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Actualités - OPINION

Génocide, négationnisme : l’autre drame

À propos de la proposition de loi pour la pénalisation de la négation du génocide des Arméniens, votée le 12 octobre 2006 par l’Assemblée nationale française. La pénalisation d’un déni de génocide n’aurait pas lieu d’être si l’État responsable de ce crime contre l’humanité, ou celui qui en est l’hériter direct, ne s’ingéniait pas à réfuter l’évidence. L’évidence est que la grande majorité de la population arménienne de l’Empire ottoman, sans distinction d’âge ou de sexe, a été la victime de massacres organisés et planifiés, qui constituent un génocide au regard de la définition donnée par Raphaël Lemkin. Ce même Lemkin n’aurait jamais été interpellé par cette notion de crime s’il n’avait pas assisté à Berlin au procès de Soghomon Telhirian, le meurtrier du sinistre Talaat Pacha, ministre de l’Intérieur de l’Empire ottoman, un des principaux instigateurs du génocide des Arméniens, réfugié en Allemagne. Cette évidence avait été dénoncée en mai 1915 par la France, la Grande-Bretagne et la Russie, qui avaient qualifié les atrocités dont étaient victimes les Arméniens de l’Empire de « crimes contre l’humanité ». Cette même évidence avait été observée au plus près sur le terrain par des diplomates, des militaires et des médecins allemands et autrichiens alors alliés de l’Empire ottoman. Citons parmi ces observateurs J. Lepsius, qui témoigna à décharge au procès de Telhirian à Berlin, ou Armin Wegner, infirmier militaire en Turquie, qui, assistant au génocide, sera choqué et photographiera inlassablement des scènes d’horreur pour mieux les dénoncer. Cette évidence a été le combat de l’ambassadeur américain Henry Morgenthau, qui, dans ces entretiens avec Talaat Pacha, a toujours défendu les principes des droits de l’homme et du respect des minorités, se faisant l’avocat infatigable de la cause arménienne. La cour spéciale constituée à Constantinople par les Alliés en 1919, qui n’est pas sans rappeler celle de Nuremberg qui jugea les criminels nazis, a condamné par contumace les principaux responsables du génocide des Arméniens. Responsables mis à l’abri par ceux-là mêmes qui les jugeaient afin de préserver leurs petits et leurs grands intérêts dans la région. Ainsi, Madame Christine Lagarde, ministre française du Commerce extérieur, s’est distinguée, le 12 octobre de cette année d’un retentissant : « Si, par malheur, cette histoire va jusqu’au bout, cela va nous coûter très cher. » Elle nous renvoie à l’amère constatation de lord Curzon, à la fin de la Première Guerre mondiale : « Le pétrole a pesé plus lourd que le sang arménien. » Dans cette réaction de la ministre française, je relèverai trois insultes à l’égard de la mémoire des victimes de ce génocide : – La première concerne le malheur. Le malheur, c’est pour les Arméniens d’en être réduits à en arriver là et de devoir demander à la loi d’être protégés en tant que citoyens contre le déni de leur drame, contre le déni de leurs morts, contre le déni de leur deuil. Mieux vaut perdre virtuellement quelques parts de marché avec la Turquie que son âme. – La seconde touche au jusqu’au-boutisme. Les tortionnaires du peuple arménien en on fait preuve, pourquoi les parlementaires français devraient-ils en manquer ? Ces parlementaires-là honorent la France et répondent en écho aux propos que le président de la République française, M. Jacques Chirac, a tenus en Arménie, lors de sa visite officielle, le 29 septembre dernier. – La troisième se réfère à l’histoire. Régulièrement, depuis l’inutile proposition de loi sur le rôle positif de la colonisation, on nous parle de lois dites mémorielles. On nous assène qu’il n’appartient pas aux politiques d’écrire l’histoire. Ce « on » englobe des historiens ou des politiques qui, au nom de la liberté, voudraient que l’amnésie universelle retombe sur certaines tragédies. Je veux dire à ces « bien-pensants » qu’un génocide n’est pas qu’un fait historique, mais un acte politique, racial, nationaliste et xénophobe contre lequel il convient de lutter par tous les moyens, politiques, juridiques et économiques. – La lâcheté des puissances occidentales au lendemain de la Première Guerre mondiale concernant la condamnation sans équivoque du génocide des Arméniens a ouvert toute grande la porte à la Shoah. Un Nuremberg des criminels de l’Ittihad aurait sans aucun doute dissuadé Hitler et ses émules de suivre la même voie. Combien faudra-t-il de Cambodge, de Rwanda ou de Darfour avant que l’humanité ne se lève pour y mettre fin ? Combien faut-il de sang et de larmes avant que nos dirigeants renoncent à leurs calculs mesquins, à leurs coupables marchandages et à leurs honteuses compromissions ? Le 18 mai 2006, ces petits calculs avaient abouti à faire repousser aux calendes grecques le vote de la proposition de loi socialiste tendant à pénaliser le déni du génocide des Arméniens. Le 18 octobre, le texte a enfin été voté. Et comme un clin d’œil du destin, l’écrivain turc Orhan Pamuik (1) qui a reconnu la réalité du génocide des Arméniens, recevait ce même jour le prix Nobel de littérature. Certains se réjouissent de l’adoption de cette proposition de loi ; d’autres le regrettent. Pour ma part, je regrette qu’on doive en arriver là pour faire respecter le droit de ceux qui ont souffert et continuent à souffrir dans leur mémoire et dans leur chair des séquelles de ce génocide trop longtemps oublié. Je ne pense pas que cette loi entrave le dialogue entre Arméniens et Turcs. J’espère enfin qu’elle réveillera la conscience de ceux qui continuent à nier la réalité de cette tragédie pour que jamais un nouvel Adolf Hitler ne vienne déclarer, pour justifier ces crimes à venir : « Qui donc parle encore de l’extermination des Arméniens ? » (2) Carl E. ARKANTZ (1) Sur la base de l’article 301 du code pénal turc, Orhan Pamuk avait été poursuivi en justice en Turquie pour avoir fait cette déclaration dans un journal suisse. Des pressions internationales sur la Turquie ont été nécessaires pour obtenir son acquittement. (2) Propos tenus par Adolf Hitler devant les chefs militaires du IIIe Reich réunis à l’Obersalzberg, le 22 août 1939.
À propos de la proposition de loi pour la pénalisation de la négation du génocide des Arméniens, votée le 12 octobre 2006 par l’Assemblée nationale française.

La pénalisation d’un déni de génocide n’aurait pas lieu d’être si l’État responsable de ce crime contre l’humanité, ou celui qui en est l’hériter direct, ne s’ingéniait pas à réfuter...