Rechercher
Rechercher

Actualités

Baroud : Seule une action concertée entre les forces vives pourrait imposer la réforme

Ziyad Baroud est membre du conseil d’administration de la Lebanese Transparency Association et l’un des principaux artisans de la nouvelle loi électorale qui, à ce jour, n’existe qu’à l’état de projet. Q – Dans quelle mesure la non-signature par le Liban de l’UNCAC retarde-t-elle les réformes tant attendues et prônées par les deux camps du 8 Mars et du 14 Mars ? R – L’absence de ratification par le Liban d’une convention aussi capitale que l’UNCAC dénote, encore une fois, un défaut de volonté réelle de s’aligner sur les normes internationales en la matière. Dans la langue de bois, la corruption fait l’unanimité de tous, mais dans la pratique, réforme ne rime pas nécessairement avec ratification. La convention, à elle seule, ne saurait asseoir les réformes, certes, mais l’adhésion du Liban à ce système onusien de transparence donnerait aux réformes au moins la chance d’être soutenues par des mécanismes de renfort. Cela est rendu possible par la convention à travers les points suivants : 1 – le développement, au niveau de chaque État membre, de mesures spécifiques de prévention, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé, 2 – l’introduction, par les États membres, de dispositions législatives, de nature répressive, notamment, en ce qui concerne la corruption, 3 – la promotion de la coopération internationale à travers l’extradition, l’assistance légale et les investigations, à titre d’exemples. 4 – pour la première fois, un instrument multilatéral pose de manière contraignante le principe de la restitution des avoirs acquis illicitement. Tout cela contribue réellement à la mise en place d’un système de gouvernement favorable aux réformes, lesquelles demeureraient lettre morte si elles sont démunies de mécanismes parallèles de protection. Q – La politisation à l’extrême de thèmes comme la lutte contre la corruption et la mise en place d’une nouvelle loi électorale équilibrée (dont le projet existe déjà et sur lequel les deux camps maintiennent d’ailleurs un silence douteux) ne risque-t-elle pas de faire entrer ces deux piliers de la vie démocratique dans le jeu politicien et par là de diminuer les chances de véritables réformes dans ces deux domaines ? R – Rarement des thèmes aussi problématiques que la corruption et la loi électorale auront été étanches face au politique. D’ailleurs, cela ne me semblerait pas réel. Au contraire, il faut politiser le débat autour de questions aussi « existentielles ». La réforme ne peut pas aboutir en dehors du cercle politique, mais le défi est de bien encadrer ce cercle par des mesures objectives de rationalisation, par des pressions venant de la société civile et ses groupements... Seule une action concertée entre les forces vives du pays pourrait imposer la réforme, les forces politiques n’ayant plus qu’à suivre. Qu’il s’agisse de lutte contre la corruption ou de loi électorale, le jeu politicien, hautement subjectif, ne peut être équilibré que par un éveil sociétal conscient de l’impact de ces deux piliers dans le quotidien des Libanais. Je persiste donc à dire qu’il faut bien politiser ces thèmes, mais selon des normes internationalement reconnues et suivant les pistes d’action que la Convention des Nations Unies a nettement indiquées. Q – Pourquoi ce mutisme tant dans le camp du 14 Mars que dans celui du 8 Mars sur le projet de loi électorale ? Alors que dans nos colonnes ce projet a été qualifié « d’hypermarché électoral » façonné pour répondre à tous les goûts ? R – Le projet de loi proposé par la commission Boutros ne prétend être ni parfait ni exclusif, ni, surtout, non susceptible d’être débattu. Au contraire, le projet est essentiellement une invitation au débat, au dialogue entre les Libanais autour de l’un des thèmes les plus controversés de leur vie politique au cours des deux dernières décennies. Il faut se rappeler que c’est un projet « made in Lebanon », que c’est un projet « participatif » dans le sens de l’inclusion de la société civile dans son élaboration, et dans la composition même de la commission