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À quoi servent les études au Liban ? Jean-Paul MOUBARAK

Si une telle question ouvre matière à discussion ou à réflexion, c’est bien parce que le marché du travail est bloqué par une surdose d’archidiplômés, de jeunes loups qui, au sortir de leur université, ne rêvent que de gloire et dont les ambitions atteignent des limites hors normes. On reconnaît bien là les espoirs d’une jeunesse qui espère faire carrière dans son pays. L’arrivée sur le terrain est bien différente et les cas de figure ne sont pas aussi divers qu’on a tendance à le croire. Il y a, d’une part, les héritiers et, d’autre part, les autres. Pour les héritiers, le problème ne se pose quasiment jamais. Ils ont terminé leur licence – peu importe le domaine, de nos jours les gens ne sont plus regardants. Ils ont un seul choix devant eux : puisque, en tout cas, ils vont hériter du bien-fonds de leur père, ils peuvent poursuivre leurs études jusqu’à atteindre le summum de l’érudition (en général, une thèse couronne des années de travaux et le jeune homme pourra jouir de l’appellation très convoitée de docteur) et, à ce moment, prendre les rênes de l’entreprise paternelle (je dis paternelle parce que c’est le cas en général), ou directement entrer dans la vie active et apprendre les bases du métier toujours auprès du père d’ailleurs. Évidemment, ceux qui excipent de leurs mérites – ils existent – chercheront à se faire engager ailleurs pour faire leurs preuves et pour ne pas être pris dans la tourmente des disputes autour de l’héritage paternel. Il est clair que l’expression « faire ses preuves » est relative, surtout quand on cherche à les faire chez un ami de la famille qui, malgré les apparences, va nous traiter « comme tous les autres employés de la maison ». Bref, les héritiers sont, en gros, des gens constructifs. Ils cherchent à bâtir leur avenir même si leur voie est tracée d’avance. Certes, je ne généraliserai pas à partir d’une catégorie marginalisée. Il y a plein de personnes qui, au lieu de rester au Liban et bien que bénéficiant des avantages cités, préfèrent aller faire leurs preuves sous d’autres cieux. C’est une initiative louable. Mais il faut bien admettre que même s’ils ont parfois tendance à se plaindre, au départ tout leur était offert sur un plateau en argent. Et puis il y a les autres, tous les autres, ceux qui veulent voler de leurs propres ailes et se construire une vie digne de respect et de considération. Arrivés sur le marché du travail (le cas est celui du jeune qui ne va pas continuer ses études hors du Liban), fraîchement diplômés et fiers de l’être, ils seront tout aussi fraîchement renvoyés chez eux par maints employeurs. La cause ? Absence de qualifications nécessaires. Parfois, c’est juste une histoire de diplôme en plus. On ne baisse pas les bras. On décroche le diplôme quitte à sacrifier une année de sa vie en plus pour un prétexte qui n’en est pas un. Et on se représente avec toujours le même entrain et la même motivation. Réponse de l’employeur : vous êtes trop qualifié, on demande moins que ça. Résumons la situation : quand on n’a pas les diplômes nécessaires, nous ne sommes pas acceptés et quand on les a, on devient un poids. Il faut savoir ce que les employeurs veulent. Puis on nous dit : continuez vos études, vous ne serez que mieux vu car les études, c’est tout dans la vie. Du bla-bla ! En d’autres termes, il faut toujours étudier, quitte à ne jamais travailler, et soustraire le charmant employeur à l’obligation de payer un nouveau salaire, pour le sauver d’une éventuelle faillite en raison d’un salaire qui devra être proportionnel aux diplômes (ce qui, du reste, n’est jamais le cas). Et il y a le prétexte qui vous laisse sans voix : vous n’avez pas l’expérience requise. Évidemment, si on l’avait, on ne se serait pas présenté… On cherche à l’avoir. Même si le postulant fait montre de bonne volonté et s’engage à offrir les garanties nécessaires pour la survie de l’entreprise, l’hésitation de l’employeur finira par déboucher sur le refus. Donc le nouveau diplômé se retrouvera sans emploi, à moins de recourir à un piston puisque c’est comme ça que ça marche toujours dans les sociétés démocratiques. Attention ! Je ne nie pas que certains trouvent un emploi conforme à leurs attentes et à celles de l’employeur. La catégorie des chanceux existe, tout comme celle des employeurs sympathiques qui sont aussi rapides à embaucher qu’à licencier ou qui embauchent pour un contrat à durée déterminée, mais pour une période indéfinie (ne cherchez pas à comprendre le principe). Comme le contrat est à durée déterminée, on engage à un salaire en deçà du salaire espéré, avec la promesse d’une augmentation lors de l’établissement du contrat à durée indéterminée et qui, comme son nom l’indique, restera indéterminé quant à sa date de mise au point. L’engagement se fera à un moindre prix, mais à un salaire approximativement conforme aux ambitions de la nouvelle recrue.... à quelques dizaines de dollars près. À ce stade, tout le monde est heureux. À défaut de cette technique sournoise, le nouveau diplômé peut toujours trouver l’entreprise de ses rêves et, si elle est présente au Liban, il sera exploité par un employeur qui le complimentera sur son travail en lui faisant miroiter une promotion dont il pourra toujours rêver. De tels engagements de la part des employeurs sont fréquents au Liban. L’employeur s’en tirera à (très) bon compte et le jeune se croira apprécié à sa juste valeur et s’investira encore plus. Pourquoi les jeunes sont-ils exploités ? C’est simple : par manque d’employés. Mais pourquoi la société n’en engage-t-elle pas ? Motus et bouche cousue. On ne saura jamais pourquoi certaines sociétés en manque de personnel qualifié au Liban maintiennent une politique restrictive de l’embauche. Il y a des mystères insondables dans certaines entreprises libanaises. Et l’on se demande pourquoi il existe de plus en plus de jeunes diplômés qui ne travaillent pas dans leur domaine et pourquoi ceux qu’on désigne par « les cerveaux » quittent le pays. Je pense que si les employeurs utilisaient un peu plus le leur, ils comprendraient. Je signalerai une dernière remarque formulée par un employeur et qui m’a particulièrement frappé : « Étudiez, étudiez, en tout cas, votre avenir n’est pas ici. » Je m’abstiendrai de tout commentaire. Jean-Paul MOUBARAK Juriste et opérateur de marchés financiers Article paru le Samedi 14 Avril 2007
Si une telle question ouvre matière à discussion ou à réflexion, c’est bien parce que le marché du travail est bloqué par une surdose d’archidiplômés, de jeunes loups qui, au sortir de leur université, ne rêvent que de gloire et dont les ambitions atteignent des limites hors normes. On reconnaît bien là les espoirs d’une jeunesse qui espère faire carrière dans son...