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Actualités - REPORTAGE

Au centre-ville, l’arbre de Noël porte les doléances du peuple Pour les manifestants, la fête se déroule sous le signe de la tolérance et de l’acceptation de l’autre

Noël au centre-ville sera bien différent cette année. Non pas qu’il s’annonce problématique comme certains l’avaient laissé entendre, mais ce Noël-ci a un goût revendicatif particulier et se proclame pour le moins engagé. Dès à présent, les chants de Noël se sont élevés au cœur de Beyrouth et les couleurs de la fête ont éclairé la place des Martyrs et la place Riad el-Solh, transformées pour l’occasion en tribune pour toute une jeunesse qui n’a pas fini de dire ces frustrations. Mais, détrompez-vous, les griefs exprimés dans ce périmètre de la capitale ne se limitent pas aux questions du tiers de participation, dit aussi de garantie, de changement gouvernemental, ou autres requêtes politiques brandies depuis plusieurs semaines par les leaders de l’opposition. Ici, les manifestants n’oublient surtout pas de dénoncer l’ensemble du « système politique en vigueur », ainsi que « la gestion économique qui prévaut dans le pays depuis plusieurs décennies ». Les voix stigmatisent en tête de liste le confessionnalisme et ses relents, la corruption et, bien entendu, « l’hégémonie d’une classe politique qui refuse de partager le pouvoir », comme dira Imad. C’est ce qu’avise d’ailleurs une bande-annonce projetée via écran sur l’immeuble Asseily face à la statue de Riad el-Solh, où l’on peut lire en grosses lettres les accusations portées contre le gouvernement actuel, traité en lettres jaunes de « gouvernement de la TVA, de la corruption et de la dette publique ». À proximité, un grand arbre en toile verte, érigé face au Sérail, égrène une cascade de doléances et de reproches adressés à l’Exécutif, certains visant plus personnellement le Premier ministre Fouad Siniora, notamment du temps où il était encore ministre des Finances. « J’ai grandi en entendant l’équation suivante : gouvernement + Siniora = gaspillage et dilapidation de fonds », pouvait-on lire sur une pancarte accrochée près d’un vieux sac à main asséché par le temps. D’autres nouvelles-anciennes doléances sont également venues garnir l’immense arbre de Noël, notamment celles exprimés par les ayants droit, ou, tout simplement, par le citoyen lambda au sujet de contentieux comme celui du domaine maritime, du cellulaire, et enfin la sempiternelle question de la dette publique. Mais là n’est pas la vraie fête. Celle-ci se déroule plutôt du côté de la place des Martyrs, où plusieurs arbres décorés, petits, moyens et grands, ont poussé en quelques heures, vêtus de décorations parfois à connotation politique. Le PSNS, lui, a choisi de faire pendre sur les branches de son arbre son logo rouge. Les Marada ont habillé leur papa Noël tout de vert pistache. Le spectacle est inédit, mais la gaieté et le bon esprit garantis. Au centre, un immense arbre éclairé a été inauguré lundi soir, sous les yeux émerveillés et les applaudissements chaleureux des badauds et partisans de l’un ou l’autre parti protestataire. « Jésus-Christ n’est pas l’apanage d’un groupe. Comme prophète, il appartient à toute l’humanité à laquelle il a voulu enseigner la pureté, la charité et la fraternité », soutient avec émotion Abed, un sympathisant du Hezbollah. Depuis plusieurs semaines, il campe avec toute sa famille, confiant que sa démarche sera couronnée de succès, car, rappelle-t-il, « aucune révolution populaire à travers l’histoire n’a jamais avorté ». Ce qui l’a le plus marqué au cours de son séjour sous les tentes de l’opposition est la proximité sociologique avec de nouvelles figures, et des gens appartenant à d’autres communautés ou formations politiques. « Je pensais avant qu’ils (les autres) réfléchissaient autrement que nous. Cependant, j’ai découvert que nos revendications sont unes, à savoir la nécessité de réformes profondes dont ce pays a besoin », dit-il. Antoine, lui, est partisan des Marada. Le plus bel enseignement qu’il a tiré de son expérience au centre-ville