Rechercher
Rechercher

Actualités

Un « animal politique » aux multiples visages

Depuis douze ans au faîte du pouvoir, Jacques Chirac a connu une formidable longévité politique au prix de nombreuses métamorphoses. À 74 ans, dont quarante-deux ans d’une vie publique riche en rebondissements, ce battant s’est forgé un destin hors norme : deux fois président, deux fois Premier ministre, 18 ans maire de Paris. Ses deux victoires présidentielles de 1995 et 2002, il les a remportées en déjouant tous les pronostics. Mais il a eu ensuite du mal à transformer l’essai, contraint notamment de cohabiter cinq ans avec le socialiste Lionel Jospin après une malencontreuse dissolution de l’Assemblée. Ses partisans voient en lui un homme chaleureux, généreux, « toujours attentif aux autres ». Ses adversaires le décrivent comme « versatile », sans vision, « plus capable de conquérir le pouvoir que de l’exercer ». Ses biographes s’accordent toutefois à reconnaître qu’il est bien plus complexe que l’image qu’il a longtemps donnée : un bon vivant au parler cru, amateur de bière Corona et de tête de veau, s’adonnant avec appétit aux bains de foule, et « caressant le cul des vaches » dans les salons agricoles. Car cet homme au visage hâlé, toujours en mouvement, élancé – il dépasse le mètre quatre-vingt-dix – est aussi un amoureux de l’Asie, passionné de sumo, grand défenseur des « peuples oubliés », artisan du dialogue des cultures. Dans sa jeunesse, il s’est embarqué sur un bateau vers les Etats-Unis, où il travaillera comme serveur. Étudiant, il a signé l’appel de Stockholm lancé par les communistes contre la bombe atomique et a même vendu épisodiquement L’Humanité. Pourtant, le fils unique en rupture avec son milieu bourgeois n’est jamais allé au bout de la transgression. Il entre à Sciences-po où il rencontre sa future épouse Bernadette Chodron de Courcel dont il aura deux filles, Laurence et Claude. Et après avoir servi comme lieutenant en Algérie, le jeune énarque impatient se lance dans la politique, sous le parrainage de Georges Pompidou qui le surnomme « mon bulldozer ». Ce gaulliste pragmatique remporte sa première élection en 1965, comme conseiller municipal de Sainte-Féréole, en Corrèze, département de vieille tradition radicale dont il fait un fief et qu’il représentera à l’Assemblée de 1967 à 1995. Rapidement, il enchaîne les plus hautes fonctions : ministre sans interruption de 1967 à 1974, deux fois chef de gouvernement – sous Valéry Giscard d’Estaing de 1974 à 1976, sous François Mitterrand de 1986 à 1988 –, trois fois maire de Paris de 1977 à 1995. De ce bastion parisien, il se lancera par deux fois, sans succès, à la conquête de l’Élysée, en 1981 et 1988. Cette longévité, il la doit à son instinct politique qui lui fait capter les attentes des Français (fracture sociale, droit au logement...) et à sa formidable capacité à rebondir après ses échecs. Comme après sa défaite sévère face à Mitterrand en 1988 ou son « année noire » de 2005, marquée par le fiasco du référendum européen, son accident vasculaire cérébral, les émeutes dans les banlieues. Ces nombreux combats lui ont valu la réputation d’un « tueur » éliminant tout concurrent potentiel. À l’exception notable de Nicolas Sarkozy, dont il n’a pu empêcher la marche vers l’Élysée. Il a aussi été comparé à un « caméléon » en raison de sa faculté à changer avec les modes : partisan d’un travaillisme à la française dans les années 70, il se fait celui du libéralisme à la Ronald Reagan dix ans plus tard, avant de dénoncer la fracture sociale en 1995. C’est ainsi qu’il a incarné l’opposition à la guerre en Irak ou que l’homme de la reprise des essais nucléaires s’est mué en défenseur d’une planète en danger. « L’agité » (qualificatif dont on prête la paternité à Giscard) s’est toutefois assagi, selon ses proches. Parvenu à la fin de son mandat, il a commencé à lever le voile sur ses déchirures intimes, confiant que la maladie de sa fille Laurence, atteinte d’anorexie mentale, avait été « le drame » de sa vie. Il admet aussi qu’« il y a une vie après la politique. Jusqu’à la mort ». Des confidences, tardives, d’un homme sous les projecteurs publics depuis plus de 40 ans. Mais des confidences à l’image de sa volonté de réconcilier la France avec son passé, ses zones d’ombre et de lumière.
Depuis douze ans au faîte du pouvoir, Jacques Chirac a connu une formidable longévité politique au prix de nombreuses métamorphoses.
À 74 ans, dont quarante-deux ans d’une vie publique riche en rebondissements, ce battant s’est forgé un destin hors norme : deux fois président, deux fois Premier ministre, 18 ans maire de Paris.
Ses deux victoires présidentielles de 1995 et 2002, il...