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Actualités - OPINION

RÉFLEXION À propos de Jonathan Littell

PARIS - de Marie-Jeanne Matar Eid 10 septembre 2001. Jusqu’à cette date, il m’arrivait encore de voir dans un bus, un métro ou un jardin public, au bout des mains nues de nombreux Parisiens, des livres de poche dont la couverture laissait apparaître à leur fronton le nom d’un Mahmoud Darwiche ou d’un Néguib Mahfouz ! Révolution culturelle en 24 heures, le phénomène semble avoir disparu depuis de l’agora bien-pensante. Bannie de l’ « intra muros » intellectuel, toute production d’auteurs à consonance arabe était désormais perçue comme de seconde zone. Signe des temps, il est devenu aujourd’hui bien plus chic d’avoir au bout des doigts, avec le bijou dernier cri de chez Dior et consorts, le dernier livre d’un auteur anglo-saxon dont la couverture laisse apparaître au bas le prestigieux sigle « n.r.f ». Et c’est ainsi qu’un paysage a remplacé un autre, dans les bus, les métros ou les jardins publics... Un heureux hasard veut, sans doute, qu’au même moment, à New York, il soit devenu très chic aussi pour ces dames tirées à quatre épingles de s’afficher à Central Park, American Vertigo sous le bras, le dernier succès littéraire outre-Atlantique signé Bernard Henri Lévy. Alors, c’est sans grande surprise que j’ai assisté dernièrement à la création du phénomène Jonathan Littell, auteur américain francophone. Auréolé par la critique franco-parisienne, il s’est vu successivement décerné, pour ses Bienveillantes paru chez n.r.f, le Grand Prix de l’Académie française et le Goncourt, en l’espace de deux semaines. Bien que remarquable en soi, l’édition française aurait-elle manqué à ce point d’autres œuvres à récompenser pour succomber à la même tentation ? Narcissisme américain et fascination française (sentiment psychologique complexe de séduction-répulsion) font décidément bon ménage par les temps qui courent ! Mais, ou, et, donc, or, ni, car ? Où est donc passée cette exception culturelle française qui, pour exister, doit nécessairement s’affranchir d’une culture fast-food mondialisée et normalisée ? Nos chers académiciens, ces éminents gardiens du temple,veillent-ils suffisamment sur un patrimoine culturel qui déborde le cadre hexagonal pour atteindre les rivages d’un immense espace francophone qui vibre à la simple évocation du nom de «France » ? Les premières fissures commencent à apparaître dans l’édifice. Une « femme-livre », Madeleine Chapsal, s’en est fait l’écho en dénonçant notamment les jeux d’influences et de pressions dans les sociétés littéraires. Pour avoir osé l’impensable, cédant à l’appel de la liberté, elle fut aussitôt exclue du jury du prix Femina. Il n’y a peut-être pas en apparence de lien direct entre l’anglo-saxonisation d’une France littéraire (sociale, économique et politique ?) et le geste de Madeleine Chapsal. Mais à bien y regarder, il y a là deux syndromes d’un même mal : une indépendance intellectuelle et culturelle devenue virtuelle. Panne ou faillite d’une exception culturelle française qui ne parvient plus à se diversifier, se redéfinir, se positionner face à la domination ? Quand je pense que les succès de librairie des cinq dernières années sont les Harry Potter, Le journal de Bridget Jones, Da Vinci Code, The Lord of Rings et The Devil Wears Prada… traduits en français !

PARIS - de Marie-Jeanne Matar Eid

10 septembre 2001. Jusqu’à cette date, il m’arrivait encore de voir dans un bus, un métro ou un jardin public, au bout des mains nues de nombreux Parisiens, des livres de poche dont la couverture laissait apparaître à leur fronton le nom d’un Mahmoud Darwiche ou d’un Néguib Mahfouz ! Révolution culturelle en 24 heures, le phénomène semble...