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Actualités - OPINION

Confronter la fatalité de l’émigration

Depuis le début de la guerre de juillet, des rumeurs circulent sur l’importance du mouvement d’émigration qui vide le tissu social libanais de ses forces vives, notamment de sa jeunesse. Pour apprécier ce phénomène, nous utiliserons la technique la plus répandue parmi les agences de statistiques, celle de l’échantillonnage. Nous analyserons l’échantillon le mieux évaluable, à savoir l’environnement dans lequel nous vivons. Et nous réalisons alors que la proportion de familles ou d’individus qui ont pris le large, qui attendent un visa ou qui envisagent la possibilité de faire leur vie ailleurs dépasse les 40 %. Bien que le rythme de ce phénomène varie selon l’appartenance socioculturelle des Libanais, il n’en est pas moins alarmant de constater à quel point il continue à se développer. Le cumul des déceptions, conjugué au manque d’alternatives, caractérise la spécificité de ce phénomène. En effet, aux causes classiques de l’émigration – surqualification de nos cadres par rapport aux offres, manque de bonnes opportunités, situation économique pénible, absence de stabilité politique, recherche de vie civilisée digne d’un citoyen civilisé…– s’ajoute un sentiment de ras-le-bol. Ce malaise touche surtout des pères et mères de famille ayant vécu une guerre de 15 ans et survécu à une occupation de durée équivalente, et qui n’ont plus le courage d’affronter un avenir incertain. Les besoins économiques se confondent donc avec les besoins de sécurité, de prospérité, de respect. Cependant, une des causes de l’émigration se détache des autres de par son essence et sa signification politique et sociale : la recherche de la modernité. Quels sont les éléments constitutifs de la modernité ? Il est impératif de répondre à cette question si l’on veut percevoir les aspirations de notre société. La modernité est une notion élastique dont on peut néanmoins extraire les éléments constitutifs. Une société moderne se caractérise d’abord au niveau du respect intangible des droits de l’homme. Elle se distingue donc par le respect des valeurs humaines et du droit à la différence. C’est une société qui prend en compte le combat du citoyen pour une vie prospère, lui garantissant un salaire minimum, un revenu minimum s’il est au chômage, une retraite assurée… Ensuite, c’est une société qui prend en charge l’individu dans deux domaines essentiels à son épanouissement physique et intellectuel qui sont la santé et l’éducation. Enfin, c’est une société qui respecte les lois et qui demande des comptes à ses élus en les sanctionnant à chaque échéance électorale. Ce diagnostic, qui détecte les causes de l’émigration, exige que l’on y réponde de façon radicale et définitive si l’on compte, bien sûr, mettre fin à l’hémorragie. Le terme « radical » effraie, à juste titre, nos concitoyens. Mais à quel degré les solutions intermédiaires ou les « réformes » que prône la classe politique libanaise donnent-elles de l’espoir à la société ? Calmeront-elles l’angoisse générale ? Enrayeront-elles le dégoût que ressentent les Libanais devant la façon dont sont régies leurs institutions publiques ? Les institutions publiques pourries par la corruption, les politiciens aigris par la soif du pouvoir, les partis politiques sans cause, qui sont devenus des fins en soi, la loi électorale inique que personne ne veut véritablement remplacer sont les instruments élémentaires de changement. Comment avoir encore le courage de batailler sans prôner un changement radical et profond, un bouleversement dans les visions et conceptions ? Pour d’autres, les choses sont beaucoup plus claires et motivantes. Certains d’entre nous ont décidé de ne plus se tourner vers le passé et ce qu’il a engendré, mais vers notre lendemain et notre jeunesse qui promettent. Nous avons compris que la thérapie est bien au-delà des remèdes qui atténuent passagèrement la douleur et ne guérissent pas un corps national gangrené. Nous avons décidé de prôner une opération chirurgicale pour extraire la tumeur, afin que ce corps national puisse fonctionner sur de nouvelles bases saines et sur une nouvelle philosophie d’existence. Cette nouvelle philosophie se fonde sur le principe de vérité par opposition à l’hypocrisie ; sur le principe du respect et de la reconnaissance des différences par opposition à celui de la « cohésion nationale » forcée ; le principe de paix par opposition à celui de la guerre ; le principe du droit à la vie par opposition à la culture de la mort… Ces principes nous donnent, aujourd’hui plus que jamais, la motivation nécessaire pour continuer à croire en notre pays. C’est vers l’arrêt de toute autocensure (morale fût-elle ou intellectuelle) et vers le choix de l’authenticité (avec soi-même et avec autrui) que nous orientons notre action. C’est ainsi et pas autrement que nous parviendrons à bâtir un pays « normal » et à vivre une vie « normale », conforme aux normes internationales. C’est seulement ainsi que nous parviendrons à donner à nos citoyens des raisons de rester, de vivre et de lutter. C’est ainsi qu’il sera possible de se réconcilier avec soi, avec autrui et avec sa patrie. Samy GEMAYEL
Depuis le début de la guerre de juillet, des rumeurs circulent sur l’importance du mouvement d’émigration qui vide le tissu social libanais de ses forces vives, notamment de sa jeunesse.
Pour apprécier ce phénomène, nous utiliserons la technique la plus répandue parmi les agences de statistiques, celle de l’échantillonnage. Nous analyserons l’échantillon le mieux évaluable, à...