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Actualités - CHRONOLOGIE

Répondant à « l’appel du Sud », des volontaires réparent à temps les écoles de Meiss el-Jabal et Houla pour la rentrée du 9 octobre « Offre-Joie » mène à Qaouzah une action de reconstruction modèle

La guerre est toujours, selon les mots de Jean-Paul II, « une défaite pour l’humanité ». C’est d’abord ce qui s’impose à l’esprit au spectacle qui s’offre à nos yeux, sur la route de Qaouzah, un hameau frontalier d’une centaine de maisons, où une petite association, Offre-Joie, a décidé d’intervenir en aidant le village à se reconstruire après la tourmente de juillet et d’août.Plus qu’autre chose, c’est un pèlerinage sur des lieux de violence et de mort qu’on effectue. Une fois sortis de Beyrouth, et dès Damour, la circulation commence à se ralentir, au rythme de l’asphalte éventré ou des ponts détruits. À partir de Tyr, après un dernier regard au sable fin et à la mer turquoise, l’on se dirige vers l’intérieur. Bientôt apparaît Aïn Baal puis les rangées de cercueils du premier massacre de Cana. Dans les agglomérations traversées, des deux côtés de la route marquée par les décombres, fleurissent les ateliers de ferronnerie ou d’aluminium. De temps en temps, se détachent, sur fond de décombres, des sacs de ciment entassés et recouverts d’une bâche, ou des piles de parpaings : ce sont les icônes de la reconstruction. Le Sud est en plein chantier. Entre un village et l’autre, le spectacle de la garrigue. De la terre, des rochers, des arbustes et des collines bien rondes qui, progressivement, prennent de l’altitude. Des champs d’oliviers, mais aussi des champs de tabac, s’étalent à gauche et à droite. Mais la guerre a ruiné la récolte. La feuille de tabac a jauni sur pied, alors qu’elle doit être récoltée verte pour être utilisable. Et puis, la peur des bombes à fragmentation paralyse la population, qui n’ose plus s’aventurer en plein champ. Çà et là, des dépotoirs de gravats près desquels, parfois, on voit des jeunes tenter de récupérer les tiges de fer. Les noms des villages s’égrènent : Siddikine, Kafra, Beit Lif. Sur les poteaux téléphoniques, les portraits photographiques de résistants tués. Jeunes visages qui nous parlent plus que ne le font leurs noms. Dans un regard, on voit tout à la fois le visage chéri par une mère et un destin suspendu par la mort. Nous voilà à Qaouzah. Au détour d’une rue bordée de maisons basses, dont certaines portent la trace d’un badigeon blanc frais, s’offre au regard la petite église Saint-Joseph, avec son clocher, son toit de tuiles et ses quelques hêtres verts, passablement poussiéreux. C’est là que le car s’arrête. Nous sommes accueillis par la voix claironnante de Melhem Khalaf, qui grimpe dans l’autocar, nous souhaite la bienvenue et nous prend en charge comme s’il nous connaissait depuis toujours. Chahut Mais qu’est-ce qui a mené ici cette joyeuse bande d’une quarantaine de chahuteurs dont nous entendons les voix et les chants s’élever derrière l’église ? « Nous avons suivi les habitants qui rentraient, explique Melhem Khalaf. Nous nous étions organisés à Beyrouth pour assurer aux populations déplacées des rations alimentaires et des produits de première nécessité à partir des campus de l’Université Saint-Joseph, qui nous avaient ouvert leurs portes. Ils sont rentrés, nous les avons suivis. » Et pourquoi Qaouzah ? Pourquoi avoir choisi un village à la population exclusivement maronite ? « Parce que, explique encore Melhem Khalaf, dans un Sud largement chiite, ce signe extérieur de diversité, ce voisinage pacifique de populations dont les croyances religieuses ne sont pas les mêmes, c’est un peu le Liban qui revit, qui redresse la tête, qui respire. » Dans un coin de la petite place de l’église, deux femmes cuisent du pain sur le « saje ». Georges Abi Karam, vice-président de la municipalité, explique la situation du village et ses besoins. Le cessez-le-feu au Liban-Sud est entré en vigueur le 14 août, précise-t-il. Un mois et demi plus tard, à quelques jours de la rentrée scolaire, la seule assistance gouvernementale s’est traduite par une visite du Conseil du le développement et de la reconstruction, dont les délégués ont effectué des relevés et promis de revenir... Mais la situation est urgente, poursuit l’édile, si l’on veut éviter que la population réelle du village – quelque 350 personnes sur 1 400 inscrites au registre – ne prenne à son tour le chemin de la ville, ne serait-ce que pour scolariser les enfants, et rembourser le boulanger, le boucher et l’épicier. Car ces gens vivent à crédit toute l’année et comptent sur les balles de tabac que leur achètera la Régie pour se mettre en règle... et recommencer. Mais cette année, ce cycle vital est compromis. Comment faire sans la récolte annuelle du tabac ? Et le troupeau