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Actualités - OPINION

Moi, Libanais, musulman sunnite... Rabih BLEIK

Je suis libanais, musulman sunnite, j’ai 30 ans, et je vis à Genève. Auparavant, je vivais à Paris. Et avant Paris, je vivais à Beyrouth où je suis né en pleine guerre. J’ai quitté le Liban il y a sept ans, en temps de paix mais de morosité économique, pensant revenir pour contribuer à la reprise et vivre auprès des miens. Je suis donc parti, fidèle à la plus libanaise des traditions ; j’ai vu le monde sous ses diverses formes et je m’y suis fait ma place. Mais je ne suis pas rentré, bien que l’envie m’en consume. Et je ne suis pas seul. Nous sommes des milliers de jeunes expatriés à vivre la même dichotomie entre nos terres d’accueil et notre patrie. Partout, nous nous posons les mêmes questions : le faut-il, quand, à quel prix rentrer ? On y croyait, après le 14 mars 2005 et malgré le tumulte qui s’en suivit. Mais voilà qu’à présent, malgré toute la bonne volonté du monde, on a du mal à y croire. Moins à cause de la dernière guerre, qu’à cause de l’incertitude face à la haine qui déchire le Liban. Pourquoi ai-je mentionné ma religion au début ? Parce que pour la première fois de ma vie et contrairement à mes valeurs, je parle en tant que membre d’une des tribus du Liban. Et parce que j’ai honte du Liban d’aujourd’hui, un amas grotesque de peuplades saisies de frénésie. Et pourtant, j’insiste à parler en tant que tel, parce que je veux montrer que lorsqu’il s’agit d’immigration et de désespoir, on est tous dans le même panier. Pourquoi musulman sunnite ? Parce que je ne l’ai pas choisi. Mais je le suis, je le vis et c’est mon droit. Beaucoup de mes amis sont chrétiens, et ça ne fait pas de moi un traître ni un faux musulman ; eux non plus d’ailleurs. Je ne suis pas non plus présentement vendu aux Américains, tout comme mes parents en leur temps n’étaient pas vendus aux Syriens ou à la « nation arabe », cette chimère qui a tellement fait trembler ou ému leurs compatriotes qu’ils ont mutuellement déclenché la guerre qui m’a vu naître, ainsi que mes compagnons libanais de l’étranger, de toutes confessions. Et j’ai l’impression que cette histoire se répète encore, sous une autre tournure cette fois, avec la même passion et toujours en vain. Jusqu’à quand ? Jusqu’à quand va-t-on se battre, s’unir puis se désunir ? N’est-il pas temps de réaliser que nos ennuis viennent de nous en premier, avant les autres ? D’admettre que ce sont nos vieilles phobies, encastrées jusque dans notre Constitution, qui nous ont permis d’être tant de fois conquis, et qu’un tel pays n’aura jamais de place respectable au sein des nations ? Moi, Libanais, musulman sunnite, je n’ai pas peur des autres. Je n’ai envie d’exterminer personne, et les autres Libanais ne devraient pas avoir peur de moi, cette peur dont l’unique exutoire semble être devenu synonyme de soi-disant patriotisme, de manifestations et de menaces sanglantes à n’en plus finir. Ce pays n’appartient à personne en particulier, ce pays est notre terre à tous. Ce n’est qu’en nous unissant, dans le respect de nos différences, sans vouloir marcher les uns sur les autres, que nous pourrons aspirer à la paix intérieure, sans laquelle nous ne pouvons faire face aux dangers externes. Laissons tomber cette phobie de la prise de pouvoir, dans un si petit pays aux communautés si nombreuses. À quoi nous sert ce pouvoir si nous n’y trouvons de dignité autre que celle, chimérique, d’appartenance à une communauté soi-disant puissante mais aigrie ? Et à quoi sert cette dignité qui nous pousse à la mendicité aux portes des consulats, ou devant les donateurs internationaux ? Regardons les choses en face : au Liban il n’y a jamais ni vainqueur ni vaincu, ni faible ni puissant. Des hommes et des femmes, oui, mais des communautés, non, ou bien alors le temps de préparer la prochaine guerre. Et devant la guerre, nous sommes tous égaux. Ayons confiance les uns dans les autres, mettons-nous d’accord et aspirons à la décence, à la paix, à un avenir meilleur. Différents certes, mais rassemblés. Et ça, c’est un citoyen musulman sunnite qui le dit. J’aurais voulu parler en tant qu’homme, mais au Liban, cela ne semble pas être possible. Soit donc, et à bon entendeur salut. Rabih BLEIK Genève, Suisse
Je suis libanais, musulman sunnite, j’ai 30 ans, et je vis à Genève. Auparavant, je vivais à Paris. Et avant Paris, je vivais à Beyrouth où je suis né en pleine guerre.
J’ai quitté le Liban il y a sept ans, en temps de paix mais de morosité économique, pensant revenir pour contribuer à la reprise et vivre auprès des miens. Je suis donc parti, fidèle à la plus...