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Actualités - OPINION

Dérives et responsabilités Dr Élie ABOUAOUN

S’il y a un consensus quelconque entre les différentes factions politiques, c’est autour de l’idée que la crise politique que traverse actuellement le Liban est cruciale, voire existentielle. Cette évaluation gravissime de la situation n’est cependant pas caricaturale. Néanmoins et vu d’une autre perspective, la crise constitue à la fois un intérêt et une « situation à risques » pour les ONG des droits de l’homme. L’appel lancé par plusieurs partis et courants politiques de l’opposition à leurs sympathisants afin de camper au centre-ville de Beyrouth et d’exercer une pression sur le gouvernement continue à susciter des réactions mitigées, allant de la justification d’une telle démarche (liberté d’expression) jusqu’à sa condamnation à cause des dégâts économiques et du risque d’escalade (et donc de victimes civiles) que cela pourrait générer. Les organisateurs du sit-in ont assuré publiquement et à plusieurs reprises que leur mouvement est pacifique, cette qualification étant confirmée, jusqu’à nouvel ordre par le comportement des manifestants/protestataires sur le terrain. D’autre part, les partis loyalistes, et cela malgré leurs appels à des manifestations de soutien au gouvernement, ont tenu à éviter une confrontation des « masses ». Les instructions données aux forces de l’ordre (ainsi que leur comportement) montrent aussi une certaine maturité politique qui manquait souvent durant les années 1990-2005. Cependant, la période de l’après-fêtes semble être celle de nouvelles mesures d’escalade et éventuellement des contre-mesures loyalistes. Les surenchères médiatiques de part et d’autre sont préoccupantes. Le pays risque de passer d’une phase durant laquelle le droit à exprimer librement son opinion fut exercé d’une façon presque exemplaire à une autre phase dont les signes sont plutôt alarmants. L’éthique politique impose aux auteurs des déclarations de s’abstenir de lancer des accusations contre leurs rivaux en l’absence de preuves tangibles. Dans ce cas précis, c’est le pouvoir judiciaire qui doit être interpellé pour déterminer les responsabilités et décider des sanctions. Les propos injurieux et calomnieux sont des actes préjudiciables et doivent faire l’objet de sanctions sévères, surtout quand ils tendent à « généraliser » (l’assimilation de toute une communauté à la position d’un leader issu de cette même communauté). S’il est vrai que la liberté d’expression n’a de limites que celles « établies exclusivement par la loi », il n’en demeure pas moins que la dignité des autres reste une limite éthique qui doit régir l’exercice des libertés individuelles. D’autre part, toute déclaration et/ou accusation qui mettent en cause la sécurité d’une tierce personne (ou d’un groupe de personnes) ne sont autres qu’une incitation au meurtre. D’un point de vue « droits de l’homme », et sans analyser les conséquences politiques du mouvement de l’opposition, notre seul intérêt réside dans le maintien de la nature pacifique de tout mouvement populaire, qu’il soit opposant ou loyaliste. Et, dans ce cadre, il nous importe de rappeler que le champ de responsabilité en cas de dérive n’est pas uniquement limité aux organisateurs, mais s’élargit pour atteindre les leaders politiques et les faiseurs d’opinion en général. Par le terme « responsabilité », on entend « la nécessité morale, intellectuelle ou juridique de remplir un devoir, de satisfaire un engagement ou de réparer une faute ». Bien qu’imprécise, cette définition permet de comprendre pourquoi la responsabilité est si souvent mobilisée dans des situations pareilles : elle constitue un des moteurs essentiels des actions humaines, individuelles ou collectives, même quand elles se déroulent dans la sphère publique (bien que ce concept soit inhabituel au Liban). Par conséquent, la responsabilité n’est pas circonscrite au champ juridique. Elle est également politique et morale. Donc pratiquement, l’adoption de nouvelles mesures (opposantes ou loyalistes) doit être en ligne avec les normes internationales de l’exercice de la liberté d’expression. Tout appel à une manifestation qui risque de sortir de son cadre pacifique fera assumer aux organisateurs une responsabilité directe. De même, tout appel à contrer une manifestation par une autre et dont le déroulement risque de provoquer une friction entre les deux masses constitue aussi une forme d’incitation à la violence. Enfin, toutes les mesures que les autorités seront appelées à prendre doivent respecter les engagements internationaux du Liban, notamment en termes de protection des manifestants, des biens privés d’autrui, des bien publics et de l’usage proportionnel de la force en cas de dérive. Les leaders politiques ne doivent pas se contenter d’évoquer la nature pacifique d’une manifestation. Ils doivent aussi procéder à une évaluation rationnelle des risques et tout faire pour éviter les dégâts matériels et surtout humains. Les responsabilités sont donc partagées à parts égales entre les partis loyalistes, les partis de l’opposition ainsi que les autorités. En cas de dérive, nul ne pourra se prémunir ni du droit à la liberté d’expression ni de son droit à défendre le gouvernement, encore moins de son devoir de protéger les biens publics ou privés. Le jugement sera sévère et irréversible. Dr Élie ABOUAOUN Chargé de cours à l’Université Saint-Joseph Article paru le Vendredi 19 Janvier 2007
S’il y a un consensus quelconque entre les différentes factions politiques, c’est autour de l’idée que la crise politique que traverse actuellement le Liban est cruciale, voire existentielle. Cette évaluation gravissime de la situation n’est cependant pas caricaturale. Néanmoins et vu d’une autre perspective, la crise constitue à la fois un intérêt et une « situation à risques...