Aimer la vie

Depuis quelque temps, sur l’autoroute de Jounieh, ont proliféré de grandes pancartes publicitaires où il n’y avait que trois mots : «J’aime la vie». Les trois mots sont répétés en trois langues sur un grand panneau rouge, le rouge étant la couleur de l’amour. Plus tard, je compris que ce slogan avait été conçu par la majorité qui avait voulu se faire discrète en ne signant pas. Le slogan montrait un attachement à la vie en tant que telle, une sorte d’unité des sentiments et des politiques, quelles que soient nos couleurs ou nos divergences. L’essentiel était la vie car ce que veut le Liban, c’est avant tout Vivre avec un grand V. Et vivre, c’est aller au-delà des dissensions intestines car le Liban est un et unique. L’absence de signature démontrait bien que c’était le souhait de tout Libanais et pas seulement d’une faction. Car aimer la vie, c’est avant tout aimer son voisin, aimer son prochain et surtout croire en lui pour renforcer notre unité devant l’adversité. Depuis peu, d’autres affiches ont fleuri sur les murs qui longent l’autoroute. Celles-là aussi aimaient la vie. Décidément, tout le monde s’était passé le mot…à une différence près. Les – autres – amoureux de la vie précisent comment ils l’aiment. Ils l’aiment avec dignité, avec honneur, sans dettes, en multicolore (en fait, ils ont du mal à comprendre le sens de multicolore, multi voulant dire plusieurs et non pas trois seulement, le vert, le jaune et l’orange). Et pour finir, ils aiment la vie au Liban (je m’excuse si j’ai oublié d’autres domaines où ils aiment la vie, mais parfois la mémoire joue des tours). C’est quand même drôle de constater que les deux factions se retrouvent sur plusieurs thèmes – enfin, disons plutôt sur un nombre de thèmes réduits vu que ceux qui ont eu le bénéfice de la première idée aimaient la vie comme un tout indivisible. Les autres, ils aiment la vie, mais chaque élément pris à part. C’est là une conception étrange, mais tout à fait défendable. Après tout, il n’est pas donné à tout le monde d’être universel dans son amour. On peut aimer étroitement et pour le bien tricolore. Aimer la vie au Liban, c’est ce que tout le monde recherche depuis des lustres. Or ce n’est pas en le précisant que les choses vont s’arranger et que l’immigration (des jeunes surtout) va s’arrêter. Pour vivre au Liban, il faut un semblant d’unité et oublier certaines mesquineries en signant ses méfaits outrageusement. Avec honneur et dignité et sans dettes, quelle étrange coïncidence ! C’est le but de tout le monde. Évidemment, si la dignité, l’honneur et l’absence de dettes passent par le camping au centre-ville et la noyade de l’économie de la région la plus favorisée de Beyrouth commercialement, on se demande comment on va se relever. Et après, on ose critiquer les aides étrangères… Je crois qu’il est temps que certaines personnes pensent à se délocaliser et à revenir chez elles. Car si les commerces du centre-ville sont bloqués, indirectement d’autres régions suivront par manque de main-d’œuvre. Plus grave : on se demande comment certains enfants pourront suivre une scolarité normale dans cet univers glauque. C’est simple de vivre en ethnies multicolores. Avant, nous avions les noirs (sans aucun racisme), les blancs, les jaunes et les rouges. Maintenant, il y a les oranges et les verts en prime, cadeau du père Noël. Plus tard, on reviendra au stade des tribus indiennes des États-Unis d’avant la guerre de Sécession. Décidément, le père Noël ne nous fait pas de cadeaux avec ces nouvelles races. Mais bon, puisque cela renforce la biodiversité et l’écosystème, il faudra espérer que les livres d’histoire ne s’étaleront pas trop sur ce phénomène venu d’ailleurs. Cadeau empoisonné, donc, qui risque de s’étaler dans le temps. Père Noël, une fois de plus, tu es une ordure ! Jean-Paul MOUBARAK