Pour la plupart des habitants de l’île, la montée du frère du « lider maximo » suscite craintes et incertitudes De Fidel à Raul, Cuba aborde une nouvelle page de son histoire Rania MASSOUD

Six mois après que Fidel Castro, le « Père de la révolution », a délégué « à titre provisoire » ses pouvoirs à son frère Raul, un nouveau climat enveloppe Cuba sur fond de profonde incertitude sur l’avenir politique, économique et social de l’île. Plus important encore : quelle sera la nouvelle stratégie américaine vis-à-vis de Cuba, après la passation officielle des pouvoirs ? En août dernier, quelques jours après l’annonce officielle de l’hospitalisation de Castro, l’Administration Bush a évoqué un plan qui servirait aux États-Unis de se préparer aux nouveaux défis que poserait le transfert de pouvoir de Fidel à Raul. Le plan insistait surtout sur l’urgence d’empêcher la succession à Cuba, afin de mettre fin au régime communiste qui, selon eux, pourrait rapidement devenir une menace terroriste directe pour les États-Unis. Mais la menace que représentait Cuba pendant la guerre froide n’est plus ce qu’elle est aujourd’hui, en 2007. De l’embargo économique imposé à l’île il y a 45 ans jusqu’au soutien actif de Washington aux opposants cubains, les États-Unis ont utilisé presque toutes les pressions possibles pour renverser le régime de Castro, l’un des rares régimes communistes à avoir survécu, 17 ans après la chute du mur de Berlin. En vain. Pour de nombreux analystes, l’Administration Bush doit, au contraire, changer de stratégie face a Cuba et favoriser plutôt le dialogue. En six mois d’intérim, Raul Castro a proposé à deux reprises l’ouverture au dialogue aux États-Unis, mais ces derniers l’ont rejetée. L’Administration Bush réclame au préalable des changements politiques à Cuba, refusant notamment de discuter avec Fidel Castro ou avec son frère. Les défis de Raul Brian Latell, ancien analyste de la CIA sur les affaires cubaines, écrit dans son livre After Fidel que Raul Castro, qui n’a pas le même charisme que son frère, n’aura probablement pas non plus la même marge de manœuvre. Selon M. Latell, Raul devra faire face à de nombreux défis. Il estime cependant que le nouveau leader cubain choisira d’imiter le modèle chinois, c’est-à-dire plus d’ouverture économique tout en maintenant la répression des droits individuels et des libertés politiques. Pour les spécialistes du régime communiste cubain, le pouvoir – avec Raul – est devenu plus collectif et moins centralisé autour de la personne du leader. Dans une entrevue accordée à Reuters, M. Latell indique que « Raul s’est attaché à abandonner la quête de boucs émissaires que pratiquait Fidel. Au contraire, il admet que les problèmes de la révolution sont sérieux et d’origine interne ». Les Cubains partagés Mais, pour de nombreux Cubains, l’arrivée de Raul au pouvoir suscite craintes et incertitudes. Alors que les opposants espèrent obtenir des améliorations de la situation des droits de l’homme, les admirateurs du « lider maximo » redoutent de leur côté un changement brutal qui pourrait les amener à perdre des avantages sociaux, comme leur emploi garanti, leur carnet d’alimentation mensuel ou même la gratuité des hôpitaux et des écoles. Quoi qu’il en soit, l’absence de Fidel Castro de la scène publique est en soi un changement majeur dans la vie quotidienne des Cubains. Figure incontournable de la deuxième moitié du XXe siècle, Fidel, cet homme qui est convaincu que « les vrais révolutionnaires ne se retirent jamais », a été réduit malgré lui au silence depuis six mois à cause de sa mystérieuse maladie qui reste un « secret d’État ». Le monde entier associe désormais Cuba à Fidel, ce dirigeant atypique avec sa barbe d’ancien guérillero et ses célèbres cigares. Le changement, même s’il est avant tout symbolique, est considérable et affectera sûrement les Cubains, puisqu’ils sont sept sur dix à n’avoir jamais connu d’autre chef d’État. De Fidel à Raul, c’est une page qui est tournée.