et dans les idées de réforme qui ont fait leur chemin dans le texte du projet. À partir de là, le mutisme de certaines forces politiques – pas toutes – ne constitue pas nécessairement une attitude négative par rapport au projet, surtout que certains ont favorablement accueilli la réforme introduite par le projet. Il ne faut pas oublier que l’agression israélienne de juillet-août 2006 a rendu le débat autour de la loi électorale impossible. Le dialogue national a manqué le but lorsque le découpage électoral a été mis à l’ordre du jour. En effet, l’attitude par rapport au projet s’est limitée, en particulier, au découpage électoral et au système de scrutin. La lecture de ces deux composantes du projet, dans les yeux du politique, ne peut se faire que d’une manière subjective. Et c’est quelque part légitime. Chacun voudrait y trouver son compte. Or, dans un pays à composition aussi disparate que le Liban, il est quasiment impossible de faire plaisir à tout le monde. Néanmoins, le projet de la commission demeure, à mon sens, au moins un point de départ, une ébauche. Il offre matière solide à débat, notamment sous l’angle du système mixte de scrutin qu’il propose, lequel système est une innovation digne d’être au moins débattue. En bref, le projet de la commission Boutros est une invitation au dialogue, une invitation à tous les Libanais à prendre en main leur avenir à travers cette loi tellement fondamentale dans la bonne gestion de leur diversité. Cela ne manquera pas d’accélérer la réforme. Q – Dans l’UNCAC, y a-t-il des clauses qui posent un réel problème et dont l’application suppose un véritable chantier juridique ? Si oui, quelles sont-elles et justifient-elles le retard dans la signature de cette convention ? R – En fait, la législation libanaise semble généralement en conformité avec les termes de la convention. Si l’on se réfère notamment aux dispositions du code pénal libanais, l’on est agréablement surpris d’y voir des provisions largement conformes à la convention (pots-de-vin, détournement de fonds, abus de biens, etc.). La loi 318/2001 sur le blanchiment d’argent contient, elle aussi, des mécanismes complémentaires par rapport à la convention (commission spéciale d’enquête). L’adoption en 1999 d’une version revue et corrigée de la loi sur l’enrichissement illicite s’insère aussi dans le cadre des textes favorables au combat contre la corruption. Le problème majeur réside néanmoins dans les immunités dont bénéficient un grand nombre d’agents publics, ce qui rend leur poursuite souvent assujettie à des mécanismes de blocage qui la rendent quasiment inefficace. Q – Quelle est, à votre avis, la véritable raison de l’absence de signature de l’UNCAC par le Liban et le désintérêt des politiques pour le Forum pour le futur, qui a eu lieu à Amman le jour même où l’opposition a amorcé ses mouvements contestataires ? R – Dans l’absolu, rien ne justifie le défaut de ratification. La question des immunités des fonctionnaires ne me semble pas suffisamment pertinente ou de nature à empêcher l’adhésion du Liban à ce système. Le recouvrement des biens non plus. L’absence de raisons substantielles est d’autant plus désolante que l’interprétation qui s’ensuit place le Liban dans la lignée des pays hostiles à la réforme. Q – Quel aurait été l’apport du Forum pour le Liban ? Quels bénéfices en aurait-il retirés s’il y avait participé ? R – La participation du Liban aurait été, bien que souhaitée, celle d’un observateur, le Liban n’étant pas un État signataire. Mais cela aurait permis au pays, néanmoins, d’affirmer sa détermination à faire partie de la « tendance » internationale anticorruption, et de mieux comprendre les mécanismes de la convention, afin de mieux défendre son adoption sur le plan interne. Propos recueillis par Lé. M
Ziyad Baroud est membre du conseil d’administration de la Lebanese Transparency Association et l’un des principaux artisans de la nouvelle loi électorale qui, à ce jour, n’existe qu’à l’état de projet.

Q – Dans quelle mesure la non-signature par le Liban de l’UNCAC retarde-t-elle les réformes tant attendues et prônées par les deux camps du 8 Mars et du 14 Mars...