera les noms de Michel Attar et de Laurice Gemayel. Dès que la stèle sera prête, il y aura une messe à l’église Sainte-Lourdes et une petite procession jusqu’au lieu de l’attentat. Le jeune homme dit enfin : « Les personnes qui étaient dans les deux bus paieront pour cette stèle selon leurs moyens. Le mari de Laurice Gemayel, cette jeune femme qui avait exceptionnellement pris ce jour-là le bus à cause du mauvais temps, a proposé de payer le reste. »



Chadi Saliba habite Bteghrine. Il est le chauffeur du deuxième bus qui avait explosé le 13 février dernier. Un véhicule Kia à 25 places, acheté à crédit et dont il avait payé la dernière traite une semaine avant l’attentat. Chadi, âgé de 24 ans, a été blessé à la tête et au bras gauche. Il n’a toujours pas récupéré l’usage complet de ce dernier membre,...