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Actualités - OPINION

Se libérer de toutes les tutelles

Penser ou savoir (et pouvoir) penser en dehors des voies balisées, de la « pensée » de sa communauté, là réside le défi. Pour y parvenir, il faut être hors du circuit, du traquenard bloquant toutes les issues et qui consiste à « prendre en charge » une communauté précise. « Prendre en charge » signifie éduquer, soigner, militariser toute une population trop longtemps laissée-pour-compte. Il s’agit de démonter la raison d’être de cette autorité « bienveillante » dont les différentes manifestations trahissent une pensée unique, sclérosée et fourbe, de lui ôter sa raison d’être. Cela ne peut se faire du jour au lendemain et certainement pas sans une volonté citoyenne débarrassée de tout esprit communautaire, partisan, sans un État de droit ayant pour seul souci l’intérêt commun. Cette autorité légitime sera seule dotée d’un pouvoir assurant la sécurité des habitants, les protégeant contre toute atteinte à leur vie (c’est bien là le minimum requis), mais aussi à leurs droits sociaux afin qu’ils ne soient pas de nouveau « recueillis » par les prétendus bienfaiteurs ou sauveurs de la nation arabo-musulmane. Les chiites du Liban-Sud, de la Békaa, de la banlieue sud de Beyrouth, plus précisément ceux qui appartiennent à cette couche sociale défavorisée, cible répétée de l’agression israélienne, ont été et demeurent la proie facile d’un parti qui ressemble de par son organisation efficace et totalitaire à la mécanique stalinienne, d’une idéologie qui donne peu de valeur au doute, à la remise en question. On croit détenir la vérité absolue, on prétend l’ouverture, la tolérance ; on affiche une détermination au combat contre Israël naturellement, mais aussi contre toute forme de corruption. Austère, ce parti, honnête (nous dit-on), néanmoins dangereux à mes yeux, dangereux parce que son discours est double et son pouvoir immense, il s’incruste dans les esprits et les coutumes d’un peuple vulnérabilisé après tant d’humiliations subies de la part d’Israël, du fait de l’absence de l’État, de l’exploitation des plus riches. Déconstruire, ou plutôt déraciner cette réalité politique, militaire, économique ne pourra se réaliser par la force des armes ou alors par ces patriarches guidant les différentes communautés (et confessions) qui devraient d’abord se résigner à une autocritique profonde ou disparaître de la scène politique. Seule l’autorité de l’État, à l’abri des tactiques clientélistes et de l’appétit des uns et des autres, peut affranchir ces hommes et ces femmes. Atteindre cet objectif nécessite un courage exceptionnel et un engagement citoyen de la part de tous, notamment de ceux qui détiennent la responsabilité du pouvoir politique. Certes cette réflexion peut sembler dérisoire, inutile, sachant qu’aujourd’hui il faut agir dans l’urgence. Il importe cependant, pour traiter la question de cette Résistance, de dépasser celle des armes qu’elle détient (même s’il ne s’agit pas d’omettre ce point crucial), car cet aspect n’incarne que la partie émergente de l’iceberg et qu’il est à présent temps de débarrasser les Libanais, les chiites en l’occurrence – sans oublier les autres, repliés dans le même type de réaction (sans l’aspect militaire, a priori) : sunnites, maronites, druzes – de toute forme de tutelle qui gomme l’individu et la différence, coulant le tout dans un moule isolé. Si j’ai pu échapper à ce raz-de-marée c’est parce que j’ai eu le privilège de vivre loin de la misère, de l’influence de toute instance religieuse (bien qu’en principe chiite par héritage), dans un contexte humain ouvert qui m’a accordé la possibilité de douter et de ne jamais me soumettre aux pensées uniques. Cette effroyable guerre doit susciter une véritable réflexion, éveiller notre sens critique (tourné d’abord sur soi-même), débusquer nos illusions sur ce Liban modèle de la démocratie dans un monde arabe cédant aux dictatures. Le chantier qui nous attend se situe bien au-delà des murs et des villages rasés par ces bombardements aveugles ; il s’impose pour édifier des esprits libres, libérant les consciences restées trop longtemps sous tutelle, écrasées par les slogans et la rhétorique des nouveaux « vainqueurs » ou des anciens chefs de guerre encore influents dans leur territoire communautaire. Reconstruire ce pays dévasté suppose qu’on se fasse violence ou, pour dire les choses autrement, qu’on se rebelle contre toutes les idées reçues, qu’on prenne le risque de penser par soi-même. Sana SALHAB
Penser ou savoir (et pouvoir) penser en dehors des voies balisées, de la « pensée » de sa communauté, là réside le défi. Pour y parvenir, il faut être hors du circuit, du traquenard bloquant toutes les issues et qui consiste à « prendre en charge » une communauté précise. « Prendre en charge » signifie éduquer, soigner, militariser toute une population trop longtemps...