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Actualités - CHRONOLOGIE

THÉÂTRE - Au Monnot, jusqu’au 25 février, tous les jeudis, vendredis, samedis et dimanches à 20h30 «Jorsa», ou si Rafic Ali Ahmad m’était conté

Il est honteux de faire ceci. Il n’est pas admis de faire cela par peur du scandale. «Jorsa» (ou honte) est un mot qui prend ses racines dans le franc-parler des villages libanais et qui évoque les valeurs sur lesquelles s’est construit le pays. De quelle honte parle Rafic Ali Ahmad dans sa pièce? En choisissant de l’intituler «Jorsa», l’auteur et comédien rappelle ces valeurs familiales et sociales oubliées. Un pacte d’amour qu’il renoue, en solo, avec le public sur les planches du théâtre Monnot jusqu’au 25 février. L’homme est entré en scène sur fond de décor noir et blanc. Lui-même est également vêtu de ces couleurs monochromes comme pour se fondre dans l’espace. Cet espace, Rafic Ali Ahmad, le conteur, le narrateur, le «monologuiste» (qu’importe le qualificatif), va l’habiter, le remplir durant plus d’une heure. Avec son verbe pour seule arme, un combat à mains nues s’engage, une lutte amoureuse où tous les mots sont permis. En une suite d’images et d’historiettes, l’acteur devient spectateur et voit sa vie se dérouler devant ses yeux. De son Sud natal à Beyrouth la capitale, la tête remplie de rêves de gloire, le jeune homme qui s’est découvert un jour des talents d’imitateur et de conteur, celui qui s’exerçait aux badinages et aux enfantillages dès son jeune âge, pour le simple désir de plaire et de se faire aimer, devient un acteur, un personnage public apprécié et adulé. Mais à travers son parcours semé d’embûches et d’espoirs anéantis par les guerres fratricides du Liban, c’est l’histoire de tout Libanais et de toute famille libanaise qu’il narre. Les cadres en bois de couleur blanche plantés dans le décor permettent de découper l’espace, de suggérer des limites et de passer d’une scène à l’autre, en fondu enchaîné. Du mari fatigué par les contraintes de la vie à l’acteur désappointé, en passant par le papa ou l’amant, tous les masques tombent et la fusion s’opère. Rafic Ali Ahmad l’homme devient Rafic Ali Ahmad le personnage, «caractère» qu’il a créé, mélange de personnes côtoyées et d’histoires vécues ou vues. «Le comédien ne fait pas simplement le travail de caméra, confie-t-il, il interprète à sa façon le vécu ; il est le terreau où se mêlent toutes les expériences confondues, qui réussit à fertiliser la créativité.» Bas les masques Comme sur une corde raide, le funambule du mot oscille entre larmes et joie, calme et colère. Jamais d’indécence dans ses termes ni d’aigreur ou d’agressivité, mais une forte volonté de réveil à la vie, voire à son essence. Avec beaucoup de pudeur, il s’infiltre dans les vies de chacun pour en ressortir avec des témoignages réels, authentiques. Et s’il lui arrive de prêter des propos non dits à sa famille, il s’en excusera ensuite auprès d’eux. Empoignant le public, le bousculant par moments, Rafic Ali Ahmad hurle, avec sa voix puissante, la liberté de pensée, véritable carte d’identité de l’homme, et crache l’assujettissement. Le «monologuiste» s’est effacé pour laisser la place au dialogue. Tout en jouant l’autodérision (chose qu’il réussit à merveille), le comédien avoue ses propres faiblesses et celles des hommes. Il moque leurs petitesses et leurs incapacités à se faire comprendre. Il dénonce en passant leur orgueil et leur désir de pouvoir. Alternant passé et présent avec une facilité déconcertante, jonglant avec subtilité entre discours de harangue et de suppliques, l’artiste entend affirmer ses refus. Refus d’appartenir à une caste, à un parti ; de se soumettre à l’aliénation qu’impose le nom de naissance ainsi que le refus d’abdication.Tel ce taureau qui refuse de se laisser émasculer et qui tente, dans un dernier mouvement de désespoir, de relever son corps lourd, Rafic Ali Ahmad se défait de ses chaînes et crie sa douleur. Avec panache. Colette KHALAF

Il est honteux de faire ceci. Il n’est pas admis de faire cela par peur du scandale. «Jorsa» (ou honte) est un mot qui prend ses racines dans le franc-parler des villages libanais et qui évoque les valeurs sur lesquelles s’est construit le pays. De quelle honte parle Rafic Ali Ahmad dans sa pièce? En choisissant de l’intituler «Jorsa», l’auteur et comédien rappelle...