est certainement le rapprochement qui a eu lieu entre plusieurs communautés et couleurs politiques, « une expérience unique » selon lui, et « un partage social et humain à plusieurs niveaux, jamais vécu ». « Personnellement, je ne peux pas dire qu’il s’agit de mon premier contact avec les membres de la communauté chiite, puisque cela avait déjà eu lieu lorsque nous avions accueilli des déplacés au cours de la guerre menée par Israël contre le Liban. » Prié de dire si le mouvement de protestation auquel il participe activement ne contribue pas à la paralysie de l’économie et des commerces environnants, Antoine persifle : « Tout le monde sait qui est véritablement derrière l’effondrement économique du pays. C’est bien celui qui a monopolisé le ministère des Finances pendant 12 ans », dit-il, dans une allusion claire à M. Siniora. Mohammad, lui, reconnaît que l’économie s’en ressentira inévitablement à l’issue d’un sit-in qui pourrait encore durer plusieurs semaines, voire des mois. « Cependant, c’est l’avenir de notre pays qui se joue en ce moment. Les sacrifices en valent la peine », dit-il. D’ailleurs, s’interroge le jeune homme, « qui leur a demandé de bloquer tous les chemins conduisant aux commerces situés dans les environs » ? Certainement pas nous, dit-il, en allusion au cordon de sécurité qui entoure le périmètre de la place. Abed, renchérit : « Pour ma part, je continue à me rendre à mon travail tous les matins. Tout le monde fait de même ici. » Rassemblés en petits groupes par affinités politiques et sociales, le plus souvent autour d’un feu de bois ou d’un narguilé à l’odeur grisante, les manifestants sont convaincus que leurs privations de l’heure paieront plus tard, une fois leurs revendications politiques satisfaites. Une constante reviendra souvent sur la bouche des partisans, toutes couleurs politiques confondues : la « confiance absolue » dans leurs leaders respectifs, dont ils respectent et respecteront toute décision concernant l’avenir du sit-in. Mais, par-delà les discussions politiques qui se sont multipliées au rythme des soirées autour du feu, les jeunes partisans affichent une félicité et une sérénité intérieure à toute épreuve. « Ce qui compte le plus ici, c’est la sincérité des uns et des autres, et le contact humain qui est simple, vrai et dénué de toute affectation », soutient Aram, du Courant patriotique libre. « On nous a toujours fait peur des chiites. Après expérience, je peux même dire qu’ils sont mieux que nous, les chrétiens », affirme Dani, également du CPL, fier de présenter sur-le-champ ses copains du Hezbollah. L’un d’entre eux réplique : « La peur d’un conflit confessionnel a été largement exacerbée. Si les chiites voulaient véritablement faire un État, il l’aurait fait depuis longtemps. » « Ce n’est pas le cas. » Un peu plus loin, un groupe de jeunes écoliers et universitaires tirent sur leurs narguilés. Abed prend la parole en premier, pour parler de sa nouvelle expérience de la « mixité », la première pour lui. « Honnêtement, je dois avouer que j’avais beaucoup de préjugés à l’égard des chrétiens. Je croyais qu’ils ne faisaient rien d’autres que boire. » « Moi, j’avais toujours pensé qu’ils étaient des non-croyants », renchérit son copain Mohammad avant d’ajouter : « Je sais également ce qu’ils pensent de nous. » « Ils croient, par exemple, que nous n’avons pas beaucoup de “classe” et de standing et que nous ne faisons que pleurer Hussein matin, midi et soir. » « En vivant ensemble ces derniers jours, nous nous sommes débarrassés de ces clichés », dit-il avant d’entonner avec ses copains des slogans hilarants, histoire de prouver que les chiites savent rire même lorsqu’ils organisent des manifestations. Jeanine JALKH
Noël au centre-ville sera bien différent cette année. Non pas qu’il s’annonce problématique comme certains l’avaient laissé entendre, mais ce Noël-ci a un goût revendicatif particulier et se proclame pour le moins engagé.
Dès à présent, les chants de Noël se sont élevés au cœur de Beyrouth et les couleurs de la fête ont éclairé la place des Martyrs et la place Riad...