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Actualités - OPINION

Le sens de la Saint-Maron

Saint Maron, ô saint Maron, que de crimes on a commis en ton nom ! Que de gens se sont réclamés de toi, de tes enseignements, de ton genre, en des occasions diverses et variées, à tort ou à raison. Que de disciples, d’envoyés, d’émissaires, de messagers se sont déclarés, sans sourciller, dépositaires de ta foi. Que de sombres desseins, que de moyens que ne justifiait aucune fin t’ont pris pour prétexte. Que de passions tu as provoquées, que d’attaques ont pris ton peuple pour cible ! Les disciples de saint Maron ont ainsi souvent suscité, en particulier depuis 1975, tour à tour la fascination, l’incompréhension, l’effroi, la peur et la haine. Victimes d’un dénigrement systématique, qui a utilisé et utilise encore autant de théories simplistes que d’amalgames douteux. « Nation maronite », « maronitisme politique », « Maronistan ». On en aura vu de toutes les couleurs, entendu de tous les sons de cloches. Les fameuses cloches dont on a dit qu’elles sonneront toujours, pour célébrer la Saint-Maron, dans tout l’Orient chrétien. Alors que les maronites du Liban et du monde entier fêtent leur saint patron en ce 9 février, répondre à la question « qui est saint Maron ? » n’est pas un exercice évident. En effet, si beaucoup de gens croient connaître les maronites au travers de la ligne de comportement de tel ou tel politicien qui se croit investi d’une mission divine, peu de gens, y compris parmi les maronites eux-mêmes, savent réellement qui est saint Maron. Les informations dont on dispose sont clairsemées, pas assez fournies. Un saint homme des IVe et Ve siècles, un ermite exceptionnel, père d’une véritable doctrine de l’ascétisme, d’une approche nouvelle de la relation de l’homme religieux avec Dieu. Un individu charismatique dont les disciples décident, à sa mort, de fonder un monastère en sa mémoire et de se regrouper afin de propager ses enseignements. Nous connaissons saint Maron par le biais de ses élèves, dont les plus illustres, Charbel, Rafqa et Hardini, sont des saints de l’Église catholique. Nous le connaissons donc par la pérennité déroutante du mouvement religieux qu’il a lancé, signe incontestable de la force exceptionnelle de ce qu’on conviendra d’appeler le maronitisme. Le maronitisme en religion, c’est la langue du Christ perpétuée au travers du syriaque, version de l’araméen. C’est aussi beaucoup de rites, une mystique unique, merveilleuse et enchanteresse. Pourtant, au plan du dogme, dès les premières heures de son existence, l’Église maronite s’est alignée sur l’Église romaine, sans jamais faillir. Contrairement à bien des communautés chrétiennes en Orient, dont les divergences dogmatiques avec Rome rendent leur pratique religieuse plus controversées, le maronitisme n’est donc qu’une version imprégnée d’histoire et de culture locale du catholicisme romain. C’est donc ailleurs qu’en religion qu’il faut rechercher le sens du maronitisme. Dans l’histoire, dans la politique. C’est là qu’on retrouve le parcours exceptionnel, hors normes, d’une religion devenue peuple, d’un peuple devenu nation. Les maronites sont à l’origine du Liban moderne ; c’est un fait, pour le meilleur ou pour le pire. Pour en arriver là, ils ont dû lutter, des siècles et des siècles durant, contre l’occultisme pendant les bons jours et contre la persécution lorsque venaient les mauvais jours. Tantôt se battant contre les Omeyyades, tantôt contre Constantinople, tantôt aux côtés des croisés. Pourchassés par les Mamelouks, par les Ottomans, se cachant dans la montagne. Cette Montagne à laquelle ils reviennent encore et toujours. Éternellement. Après chaque massacre, qui les fait renaître ; après chaque défaite, qui les rend plus pérennes. De Youssef bey Karam à Tanios Chahine, maronite veut dire battant, maronite est synonyme d’insoumis. Leur rayonnement ne se limite pas à la Montagne libanaise : de saint Louis à Napoléon III en passant par les papes romains et par les princes de Toscane, ils établissent et consolident des alliances à l’international, d’une manière admirable pour une époque où faire parler de soi (communiquer, dirait-on aujourd’hui), lorsqu’on