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Actualités - OPINION

Réforme de la justice : commençons par le parquet Assaad BACHA

Beaucoup d’encre a coulé sur la nécessité d’une réforme de la justice au Liban. Notre système judiciaire est hérité du système français, hiérarchisé. De plus, notre système a été touché par le fléau plus ou moins international de la corruption. Outre le pouvoir de l’argent, ce phénomène a été aggravé au Liban par des considérations d’ordre politique, j’oserais même dire d’ordre confessionnel dans certains cas. En 1997, le président Hussein Husseini, conscient de la dégradation de la justice, présenta au Parlement, avec l’appui et la signature des présidents et députés Hoss, Karamé, Boutros Harb, Mohammad Youssef Beydoun et Nassib Lahoud, un projet de loi de réforme globale appelé « loi sur le pouvoir judiciaire ». Ce projet ambitieux – tout comme d’autres aussi pertinents, qui visaient à redresser la nation et ses institutions, par le biais d’une magistrature réellement indépendante, capable de contrôler les deux autres pouvoirs, législatif et exécutif –, fut négligé et repoussé pour différents motifs apparents, cachant en fait la volonté de persister sur la voie de la pression et de la corruption. D’aucuns disent que si la réforme avait été adoptée, le pays aurait fait l’économie de bien de litiges qui divisent actuellement l’opinion publique en deux camps, prêts à l’affrontement, que ce soit au sujet de l’exercice du pouvoir lui-même, du Conseil constitutionnel, de la dette publique, notamment pour la construction du pays, et aussi et surtout de la création du tribunal à caractère international chargé de juger les présumés coupables de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Soulignons que la décision de créer ce tribunal dénote une défiance de la communauté internationale à l’égard de notre justice, et constitue en quelque sorte une entorse à notre souveraineté nationale. La crise de la justice libanaise est reconnue par nos plus éminents magistrats eux-mêmes. Les instances judiciaires ne fonctionnent normalement qu’en apparence ; les interférences des autorités politiques semblent survivre à l’ère syrienne. Le blocage des dernières nominations judiciaires est la preuve flagrante que le Conseil supérieur de la magistrature, malgré la tentative de quelques responsables politiques de l’affranchir, n’est habilité réellement qu’à émettre un avis consultatif. Les tribunaux militaires, bien que destinés principalement à traiter des affaires relatives à l’armée et aux militaires, se sont vu attribuer une très large compétence sur les civils. Le statut personnel des Libanais reste sous la tutelle des juridictions communautaires (islamique, chrétienne et juive), la loi applicable étant celle de chacune des confessions. Les camps palestiniens ont leur propre justice. Cet état de fait, qui résiste à toute évolution saine et moderne, aurait pu continuer d’exister. Sans trop choquer, il aurait pu survivre longtemps encore comme une fatalité, si le pays n’avait fait les frais d’une hégémonie extérieure qui avait fait apparaître au grand jour la réalité défaillante et flagrante du système judiciaire. Le poste le plus touché fut sans conteste celui de procureur général auprès de la Cour de cassation. Ce poste, normalement vulnérable aux interférences politiques, vu son rattachement au pouvoir exécutif, avait présenté la pire image durant quinze ans après l’accord de Taëf. Cette image fortement négative, représentée par une figure dont tout le monde se souvient, a terni celle des autres procureurs généraux qui constituent ce qu’on appelle le parquet ou la magistrature debout. Cela avait rejailli dans une grande mesure sur le reste du corps judiciaire, qu’on appelle la magistrature siégeante. Ainsi la population avait du mal à séparer la fonction de procureur du reste de l’appareil judiciaire. Une mesure d’urgence s’impose donc pour que le système puisse redémarrer avec le minimum de crédibilité et de confiance. Dans l’attente de l’adoption d’une réforme générale, pensons à limiter les dégâts et à corriger la situation aberrante que, probablement, seul le système français continue à notre connaissance à appliquer, c’est-à-dire le mélange entre les procureurs et les autres juges. Actuellement, au Liban comme en France, juges et procureurs suivent la même formation, portent la même robe, passent d’une fonction à une autre en l’exerçant au même endroit et dépendent indistinctement du même organisme, le Conseil supérieur de la magistrature. La réforme consisterait à considérer le parquet, c’est-à-dire le poste du procureur général, comme formant un corps distinct au sein de la magistrature, mettant fin au corps unique. Le remède réside donc dans le départage des fonctions, par une mesure limitée et simple, en rendant incompatible, pour tout ancien procureur, d’exercer la tâche de juge au siège habilité à prononcer des jugements. Ainsi un procureur ne peut plus être nommé juge au siège, car une des qualités indispensables pour juger équitablement est la parfaite indépendance et l’impartialité, qualités qui font relativement défaut au procureur puisque celui-ci est rattaché d’après la loi au ministre de la Justice qui pourrait lui donner des instructions. De plus, le procureur général n’est pas un juge impartial, il est partie au conflit, il représente les intérêts de la société et exerce l’action publique, c’est-à-dire les poursuites, en tant que demandeur. Il accuse sans pouvoir condamner ou prononcer des jugements, comme est habilité à le faire le juge du siège qui règle les conflits entre particuliers. Ainsi, il n’est pas étonnant que bien des justiciables perçoivent mal qu’un procureur qui s’accommodait de recevoir des instructions du ministre de la Justice, donc du pouvoir, puisse présenter les garanties absolues d’indépendance et d’impartialité, et devenir ainsi juge du siège. En effet, le justiciable a le droit de se départir de sa méfiance envers le juge. N’est-il pas courant, hélas, de vouloir toujours chercher à connaître le nom du juge avant de s’embarquer dans un procès ? L’actuel procureur général de la ville de Nice, dans le sud de la France, Éric de Mongolfier, n’a pas trouvé de meilleur titre à son tout récent ouvrage que L’art de déplaire... Si l’exercice de la fonction de procureur général conduit forcément à déplaire, n’est-il pas utile que cet « art de déplaire » ne s’étende pas aux autres magistrats siégeants, qui sont censés juger en toute sérénité et qui devraient inspirer la confiance ? La mission du procureur général est spéciale ; son statut est différent de celui des autres magistrats. Il se distingue d’eux sur l’essentiel, « l’indépendance ». Convenons donc qu’il faudrait abolir l’amalgame et dissiper la confusion actuelle, en décidant l’incompatibilité pour un magistrat procureur de siéger comme juge. Conscient, quand même, que la réforme en question ne constitue pas à elle seule le remède aux maux de la justice, qu’il nous soit permis de la considérer comme un pas, petit mais important, dans la traversée du désert. Assaad BACHA Avocat Article paru le Mardi 20 Février 2007
Beaucoup d’encre a coulé sur la nécessité d’une réforme de la justice au Liban. Notre système judiciaire est hérité du système français, hiérarchisé. De plus, notre système a été touché par le fléau plus ou moins international de la corruption. Outre le pouvoir de l’argent, ce phénomène a été aggravé au Liban par des considérations d’ordre politique, j’oserais...