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Actualités - CHRONOLOGIE

POÉSIE - « Al-Chiir al-Ilmi » de Hassan Ajami Quand l’atome inspire le Parnasse

Il n’est pas dit que ce sont toujours les bons ou les mauvais sentiments qui font la poésie. Bon ou mauvais, peu importe, et ce serait là de toute façon une autre question, d’autres critères, d’autres valeurs… Parler de la lune, des étoiles, du ciel, des fleurs, des oiseaux, des amours défuntes ou naissantes, des bobos du cœur, du cortège des malheurs des guerres ou des pièges de l’ennui n’est pas le seul apanage du monde du Parnasse. Les légions d’inspirés qui taquinent les muses, après avoir fouillé bien de thèmes tous azimuts, s’attaquent aujourd’hui à la science. Ou du moins une pseudoscience qui se situe entre la philosophie, l’esprit de doute et l’irréfutable tranchant des mathématiques. Une poésie scientifique, par exemple, existe-t-elle? Cela fait sourire certains, hausser les épaules à d’autres, carrément irriter ou amuser la masse d’incrédules qui pensent déjà que faire de la poésie c’est du «bovarisme» anachronique… Mais en fait, la poésie scientifique est une expression littéraire qui a peut-être peu d’adeptes, mais assurément droit de cité sur les rayons d’une librairie... Intellectuel rompu au monde des idées et des concepts, qu’il manipule d’ailleurs avec brio et dextérité dans ses ouvrages oscillant entre philosophie et politique (le dernier en date de ses opus sur le marché s’intitule Le superfondamentalisme), Hassan Ajami est un poète de l’âge nucléaire où clonage et virtualité cybernétique sapent toutes les certitudes d’antan et ont le vent en poupe, surtout pour ceux qui sont en panne d’inspiration… Véritable philosophe arabe dans la ville, auteur de plus de huit ouvrages de réflexions sur les problèmes linguistiques, politiques et sociaux, Hassan Ajami aborde avec maestria les rives de cette écriture poétique singulière où le lyrisme est différent. Al-Chiir al-Ilmi, qui se traduit par «La poésie scientifique» (112 pages-Dar al-Arabia lil Ouloum), est une plaquette de poésies qui sort en toute impudence du rang, qui force l’écran des fausses apparences et n’a rien à voir avec les formules réchauffées et désuètes. Vers libres dans leur inspiration, leur métrique et leur rime, enserrés dans une langue arabe musicale d’une lumineuse simplicité, ils sont la formulation d’une pensée, certes tendue, mais qui n’exclut ni la tendresse, ni l’ironie, ni parfois la pause néoromantique des poètes contemporains. Esprit acerbe, plume caustique, observateur impénitent, Hassan Ajami entreprend là une intrépide plongée dans un cosmos immense où proton, photon, nucléon sont les réponses aux grands questionnements de la vie. S’interroger sur le sens de la vie, l’incompréhensible présence de la mort, le mystère de l’amour, le chaos et la rigueur du système des planètes, la création dans sa redoutable puissance, voilà autant de pensées troublantes que la science tente d’expliquer… Hassan Ajami dit que cette plaquette de poésies aurait pu très bien s’intituler Étrangers dans le paradis. Ou misérables dans l’Éden tant la part d’ombre, malgré la volonté, la détermination et le labeur, dépasse toute notion de lumière dans toute existence humaine. Ici, l’écriture devient une charade que le lecteur décrypte avec plaisir. Mais aussi annotations des faits et des détails d’un univers que les sens perçoivent mais s’expliquent difficilement. Pour donner le ton de cette poésie, séduisante dans sa particularité même, ce premier poème, placé aux premières pages comme une exergue explicative: «Étrangers dans le paradis Tristes dans l’Éden Nos corps sont la tristesse des autres Nos mots un enfer d’enfer Nous sommes les béances noires Que nul ne voit Même si nous secouons l’univers de notre terreau.» Et pour éclairer le doute, le néant, les départs inexpliqués, bref tout ce que l’on ne comprend pas sur nos passages terrestres, des formules peut-être sibyllines, certes, mais aux phosphorescences claires, aux sonorités sourdes, comme des notes éparses dans une partition moderne. Telle cette phrase: «La pensée est un langage et l’univers ses lèvres» ou bien «La vie est aveugle. Elle voit toute chose et reste malgré nous et malgré elle...» Quel meilleur moyen d’être le passeur d’une bonne poésie si ce n’est de lui accorder crédit et audience? Pour cela, les vers qui suivent semblent être la voix du trouvère des temps modernes: «Un seul univers ne suffit pas Pour que je sois toi Une seule vie ne suffit pas Pour que je creuse une tombe La terre est dans mon corps Et mon corps dans les étoiles. Il ne suffit pas d’être pour que je sois moi, moi Pour que je vive.» Une poésie aux préoccupations actuelles, qui ne taille ni dans les fleurs fanées, ni dans les stériles lamentos, ni dans les récriminations vindicatives, mais qui se forge, en toute tranquillité et assurance, un langage nouveau. Edgar DAVIDIAN
Il n’est pas dit que ce sont toujours les bons ou les mauvais sentiments qui font la poésie. Bon ou mauvais, peu importe, et ce serait là de toute façon une autre question, d’autres critères, d’autres valeurs… Parler de la lune, des étoiles, du ciel, des fleurs, des oiseaux, des amours défuntes ou naissantes, des bobos du cœur, du cortège des malheurs des guerres ou des...