Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

11-Septembre : cinquième anniversaire

Michel ROCARD* Nous approchons du cinquième anniversaire du 11 septembre 2001, jour de la frappe d’el-Qaëda sur les deux tours du World Trade Center et sur le Pentagone. Il est donc largement temps d’évaluer le bilan de la riposte mise en œuvre par les États-Unis et la communauté internationale. Dans la semaine qui suivit cette attaque, le président américain George W. Bush décida de déclarer la guerre au terrorisme. Naturellement, personne ne met en cause le droit pour les États-Unis de se défendre. La légitimité d’une riposte brutale à une attaque brutale n’est pas en cause. La métaphore de la « guerre contre le terrorisme » a un avantage : elle évoque clairement et fortement l’intensité de la riposte qu’appelle une attaque aussi forte, et en appelle implicitement à une intense mobilisation de la collectivité nationale concernée, de ses amis et de ses alliés. Tout cela n’est pas négligeable. Mais cette métaphore avait un immense inconvénient, dont nous mesurons tous encore les conséquences. L’image de la guerre est non seulement extrêmement forte, ce qu’à juste titre voulait le président, mais elle a des connotations inévitables, qui ne sont en l’espèce pas toutes pertinentes loin s’en faut. Qui dit guerre dit nations en lutte, ou peuples, ou États. Cela implique que des territoires entiers et les populations qui y habitent soient reconnus hostiles. Qui dit guerre dit aussi armées, commandements repérables sinon connus, en tout cas adversaire identifiable. Et dans ces conditions qui dit guerre dit en tout cas situation de caractère militaire, appelant les forces armées pour la traiter. Sur tous ces points, le concept de guerre n’est pas opérationnel pour traiter le problème. Même si l’ampleur de la frappe et son caractère extranational plutôt qu’international lui donnaient une dimension telle que seule l’armée américaine paraissait être à la taille de ce défi, il n’en reste pas moins qu’en termes techniques le traitement d’une menace de cette nature relève de techniques de police – fut-ce à grande échelle – et non pas de techniques militaires. Les conséquences de cette vision erronée ont commencé à se faire sentir très tôt. Il est avéré aujourd’hui que le gouvernement des États-Unis et ses services ont, partie consciemment, partie inconsciemment, déformé profondément l’image qu’ils découvraient d’el-Qaëda, pour en faire une organisation hiérarchisée et commandée, conforme au modèle que l’armée américaine peut attaquer et détruire. Or, el-Qaëda – le mot veut dire la base, le camp, c’est-à-dire seulement le lieu de retrouvailles et d’entraînement – est bien plutôt une mouvance floue, un regroupement peu hiérarchisé d’individus et de petites cellules locales, agissant de leur propre initiative et ne coopérant que rarement pour de grandes opérations. Il n’est pas établi ni pour Londres, ni pour Madrid, ni pour Bali, ni pour l’attaque du croiseur américain, qu’un « centre » ait coordonné les opérations, ni donné des ordres. Dans ces conditions, le terrorisme islamique – il n’est pas possible ici d’étendre la réflexion à l’ETA basque, aux Tigres tamouls, ni à l’IRA irlandaise – apparaît comme le fait d’un très petit nombre d’individus, souvent titulaires d’une éducation avancée, qui prennent à cœur la longue humiliation historique et économique du monde musulman (colonisation, absence de développement, faiblesse politique) pour s’en venger et détruire l’Occident vainqueur, alors que les nations musulmanes sont pour la plupart désireuses de vivre en paix dans la communauté internationale et de chercher en partenariat les recettes d’un meilleur développement. La seule stratégie valide eut donc été de chercher l’accord de ces peuples, de ces nations et de leurs dirigeants pour chercher ensemble, par la coopération mutuelle, le développement, et aussi la coopération policière, à isoler ces militants irréductibles de leurs communautés nationales pour pouvoir ainsi les empêcher de nuire ou les détruire. Long et difficile ! Certes, mais il n’y avait pas d’alternative. Au lieu de quoi l’analogie militaire, ajoutée à la très excessive confiance des Américains non seulement dans leur armée, ce qu’on peut comprendre, mais aussi dans la force en général, ce qu’on comprend moins dans le cas d’un peuple intelligent, a conduit la présidence américaine à multiplier des opérations de force qui n’ont pas la moindre chance de changer les opinions des peuples, au contraire. L’Afghanistan était le seul cas intelligible : c’était la base d’el-Qaëda. Ajouter à cela l’Irak qui n’y était pour rien est une faute énorme, qui a sans doute puissamment intensifié le recrutement de terroristes. Cette manière de faire a conforté Israël dans la croyance en l’efficacité de ces méthodes. D’où la guerre du Liban, et la réinvasion de Gaza. Impuissante, la communauté internationale laisse faire. La rigidité et la brutalité de l’attitude américaine bloquent toute intervention utile de pays comme l’Algérie, le Maroc, la Jordanie, l’Arabie ou les Émirats et interdit que l’on puisse négocier sérieusement avec la Syrie ou l’Iran. En donnant l’impression qu’ils ont pris tout le monde musulman comme adversaire, les États-Unis vont tout droit à ce « choc des civilisations » qu’ils prétendent éviter. Mais cette stratégie échoue. La force ne peut tout faire. La communauté internationale se prépare à dire que l’islam n’est pas notre ennemi et que le terrorisme doit être combattu autrement. Que les directions politiques musulmanes responsables affirment clairement que le terrorisme n’est pas leur choix, et l’espoir d’une réconciliation de nos cultures, collaborant dans un traitement adapté et limité de leurs déviances meurtrières, se fera jour de nouveau. (*) Michel Rocard, ancien Premier ministre français et dirigeant du Parti socialiste, est membre du Parlement européen. © Project Syndicate 2006.
Michel ROCARD*

Nous approchons du cinquième anniversaire du 11 septembre 2001, jour de la frappe d’el-Qaëda sur les deux tours du World Trade Center et sur le Pentagone. Il est donc largement temps d’évaluer le bilan de la riposte mise en œuvre par les États-Unis et la communauté internationale.
Dans la semaine qui suivit cette attaque, le président américain George W. Bush...