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Actualités - REPORTAGE

Cinquante kilomètres de rail, des dizaines de millions de dollars d’investissements prévus pour ressusciter la grande épopée du chemin de fer Les Libanais entendront un jour siffler le train Jad SEMAAN

Les guerres passent, les gares restent. La gare Mar Mikhaël a connu les bombardements des alliés durant la Deuxième Guerre mondiale. Les gares de Tripoli et de Rayak ont servi de base à l’armée syrienne durant la guerre de 75-90 et pendant les années de la tutelle syrienne. Mais il fut un temps où une bande de phallocrates pouvait prendre le Taurus Express à «Noun Bé Tah», ou la gare de Beyrouth par où passait la ligne Nakoura-Beyrouth-Tripoli, traverser la Syrie et la Turquie, puis descendre du train à Varna. Il s’en suivait fêtes et bombances à très peu de frais, grâce à une monnaie libanaise forte, avant de regagner Beyrouth dans un train à wagons-lits. Ce temps-là ne se conjugue pas au futur, mais se rapporte à un passé peu lointain. Rien qu’en 1974, les chemins de fer libanais ont transporté près de 80 000 passagers venant des pays arabes et d’Europe. La même année, les archives de l’Office des Chemins de Fer enregistraient le transport de près de 560 000 tonnes de marchandises, soit la cargaison de plus de 20 000 camions. Pour reprendre le vieux dicton local, c’était le temps où « mamie était encore jeune ». Au début des années 70, le chemin de fer libanais employait près de 2 000 personnes. Certains métiers du rail se perpétuaient même de père en fils. Aujourd’hui, la « sekké » emploie 75 personnes devenues pratiquement les gardiens des propriétés et des biens de l’Office, dont une majorité s’apprête à prendre le chemin de la retraite, après avoir connu les beaux jours du rail et versé une chaude larme sur ce qu’il en est advenu. La mémoire des hommes s’en souvient. Il y a aussi celle de la pierre qui ne ment pas. La mémoire de majestueux monuments, aujourd’hui délaissés et délabrés, parle avec plus d’éloquence de l’épopée du chemin de fer libanais. Il suffit de faire un tour du côté de la gare Mar Mikhaël, de voir ses locomotives et ses wagons, son château d’eau et son atelier de réparation, son quai et les trotteuses de son horloge Paul Garnier, pour remonter le temps et retourner à Varna dans un train, l’espace d’un instant. À vrai dire, le bâtiment des voyageurs de la gare Mar Mikhaël, la plus ancienne du Liban, édifiée en 1895, est le seul à avoir été restauré, entre 2001 et 2002. Plus majestueuse est la gare de Rayak qui s’étend sur un million de mètres carrés et qui fut la plus grande usine pour les métiers du rail au Moyen-Orient. Ici, il y a une trentaine d’années, près de 400 soudeurs, tourneurs, fondeurs et électriciens s’affairaient encore. Ici, le temps s’est arrêté. Les tenders n’ont plus été remplis ni d’eau ni de fioul. La tuyauterie en cuivre a été volée. Même le bois des wagons qui servaient au transport du bétail a servi à réchauffer les militaires qui ont occupé la gare. Mais les locomotives et les fonderies n’ont pas bougé. Elles attendent patiemment d’être grignotées par la rouille. La gare de Tripoli n’est pas moins jolie. La broussaille y a épousé la pierre de taille. Les bâtiments de cette gare qui s’étend sur près de 60000 mètres carrés attendent des jours meilleurs. Quatre locomotives allemandes de type G8 et deux autres françaises de type 21G rouillent patiemment. Il faut croire que certaines beautés sont récupérables. Aujourd’hui, trois projets visent à donner un coup de lifting à la célèbre voie ferrée. Fin décembre 2001, un accord est signé entre l’Office libanais et les Chemins de fer syriens. La ligne à voie normale (l’écartement entre les deux rails d’une voie est de 1 435 mm) allant de Abboudiyyé – à la frontière nord – à Tripoli, et celle à voie étroite (écartement métrique : 1 050 mm) allant de Serghaya – à la frontière est – jusqu’à Rayak, devaient être réhabilitées. Pour les travaux sur le premier tronçon, 4 500 tonnes de rails achetés à la compagnie italienne Lucchini ont atterri dans la zone franche du port de Tripoli, le 13 février 2005. Mais le lendemain, le Liban devait renouer avec ses vieux démons: Rafic Hariri a été assassiné. Selon une clause de l’accord, les rails en question devaient être montés à Homs, en Syrie. Les travaux sur la ligne Abboudiyyé-Tripoli ont donc été retardés. Initialement évaluée à un peu plus de 10 millions de dollars, la réhabilitation est