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13 octobre 1990 - La tristement célèbre bataille de Dahr el-Wahch, 16 ans après Un officier raconte le massacre par les Syriens en direct de 12 soldats libanais

La date anniversaire du 13 octobre 1990 le plonge dans une profonde tristesse. Plusieurs jours durant, il s’isole et se renferme dans un mutisme total. Il prie surtout, pour ses 32 compagnons, 30 soldats et 2 officiers, tombés au cours de la bataille de Dahr el-Wahch (caza de Aley), tués par l’armée syrienne qui avait investi, en ce funeste jour, les régions chrétiennes. Il se rend aussi chaque année sur les lieux où ses camarades ont été assassinés de sang-froid par les troupes de Hafez el-Assad, pour leur rendre hommage. Pour la première fois, un officier de l’armée libanaise qui a participé à la bataille de Dahr el-Wahch raconte. «Je veux dire la vérité par loyauté à l’égard de ceux qui sont morts. » La vérité non seulement sur la bataille elle-même. Mais surtout sur les crimes commis de sang-froid par l’armée syrienne envers les soldats libanais qui avaient décidé de se rendre. Et aussi le miracle qui a fait qu’il a eu la vie sauve. Mais il préfère garder l’anonymat. Car il sert toujours dans l’armée nationale et ne se sent pas à l’abri de vexations ou même de représailles. Aujourd’hui encore, il attend du général Michel Aoun des explications sur le déroulement de la bataille de Dahr el-Wahch du 13 octobre 1990, sur les renforts qui ne sont jamais venus, sur la panne totale qui a paralysé les lignes téléphoniques civiles et militaires et sur le départ prématuré du général vers l’ambassade de France, alors que les troupes combattaient âprement. Car cette bataille, lui et ses compagnons ne l’auraient jamais menée s’ils avaient su à temps que le général Aoun se trouvait déjà à l’ambassade de France et qu’il ne mènerait pas le combat. « Fallait-il que mes 32 compagnons trouvent la mort dans cette bataille inutile ? » se demande-t-il, évoquant ses compagnons froidement assassinés devant ses yeux, alors qu’ils avaient remis leurs armes aux soldats syriens. Sa voix s’étrangle alors. L’émotion l’envahit. Il arrive difficilement à retenir les sanglots qui le gagnent. Des renforts jamais arrivés Retour donc au 12 octobre 1990 au soir, lorsque la troupe libanaise, postée à Dahr el-Wahch, se prépare à passer une nouvelle nuit de veille. Plusieurs officiers avaient dîné ensemble dans un restaurant de Kahalé. La nuit était silencieuse. « C’était inquiétant, se souvient-il. J’avais eu vent que les Syriens envisageaient sérieusement de passer à l’attaque cette nuit, avec l’aide de la deuxième brigade. Mais un haut gradé m’a rassuré, me disant qu’il avait obtenu des garanties françaises et américaines. Je restais toutefois persuadé que c’était l’armée libanaise (dirigée par le général Émile Lahoud) qui allait mener l’action et que les choses se passeraient pacifiquement, sans batailles, car nous n’envisagions en aucun cas de tirer sur l’armée libanaise. » L’officier n’a pas fermé l’œil de la nuit. Il était encore debout à 6h15 du matin, le 13 octobre 1990. Il s’est enfin décidé à s’étendre, tout habillé, pour un petit somme. C’est à 6h50 précises que le poste de commandement et le front de Dahr el-Wahch sont simultanément attaqués par l’aviation syrienne. Une vigie confirme à l’officier que les troupes postées sur le front face à eux sont syriennes. « Conformément à notre ordre de mission, nous avons ouvert le feu, même si les ordres ne sont pas venus directement, raconte-t-il. Mais progressivement, les forces syriennes se sont avancées en direction de l’église de Kahalé, par la vallée entre Bsous et Kahalé. La huitième brigade (relevant du général Aoun) qui devait nous prêter main-forte n’est jamais venue. Je ne comprends d’ailleurs toujours pas pourquoi. » Les soldats syriens atteignent le poste de commandement vers 13h30. La décision était difficile à prendre : fallait-il combattre ou se rendre ? D’autant que la troupe vient d’apprendre que le général Michel Aoun se trouve à l’ambassade depuis 9h du matin. Et puis l’immeuble du poste de commandement abrite aussi quelques familles d’officiers, des civils dont il faut préserver la vie. Démoralisée, la troupe du poste de commandement décide de se rendre à l’armée syrienne, mais sur le front de Dahr el-Wahch, les combats font encore rage. « Le chef de