Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

La parole indigne Pr Mounir CHAMOUN

«Honneur des hommes, saint langage ! » C’est par ces mots que Paul Valéry célébrait la noblesse de la spécificité humaine, incarnée dans l’usage de la parole. Jacques Lacan, quelques décennies plus tard, inventait le néologisme de « parlêtre » pour distinguer, parmi l’ensemble des créatures, l’être humain, cet usager singulier et exclusif d’une parole porteuse de création symbolique. Nous, dans le marasme sociopolitique que nous vivons aujourd’hui, qu’avons-nous fait de la parole, comment avons-nous réussi à autant la profaner, à en saccager le champ et à en pervertir la fonction ? Et tout d’abord, l’indignité de l’injure. Universellement reconnue comme l’arme du faible, elle n’en stigmatise pas moins celui qui la profère, le situant à son niveau propre, celui de la noirceur de l’âme et de la pensée. Depuis quand la bassesse du propos est considérée comme le monopole licite de celui qui aurait reçu une formation militaire ? N’avons-nous pas connu, de par le monde, maréchaux et généraux, dont le langage châtié et courtois les avait habilités à appartenir à des sociétés savantes et à des instances académiques ? Recourir à l’injure, c’est s’avouer sans cause véritablement libanaise, ou à court d’arguments et user d’une séduction démagogique de bas étage, comme cet ancien ministre, pur produit du combiné syro-lahoudien, ainsi promu dans le dessein d’humilier la représentation druze de la montagne, qui rapproche le tribunal international de sa chaussure. Ou comme celui qui se complaît dans l’insulte gratuite en y épuisant la totalité de son lexique, ouvrant ainsi à ses suiveurs aveugles les vannes de la plongée dans le sordide et le vulgaire. La parole indigne est également contenue dans la déformation délibérée de la vérité qui va de la dénégation, consciente ou inconsciente, au mensonge le plus flagrant. Le discours politique aujourd’hui en est truffé, qui considère le public sans discernement et sans mémoire. La population libanaise, dans sa diversité, le vit en ce moment à ses dépens, celle à qui des politiques, qui se veulent crédibles, affirment leur allégeance à Taëf, à l’État libanais et à ses institutions, se déclarent pour le tribunal international, pour le châtiment des coupables, l’indépendance et la souveraineté du pays et qui, dans leur pratique quotidienne, œuvrent pour l’affaiblissement de ce même État et pour éloigner le calice du tribunal, sous l’effet d’injonctions étrangères ou locales destinées à soustraire des coupables connus à un verdict potentiellement accablant. Est indigne la parole qui s’habille de regrets et qui se dédouane en confessant son manque de vision et de prévision, après avoir provoqué mort, détresse et destructions dans toutes les contrées du pays. Indigne également la parole du plus haut dignitaire de l’État qui déclare n’avoir jamais subi d’injonctions extérieures ou s’être soumis à un diktat damascène. Indigne la parole qui, sous couvert de charisme à connotation religieuse, substitue les vessies aux lanternes et obture toute pensée personnelle, élimine tout espace de jugement et de discernement. Est indigne la parole de ceux qui n’ont pas de parole ou qui n’ont d’autre parole que celle d’un maître, invisible et réel à la fois, commanditaire de la conviction, de l’attitude et de l’exécution. La tournure de l’énoncé et de la pensée a beau être personnalisée, elle n’en a pas moins le parfum du conforme, du répété et du déjà entendu. Et c’est la même langue de bois du Nord au Sud, en passant par la Békaa, le centre de la capitale et ses banlieues. « On ne fait pas de politique avec des enfants de chœur » ; la parole est attribuée à Bismarck qui aurait également dit que la politique est l’art du possible. Mais faut-il que toute politique soit entachée de mensonge ? Qui prononcera un jour la parole de vérité qui éclaire, qui sauve, qui rassure et qui correspond à l’attente de la multitude, celle qui aspire à une véritable paix reposant sur des principes partagés de liberté, de respect mutuel et de démocratie ? Article paru le Mercredi 10 Janvier 2007
«Honneur des hommes, saint langage ! » C’est par ces mots que Paul Valéry célébrait la noblesse de la spécificité humaine, incarnée dans l’usage de la parole. Jacques Lacan, quelques décennies plus tard, inventait le néologisme de « parlêtre » pour distinguer, parmi l’ensemble des créatures, l’être humain, cet usager singulier et exclusif d’une parole porteuse...