estimée aujourd’hui par la partie syrienne à près de 24 millions alors que les Libanais jugent que 17 millions de dollars seraient suffisants. Mais pourquoi recourir dès le départ au savoir-faire syrien ? Et pourquoi avoir commencé par Tripoli ? La Syrie possède un réseau ferroviaire qui fonctionne bien et cette partie du réseau libanais souffre peu des empiètements. Sauf que l’accord a été signé en 2001, à une époque où le Liban ne refusait rien à son puissant voisin, y compris la vieille croyance héritée de la période ottomane qui associait Tripoli à Damas (Trablous-al-Sham). Le tronçon Abboudiyyé-Tripoli s’étale sur 35 kilomètres. La première étude syrienne remise à l’Office prévoit la construction d’un brise-lames, des ponts, des murs de soutènement et autres passages vers les constructions érigées à proximité de la voie ferrée. Mais elle prévoit surtout la reprise des parcelles des terrains de la sékké grignotées durant les trente années de silence des locomotives. L’étude préliminaire a déjà été approuvée par le Liban en 2004. L’étude définitive est toujours en gestation. Dès lors, le gouvernement commencera par débourser la somme convenue aux Chemins de fer syriens pour la mise en œuvre du projet. Il convient également de signaler que 42 millions d’euros sont prévus pour approfondir et agrandir le port de Tripoli, qui devrait ouvrir ses quais à des navires plus grands. Un chemin de fer reliant le Liban au monde, à travers le réseau syrien, deviendrait alors indispensable. Les cheminots syriens ont déjà démonté les vieux rails du tronçon Tripoli-Abbouddiyyé qui traverse sur son chemin le camp de réfugiés palestiniens de Nahr el-Bared. Vivement donc le jour où la locomotive rapportera avec sa goulée de suie, une part de rêve à la capitale du Nord. Par ailleurs, trois kilomètres de nouveaux rails ont été installés par les Syriens. Il en reste douze pour compléter le tronçon Serghaya-Rayak. Le coût des quinze kilomètres était évalué à 700 000 dollars en 2001. Mais il est en voie d’être revu à la hausse. Cela laisse très peu d’argent, puisque Serghaya n’est qu’à 68 kilomètres de Damas en train. Quant au troisième projet, il est le fruit du rêve d’un investisseur séoudien qui a décidé de faire revivre la ligne du Hedjaz. Construite en 1894, cette ligne reliait Damas à La Mecque et passait par Médine, parcourant la Syrie et la Jordanie. Aujourd’hui, elle est encore visible jusqu’à la frontière jordano-séoudienne. Au-delà, les sables du désert se sont chargés de gommer jusqu’à la mémoire des trains de pèlerins. Rien que l’infrastructure de la voie ferrée devrait coûter un million de dollars par kilomètre. Mais ce n’est rien. Le ciel les rendrait au centuple… Encore faut-il que les gouvernements des pays concernés soient séduits par le projet. Après la réhabilitation de deux tronçons de chemin de fer au Liban, il faudrait peut-être penser aux trains. L’Etat pourrait ainsi confier la charge du réseau à une compagnie privée, comme il pourrait commencer par repeindre et rééquiper les locomotives polonaises et américaines (de type General Motors) stationnées à la gare NBT. Avec un réseau ferroviaire ressuscité, l’économie et l’environnement prendraient un sérieux coup de lifting. La «sekké» transportait près de 60 % de la marchandise qui arrivait au port de Beyrouth et les arguments qui plaident en faveur du rail ne manquent pas : - Un train transporte au moins 20 fois plus qu’un camion-benne. Et le passage de ce dernier cause autant de dégâts à la chaussée que 40 000 voitures. Sans parler du tort causé par le transport routier à l’environnement. - Un réseau ferroviaire qui fonctionne représente près de 1 000 emplois à pourvoir et donnerait un coup d’accélérateur à l’activité touristique. À l’heure où le train continue de siffler en Turquie, en Syrie et en Égypte, rien n’empêche de faire revivre les quelque 9 millions de mètres carrés que possède l’Office des Chemins de Fer libanais. Un train reliant l’Europe à l’Afrique, cela s’est déjà vu par le passé. Mais il faudrait être sans doute suffisamment vieux ou assez jeune pour en rêver.
Les guerres passent, les gares restent. La gare Mar Mikhaël a connu les bombardements des alliés durant la Deuxième Guerre mondiale. Les gares de Tripoli et de Rayak ont servi de base à l’armée syrienne durant la guerre de 75-90 et pendant les années de la tutelle syrienne. Mais il fut un temps où une bande de phallocrates pouvait prendre le Taurus Express à «Noun Bé Tah»,...