la compagnie syrienne nous demande alors de dépêcher un soldat au front pour faire cesser les combats. Mon chauffeur était la seule personne que nous pouvions envoyer. Il n’est jamais arrivé, raconte l’officier, la voix brouillée. Les soldats syriens l’ont assassiné. Ils lui ont planté une brochette en fer dans le ventre. Son agonie a été terrible. Ses cris ont retenti dans tout le village. » Humiliés puis froidement assassinés L’officier raconte aussi l’altercation avec un officier syrien pris de colère après avoir appris que 1 750 soldats syriens avaient perdu la vie dans l’attaque sur le front de Dahr el-Wahch, et que 22 chars syriens avaient été détruits. « Il a dirigé sa mitraillette en direction des 15 officiers libanais regroupés dans une pièce dans l’immeuble du poste de commandement, dit-il encore. Mais un officier libanais debout à ses côtés lui a détourné l’arme. Le coup est parti en l’air. » À force de palabres, l’officier libanais a fini par convaincre le responsable syrien de l’emmener avec lui à Kahalé. Il espérait ainsi prendre des nouvelles des soldats qui se trouvaient sur le front. Mais c’est à l’horreur et à la barbarie qu’il a été confronté. « J’ai vu 12 des soldats de ma brigade qui avaient été faits prisonniers par l’armée syrienne. Ils étaient quasiment nus, ne portaient que leurs slips et étaient debout, les mains nouées derrière le dos, les “rangers” nouées autour du cou, humiliés. Ils étaient répartis par groupes de 4. Chaque groupe a été conduit dans une différente direction », poursuit l’officier. « On m’a emmené avec le premier groupe, à Araya. Devant mes yeux, ils ont été mis à genoux et froidement exécutés, l’un après l’autre », raconte-t-il d’une voix blanche. « On m’a aussitôt conduit devant un restaurant où a été emmené le second groupe. Le même scénario s’est reproduit devant mes yeux. On m’a finalement mené auprès du troisième groupe, que l’on a assassiné, toujours devant moi, sur le mur de la galerie Khairallah », lance-t-il avec peine. Le tour de l’officier libanais semblait venu. « Un soldat syrien, arme à la main, m’a ordonné de me placer face au mur, mais je tenais à le regarder dans les yeux. À trois reprises, il m’a tiré dessus, mais le coup n’est jamais parti. Il a finalement jeté son arme, en me disant : “Si Dieu ne veut pas te tuer, moi non plus je ne te tuerais pas”. » « C’est alors qu’un haut gradé syrien intervient et m’emmène au ministère de la Défense où une personnalité qui m’a reconnu m’a sauvé la vie en me donnant des habits civils et en m’aidant à m’abriter », indique alors l’officier. Ce n’est que le lendemain qu’il connaîtra le sort réservé à ses autres compagnons tombés sur le front, dont 18 soldats et 2 officiers, lorsqu’il est retourné sur les lieux du crime pour ramasser les dépouilles mortelles des soldats assassinés devant ses yeux. « J’ai ramassé des cadavres aux veines des poignets sectionnées et aux yeux crevés. Je n’étais capable de reconnaître aucun des hommes de la troupe, alors que je les connaissais un à un depuis si longtemps. C’était l’horreur », dit-il, tout en retenant un sanglot. Trente soldats et deux officiers libanais ont péri ce jour-là à Dahr el-Wahch, sans compter les disparus dont les corps ont été jetés dans les tranchées avec ceux de soldats syriens ou ceux qui ont été faits prisonniers et croupissent peut-être encore dans les geôles syriennes. Quant au civils qui étaient logés dans l’immeuble du poste de commandement, dont la famille de l’officier, ils ont eu la vie sauve, après avoir été tenus en joue. Aujourd’hui, date anniversaire du 13 octobre 1990, l’officier ne cache pas les remords qui le rongent encore après la mort de ses 32 compagnons. Car son rêve d’un Liban libre, indépendant et souverain ne s’est toujours pas encore entièrement et irrémédiablement réalisé. « Mais nous sommes sur la bonne voie et je garde confiance, dit-il. Je voudrais tant croire que mes compagnons ne sont pas morts pour rien. » Anne-Marie EL-HAGE
La date anniversaire du 13 octobre 1990 le plonge dans une profonde tristesse. Plusieurs jours durant, il s’isole et se renferme dans un mutisme total. Il prie surtout, pour ses 32 compagnons, 30 soldats et 2 officiers, tombés au cours de la bataille de Dahr el-Wahch (caza de Aley), tués par l’armée syrienne qui avait investi, en ce funeste jour, les régions chrétiennes. Il se rend aussi...