n’était au fond qu’une minorité dans une contrée lointaine, était un véritable tour de force. Leur spécificité vis-à-vis du monde extérieur s’est ainsi affirmée, leurs liens privilégiés avec la France leur valant la protection de cette dernière, contre vents et marées, alors que se succèdent en Orient des califats et empires qui ne sont pas foncièrement favorables – c’est le moins qu’on puisse dire – à l’émancipation de la communauté maronite. À côté de la lutte identitaire et politique, les maronites font aussi preuve d’une présence culturelle riche et abondante. Du Collège maronite fondé à Rome au XVIe siècle à l’imprimerie du couvent de Mar Mtanios Kozhaya, l’une des premières en Orient, de l’araméen et du syriaque à la Renaissance de la langue arabe, les maronites ont toujours été précurseurs, pionniers. Constants, fidèles, comme en matière spirituelle et dogmatique. En 1920, la France prend la place de l’Empire ottoman, forte d’un mandat de la SDN. La création du Liban moderne se fait alors tout naturellement sous l’impulsion des maronites, noyau dur de l’embryon de nation. Fait remarquable cependant, elle se fait aussi et surtout de concert avec les autres communautés, toutes les autres communautés qui composent le tissu libanais actuel. Il a ainsi été décidé, et l’influence du patriarche maronite Hoayek n’est pas ici à démontrer, que le Liban ne se limiterait pas à la Montagne. Le Grand-Liban empruntera donc, géographiquement comme confessionnellement, à des identités autres que le maronitisme. On est loin d’un « Maronistan », à la base difficilement viable, et dont les maronites n’ont par ailleurs eux-mêmes jamais voulu. Le maronitisme est un appel identitaire et patriotique empreint d’universalité. Il est l’esquisse de la nation libanaise tout entière. Les maronites ont fortement contribué à créer le Liban ; ce n’est pas à dire qu’il leur appartienne à eux seuls, bien au contraire. Car ils l’ont conçu pluriconfessionnel, tolérant, ouvert. L’histoire du Liban moderne l’a prouvé ; beaucoup de Libanais se sont battus, et beaucoup sont morts, pour que vive cette nation en laquelle ils ont cru, indépendamment de leur appartenance religieuse ou confessionnelle. Au fond, le Liban, c’est comme une bonne idée qui serait venue à l’esprit d’un groupe, qui aurait alors décidé de la partager avec d’autres, avec une générosité spontanée, pour le bien de la multitude, sans arrière-pensées. L’idée étant tout simplement, sur la base d’une lecture éclairée de l’histoire et de la géographie, mais aussi de l’avenir, de vivre ensemble. Le Liban est un message, disait Jean-Paul II. Le maronistime aussi. Il est un message d’amour, de paix, et d’ouverture. Il est, quand il le faut, la sonnette d’alarme, la conscience de la nation, le rempart, le gardien du temple, sans que cette lourde responsabilité entraîne pour lui, et c’est là la beauté du paradoxe, de droits ou de privilèges. Célébrer la Saint-Maron, c’est rendre hommage à un ascétisme, une mystique, une spiritualité hors du commun. C’est fêter les martyrs de l’Église maronite, la résistance à l’oppression. La Saint-Maron, c’est la fête des hommes libres, des rebelles, des justes. Le rendez-vous de ceux qui croient, sans jamais accepter de céder au désert de leur environnement souvent hostile, qu’il est des principes dignes d’être constants, parce que supérieurs à l’homme et aux époques. La commémoration de tout un processus religieux, culturel, historique et politique, vécu comme un aboutissement, qui est au fondement des valeurs de notre Liban d’aujourd’hui. C’est donc la fête du Liban tout entier, de tous les Libanais qui sont en droit de revendiquer cet héritage indivisible au nom de leur amour pour leur pays. Que vive saint Maron ! Puisse son souvenir se perpétuer à jamais. Gloria Libani Data Est Ei. Élias R. CHÉDID Avocat - Paris
Saint Maron, ô saint Maron, que de crimes on a commis en ton nom ! Que de gens se sont réclamés de toi, de tes enseignements, de ton genre, en des occasions diverses et variées, à tort ou à raison. Que de disciples, d’envoyés, d’émissaires, de messagers se sont déclarés, sans sourciller, dépositaires de ta foi. Que de sombres desseins, que de moyens que ne justifiait...