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Actualités - CHRONOLOGIE

NOTE DE LECTURE - Une anthologie bilingue pour Nadia Tuéni «Liban, poèmes d’amour et de guerre» toujours d’une brûlante actualité

En ces temps de folie après la bourrasque guerrière émerge une voix familière, dont la résonance n’a pas fini de séduire les lecteurs du monde entier. Une voix de femme poète, nourrie des écrits de Rimbaud, Lautréamont, tout un cortège de plumes surréalistes ainsi que du Parnasse arabe avec Adonis en tête de liste et qui, par sa mythologie personnelle, a ouvert les glorieux chemins des douleurs révélées et des soleils noirs d’un lumineux désespoir. Il s’agit évidemment de Nadia Tuéni et de son inspiration hantée par le fracas des armes, l’horreur des violences, la maladie qui ronge impitoyablement et l’indomptable passion pour une terre irrépressiblement aimée. Cérémonial poétique, pour reprendre le terme utilisé déjà par une autre femme poète, Andrée Chedid, qui marque par des mots vibrants, retentissants, intenses et diaphanes à la fois le drame et la volonté de vivre pleinement, et non seulement platement survivre. En devanture des librairies (oui, on lit pas mal quand les balles traçantes et les chasseurs bombardiers font leur lugubre ballet dans le firmament!) un ouvrage, bien édité, par Christophe Ippolito. Une anthologie bilingue (anglais-français), «Liban, poèmes d’amour et de guerre», de Nadia Tuéni (122 pages, traduction de Samuel Hazo et Paul B. Kelley). Défilent les somptueuses images sonores de Vingt poèmes d’amour et une sélection des Archives sentimentales d’une guerre au Liban. Mais il semble, hélas et mille fois hélas, que la guerre au Liban ne soit pas encore définitivement et irrévocablement placée dans la case et la trappe des archives... Le volcan qui vient de se réveiller a funestement ranimé tous les anciens démons sans conjurer les malheurs. Merveilleux mots de Nadia Tuéni, plus présents et réels que jamais dans leur douleur évocatrice même. Mots d’une musicalité rare et précieuse qui transcendent une réalité dont la noirceur force tous les dépassements les plus noirs... C’était il y a plus de trente ans, quand la guerre civile éclatait dans toute sa rage et sa démence sans retenue. C’était en 1979 et 1982, années de feu, de sang et de plomb, tristement gravées à jamais dans la mémoire. On avait justement compté sur les mémoires, fonctions d’oubli, pour enrayer les innommables et innombrables images de mort, de destruction et de dévastation. Mais qui aurait pu prévoir que le calvaire n’est pas près de finir et que tout allait se reproduire dans une version de trente-trois jours, encore plus sinistres, plus lourds, plus sanglants?... Le poète, toujours écho de son siècle, voyant et mage, a le verbe prémonitoire et annonciateur des grandes transhumances, des grands chamboulements, des orages des plus imprévisibles et des énigmes que nul n’élude... Écoutons Nadia Tuéni se confier. Avec effroi et beaucoup de suspicion, sur la sagesse acquise des hommes, de leurs expériences passées, et l’on réalise que le temps a glissé sur du marbre et que rien n’a changé sous le soleil... L’auteur de Juin et les mécréantes écrivait de son vivant: «J’ai décidé de consigner, à partir d’aujourd’hui 25 avril 1982, les petits faits de ma vie de cancéreuse bien soignée. Il y a quelque chose de fascinant dans cette folie cellulaire, dans ce désordre mortel, qui tient en échec la médecine. J’ai tendance à croire que l’ordre de se révolter contre l’harmonie vivante est donné de quelque part au fond de moi, par mon vrai moi et pour des raisons que j’ignore, mais qui doivent porter en elles une sagesse certaine. J’appartiens à un pays qui chaque jour se suicide, tandis qu’on l’assassine. En fait, j’appartiens à un pays plusieurs fois mort. Pourquoi ne mourrais-je pas moi aussi de cette mort rongeante et laide, lente et vicieuse, de cette mort libanaise.» Une mort libanaise? Peut-être. Sans nul doute. Mais aussi une vie et une inspiration libanaises, dignes, robustes et fières héritières d’une sorte d’incroyable vocation au mythe de Sisyphe. Condamnation d’un Phénix à renaître éternellement de ses cendres? Toujours reconstruire, toujours reprendre au point zéro, comme le clament ces slogans qui inondent les artères profondément agressées de la capitale?... Plus d’un quart de siècle plus tard, cette «mort libanaise», infatigable et sombre faucheuse, continue sinistrement de planer sur le pays du Cèdre. Mais le désir de vivre est invincible. Et le jaillissement des mots de Nadia Tuéni, source même de vie, pour parler de l’irréparable et de ce qui bat dans le cœur des hommes, est encore plus jeune, touchant et juste que jamais. Notamment quand elle s’adresse au Sud: «Sud À qui je voudrais promettre une patrie Et jardins opulents autour du Litani Écrire des mots d’amour sur ton corps torturé Offrir à tes enfants un soleil libanais.» Edgar DAVIDIAN

En ces temps de folie après la bourrasque guerrière émerge une voix familière, dont la résonance n’a pas fini de séduire les lecteurs du monde entier. Une voix de femme poète, nourrie des écrits de Rimbaud, Lautréamont, tout un cortège de plumes surréalistes ainsi que du Parnasse arabe avec Adonis en tête de liste et qui, par sa mythologie personnelle, a ouvert les glorieux...