aux trois quarts décimé, dont le berger a pris trois balles au bras droit parce qu’il insistait pour lui donner à boire, qui va le dédommager ? Et la station d’essence incendiée ? Et la maison rendue inhabitable, qui va la réparer ? Un cœur d’enfant À ces questions angoissantes, qui se posent partout, aucune réponse n’existe. Après avoir dévoré notre galette au thym et regardé des étudiants de l’Université Saint-Joseph planter des rosiers grimpants le long du mur d’enceinte de la place, dans le cadre de l’opération « 7e jour », nous visitons les maisons en chantier. En route, le petit Gabriel Abi Élias (9 ans) me raconte comment son cœur « s’est arrêté de battre » quand un obus a explosé, frappant une maison au voisinage immédiat de la sienne. C’était la nuit. De peur, le petit a failli suffoquer. À Qaouzah, les maisons sont endommagées soit par des obus qui les ont atteintes directement, soit le plus souvent par des éclats d’obus ou le souffle des explosions. Murs à reconstruire, vitres à réinstaller, cadres de porte ou de fenêtre à réparer, sanitaires, murs à repeindre, parpaing, enduit, badigeon, les besoins sont variés et les bénévoles, une quarantaine de jeunes en salopette bleue et tee-shirt blanc, s’affairent. Hanna Abi Élias, lui, croit sans doute qu’un ange l’a sorti de la maison en flammes dans laquelle, avec sa femme, il a été pris au piège. « Le village a été bombardé. La maison a été touchée par un obus au phosphore. Dans les films, on a toujours le temps de se préparer au danger, confie-t-il candidement, mais ici, il m’a semblé qu’en un instant, la maison a commencé à fondre. J’ai été touché, j’avais du sang dans les yeux et j’ai crié à ma femme, qui prenait son bain, que j’étais devenu aveugle. Puis j’ai aperçu la porte et je me suis rendu compte que je voyais toujours. J’étais à un mètre et demi de la porte. J’ai hurlé en demandant à ma femme de sortir du bain. Puis je me tourne vers la porte. Un mur de flammes m’empêchait de l’atteindre. Je ne sais pas comment ça c’est fait. J’ai levé la tête vers le ciel et j’ai crié vers Dieu. Je me suis retrouvé à l’extérieur de la maison. Comment ? Je l’ignore. » Atteint plus ou moins superficiellement de trois éclats d’obus, l’homme a été soigné, le lendemain, par un médecin de l’armée israélienne qui avait investi le village. « Ils étaient corrects, dit-il. Ce sont ceux qui sont venus après qui se sont conduits comme des barbares, urinant dans nos maisons et même dans les citernes où nous recueillons l’eau de pluie pour les journées sèches de l’été. Qaouzah a résisté dix-huit jours, avant que sa population ne s’en aille. Le village a été transformé en une grande caserne. On n’aimerait pas que les soldats israéliens se comportent, dans leurs casernes, comme ils l’ont fait dans les maisons de Qaouzah, saccageant tout, cassant les meubles ou les déplaçant d’une maison à l’autre, souillant l’intérieur des maisons. » À aucun moment, pourtant, le Hezbollah ne bombardera Qaouzah, assure la population. La vie continue La visite se poursuit. Au détour d’une maison, un homme roule ses cigarettes. C’est le père d’un haut dignitaire de l’ordre libanais maronite, qui vit à Kaslik. Il vient ici régulièrement. La vie continue. Mais la rentrée scolaire approche très vite, et les bâtiments scolaires du Liban-Sud sont presque tous atteints. Comment faire ? « Nous avons dû nous décider rapidement, explique Melhem Khalaf. J’ai pensé que si nous pouvions réparer deux grandes écoles, celles-ci pourraient accueillir, chacune, les élèves des villages environnants qui seraient ramassés par des autocars. On pourrait, le cas échéant, organiser deux horaires par journée. » Un mois et des énergies plus tard, la grande école de Houla surplombant fièrement le village, situé à une demi-heure de Qaouzah, a retrouvé toutes ses tuiles et est prête pour la rentrée du 9 octobre. L’école de Meiss el-Jabal, elle, s’apprête au grand ménage, après le vitrage de toutes les salles, des travaux de maçonnerie et d’éclairage, sans oublier l’installation de robinets d’eau potable, ni le débouchage et la pose de nouvelles latrines. Le maître d’école, Hussein Hamadé, est ravi du résultat. « Nous ne sommes pas habitués à un travail aussi rapide et aussi efficace », dit-il. « Tout ça avec cent volontaires », soupire Melhem Khalaf, qui rêve avec audace au jour où ils seront deux cents et à ce qu’il pourrait accomplir alors. Et pourquoi pas cent mille ? Fady NOUN
La guerre est toujours, selon les mots de Jean-Paul II, « une défaite pour l’humanité ». C’est d’abord ce qui s’impose à l’esprit au spectacle qui s’offre à nos yeux, sur la route de Qaouzah, un hameau frontalier d’une centaine de maisons, où une petite association, Offre-Joie, a décidé d’intervenir en aidant le village à se reconstruire après la tourmente de juillet et...