Une ligne barbelée de bleu

Qu’est-ce qu’une frontière ? Sur une carte : un tracé qui sépare deux pays. Dans les faits : le respect d’obligations internationales, quant au passage de l’un vers l’autre, de la garantie de l’intégrité territoriale et de la souveraineté des deux parties. On ne franchit pas une frontière comme si on allait pique-niquer dans la nature. Il est des passages « obligés », autrement dit des postes frontières et, entre eux, une « zone tampon », prélevée sur les territoires des deux parties. Plus question d’une simple ligne : il est préférable de se tenir à distance. Surtout lorsque l’animosité grandit. On a encore en mémoire le passage quasi impossible entre l’Est et l’Ouest européens à l’époque de la guerre froide, le mur de Berlin, le check-point Charlie... Aujourd’hui, traverser la frontière entre le nord et le sud de la Corée relève de la mythomanie. La Chine, qui se distingua jadis par la construction de sa fameuse muraille, envisage d’ériger un mur à sa frontière coréenne. Les États-Unis en font de même avec le Mexique et, aux dernières nouvelles, l’Arabie saoudite veut doter sa frontière avec l’Irak d’une barrière électronique. Plus près de nous, si vous allez faire un tour, comme je l’ai fait, du côté de la frontière syro-turque, vous découvrirez un non man’s land de plus de deux kilomètres, parsemés de miradors à partir desquels on se guette. Tout cela correspond bien à ce que doit être une frontière. Aussi je ne comprends pas pourquoi notre frontière sud, pour le moins sensible, n’est constituée, depuis des décennies, que de quelques fils barbelés et de simples grillages, lesquels entretiennent une étrange promiscuité. Il suffit qu’une chèvre ou qu’un bouvier s’égare de l’autre côté, faute de repère, pour que nous frôlions la catastrophe. À quand donc une frontière, en bonne et due forme, selon les normes internationales, et qui serait autre chose que cette « ligne bleue » dont on parle tant et dont on ne sait souvent pas où elle se situe ? Alain PLISSON